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170322 juillet 2010 — Depuis l’échec du sommet de Copenhague, les trompettes se sont tues. Les agitations polémiques, polémiquant comme il se doit autour du saucissonnage de la responsabilité humaine dans le global warming, sont également parties en vacances. Le global warming, – pour ou contre, – est devenu un sujet convenu de la politique de basse-cour et de la polémique consensuelle, et il a été remplacé par les suivants (les exploits de l’équipe de France de football, l’affaire Woerth-Bettencourt). Nul ne s’intéresse plus vraiment au fait que le global warming est un aspect de la crise climatique, qui est un aspect de la crise de l’environnement, qui est un aspect de la crise du système et, par voie de conséquence, de la destruction du monde, tout cela partie non négligeable de notre actualité. Ce silence de la jacasserie nous permet de revenir à l’essentiel. Quels que soient les aléas et les polémiques des complots divers, la crise de la destruction du monde (environnement) est plantée au cœur de la crise du système née de l’idéal de puissance. Tout le reste discourt du sexe des anges.
Pour amorcer ce commentaire, on considérera ou on lira ceci :
• La fin de la catastrophe du oil spill du Golfe du Mexique qui, aux dernières nouvelles, ne serait pas vraiment la fin mais qui le serait peut-être, qui nous réserverait des surprises ou peut-être pas finalement. Rigueur scientifique, corporate power et système de la communication, tout cela ne surprendra personne.
• Le texte de Chris Hedges, dont nous avons donné le 20 juillet 2010 quelques extraits qui comptent, qui est un appel à la “désobéissance civile” et à la “rébellion”, et dont nous retenons cette phrase : «The climate crisis is a political crisis.»
• Un texte de Environment News Service (ENS), repris par CommonDreams.org le 10 juillet 2010, reprenant les déclarations de divers scientifiques commentant la vague de chaleur en cours aux USA et le constat que 2010 est, jusqu’ici, l’année la plus chaude en termes de moyenne statistique depuis qu’une telle comptabilité existe. Un court extrait : «Over the long term, perhaps 200 olr 300 years, the planet could experience an increase of average global temperatures of 10 to 15 degrees Fahrenheit. Under that scenario, much of the world, including Australia, many Mediterranean countries, and parts of Africa, Brazil, China, India and the United States, would be so hot and humid that people would not be able to survive outside during heatwaves for more than a few hours…»
@PAYANT Ce que nous voulons mettre en évidence, notamment au travers de ces trois citations, est le caractère extrême de deux aspects de la crise climatique. Combien, d’une part, elle s’est intégrée dans les autres crises du système, en acquérant une dimension nouvelle à cet égard, – une dimension de réalisme et une dimension de réalité à la fois.
La crise BP/oil spill a été décisive à cet égard, en mélangeant d’une façon agressivement polémique, et agressivement active, différents aspects à partir d’un accident catastrophique qui touche la destruction de l’environnement et concerne le principal “carburant” de l’aspect “global warming” de la crise général (le pétrole). La crise BP/oil spill concerne donc tout cela, mais elle concerne aussi la question de la puissance et de la vulnérabilité du corporate power, de la politique intérieure des USA dans différents aspects polémiques, la situation économique aux USA, les relations de crise entre le Congrès et la Maison-Blanche, tout cela avec l’impact sur les élections de novembre prochain, les relations internationales internes au système (entre les USA et le Royaume-Uni), etc. D’où l’observation justifiée de Hedges : «The climate crisis is a political crisis.»
Le texte de ENS, qui reprend directement diverses déclarations de scientifiques, se voudrait, lui, concentré sur la seule crise climatique, et cela introduit le deuxième aspect de la crise climatique. Il ne s’attarde pas aux polémiques et va à l’essentiel, savoir que le changement climatique est une réalité et qu’il va avoir des effets nécessairement catastrophiques sur un système qui est de plus en plus tendu dans ses exigences vis-à-vis des structures du monde, qui poursuit son développement exponentiel à cet égard, qui nécessite donc des conditions extérieures de plus en plus ajustées à ses besoins et sous son contrôle alors que la crise climatique se développe à très grande vitesse dans l’autre sens général qui est évidemment d’échapper à tout contrôle humain et du système de notre civilisation, – cette absence complète de contrôle humain et systémique, définition de la “crise eschatologique”.
Le texte est centré sur la vague de chaleur en cours aux USA et est accompagnée d’une photo montrant un petit village du Middle West US, écrasé de chaleur, avec une végétation inexistante et une atmosphère marquée par des déplacements de poussière d’une terre devenue sèche et friable. La photo rappelle remarquablement une de ces illustrations de ce phénomène terrible que fut le Dust Bowl aux USA dans les années 1930. Le Dust Bowl dura presque toute la décennie, dupliquant quasiment la Grande Dépression aux USA. Effectivement, dans le sens des remarques faites plus haut, le Wikipédia (anglais), vastement documenté sur la question, observe que le phénomène pourrait se reproduire : «A 1°C (1.8°F) rise in global temperatures due to the effects of global warming could turn much of the semi-arid American Midwest into a shrub-steppe, likely starting with an area near the Sand Hills in Nebraska, severely impacting food supplies and exports from the American breadbasket…» Le Dust Bowl fut une catastrophe classée “écologique”, essentiellement favorisée par les pratiques d’agriculture intensive sur de très vastes surfaces, qui ont un rapport direct avec le système.
On oublie trop souvent (nous, les premiers) le rapport direct entre la Grande Dépression (USA) et le Dust Bowl. (Les raisins de la colère, fameux film de 1939 de John Ford d’après le livre de Steinbeck, est généralement présenté comme un film “social” sur la Grande Dépression alors qu’il nous montre d’abord une famille paysanne de l’Oklahoma victime de la catastrophe écologique du Dust Bowl, puis ensuite confrontée à la misère sociale de la Grande Dépression.) La tragédie politique, historique et métahistorique que fut la Grande Dépression pour les USA l’a été, dans ces dimensions, dans ce degré d’intensité qui nous incitent à l’emploi du qualificatif “métahistorique”, à cause du Dust Bowl en plus de la Grande Dépression strictement économique. Le Dust Bowl donna une dimension mythique à la Grande Dépression, affectant la psyché US dans une mesure qui n’a pas de précédent dans l’histoire US, sinon celui, évident, de la Guerre de Sécession (quoique la Guerre de Sécession n'ait pas la même dimension psychologiquement déstructurante et déstabilisante pour les USA dans leur globalité). Depuis la Grande Dépression, c’est toute l’histoire des USA qui a été changée, son destin incurvé, selon nous d’une façon si profonde qu’on peut lier pour ce pays la crise actuelle à la Grande Dépression presque directement.
Du point de vue où nous abordons ce rappel historique, la Grande Dépression est un événement mythique, dont la puissance dépasse la perception rationnelle (pour ne rien dire de la dérisoire perception économique). Cet événement a besoin d’une perception “sur-rationnelle” pour être embrassé dans sa globalité. Il mêle les conditions soi-disant “objectives” d’une crise économique aux conditions d’une crise écologique qui, par sa simultanéité avec la Grande Dépression, prit les dimensions mythiques d’une sorte de “punition divine”, achevant de mettre en cause le système de l’américanisme et alimentant ainsi une crise psychologique majeure aux USA, mettant à son tour en cause le fondement et l’existence d’un projet métahistorique inversé (les USA, un projet métaphysique non pas prolongeant l’Histoire dans cette dimension, – sens normal de “métahistorique”, – mais niant l’Histoire au nom de cette métaphysique inventée par la raison pervertie et devenue subversion). Cette crise psychologique ne fut apparemment résolue, mais en réalité simplement tenue à distance, que par la Deuxième Guerre mondiale et le rôle moral que s’attribuèrent les USA, poursuivis par un gouvernement paroxystique entretenant une référence antagoniste négative (l’“Ennemi”, la “Menace”, l’URSS, le communisme puis la suite plus cahotante) permettant la promotion vertueuse du système par antinomie.
Ce rappel de la “réalité mythologique” de la Grande Dépression (Dust Bowl compris) doit nous servir de référence directe pour la crise présente, notamment les rapports entre la crise économique et la crise climatique, le tout exprimant la dimension universelle de la crise générale de notre système et de la civilisation qu’il a subvertie. Ce sont les effets sur-rationnels sur la psychologie qui sont intéressants à envisager, dans la mesure où ils sont très puissants, donc dans la mesure où, eux-mêmes conséquences de cet enchevêtrement de crises, ils accélèrent à leur tour les conditions de la crise générale. De ce point de vue, les querelles polémiques sur le global warming sont dérisoires ; elles sont parfaitement illogiques et étranges, notamment quand elles viennent d’adversaires du système mettant en cause ce qu’ils croient être une “version officielle” du système (la crise climatique existe), au nom de l’habituel soupçon du complot. Qu’importe le complot ou pas, qui est une chronique pour le bazar ambiant, dans un climat (!) général où la notion d’“objectivité” (y compris celle du complot) n’existe plus. C’est en ce cas qu’il faut savoir distinguer son “ennemi principal”, le système en l’occurrence, et admettre cette évidence que la crise climatique porte en soi une condamnation eschatologique sans appel du même système.
Le cas du oil spill du Golfe du Mexique est un tournant parce qu’avec lui nous avons dépassé le traitement spécifique, sectoriel, du problème de la crise climatique, et avons introduit cette crise dans la problématique générale de la crise du système. L’aspect intéressant de la chose, qui montre le murissement des esprits, est que le oil spill n’a pas un rapport direct et immédiat avec la crise climatique, mais bien entendu un rapport indirect (l’amalgame système, corporate power avec ses us et coutumes, pétrole et global warming, destruction de l’environnement). Mais ce rapport indirect a aussitôt été fait, montrant combien nous étions prêts à l’intégration de la crise climatique dans la crise du système. La conclusion en est aussitôt tirée, – «The climate crisis is a political crisis», écrit Chris Hedges après avoir entamé son texte sur l’affaire du oil spill et avoir appelé à la désobéissance civique et à la rébellion. Dieu sait s’il faut prendre le qualificatif “politique” dans sa dimension la plus large possible.
Cet épisode nous indique combien nous sommes proches de retrouver les véritables conditions de la crise de la Grande Dépression telles qu’elle exista aux USA, qui est la référence absolue en raison de l’intégration de la crise économique systémique et de la crise écologique, qui a une dimension métahistorique à cause de cela. C’est dire qu’il n’est nullement nécessaire d’attendre 200 ans et la dévastation de l’espèce telle qu’elle est décrite ci-dessus ni même des effets importants et spectaculaires de la crise climatique pour rencontrer des conditions de crise eschatologique. La rapidité des événements est, à cet égard, confondante, – une fois de plus cette remarque nous vient sous la plume.
La crise climatique est entrée dans la crise du système, elle s’est intégrée. Comme d’habitude, le système, d’une puissance inouïe, est d’une sottise à mesure. Il n’a pas su appréhender cette crise climatique selon ses propres paramètres (réduction conséquente de la consommation d’énergie, technologies “propres”, etc.) et il n’y parviendra pas parce qu’il est totalement impuissant à mettre un frein à sa boulimie de puissance. Il alimente donc l’élargissement radical de la crise, la transformation de crises sectorielles d’une part, de crises “naturelles” d’autre part, en des crises “politiques”, c’est-à-dire des crises métahistoriques selon la référence de la Grande Dépression (avec le Dust Bowl). Il accélère considérablement les conditions “objectives”, – ou, disons, les conditions “eschatologiques” de la mise en cause de lui-même par l’intégration des événements qu’il rencontre.
Aujourd’hui, plus aucune catastrophe naturelle, même si elle est “réellement” naturelle, ne peut plus échapper à cette fatalité d’être considérée comme une conséquence de la crise du système, ou comme une conséquence de la crise climatique dans la mesure où cette crise climatique est la conséquence de la crise du système. C’est une machinerie infernale, qui s’ajoute à d’autres machineries du même genre, qui alimente évidemment la crise psychologique générale (notre “épuisement psychologique”) dont on ne cesse de relever les effets dans tous les domaines. De ce point de vue également, à côté des amuse-bouches sur le pourcentage de la responsabilité humaine dans le global warming, histoire d’animer les talk-shows, la crise climatique s’est installée dans notre tête et dans notre psychologie comme un enfant difforme et infâme de la crise du système. Le DVD montrant le flot de pétrole s’échappant de la conduite BP au fond du Golfe du Mexique n’a pas fini de faire des dégâts dans nos psychismes.
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