Internet et la “presse officielle”: le cas du JSF

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Internet et la “presse officielle”: le cas du JSF

29 octobre 2009 — Nous revenons une fois de plus sur le rôle joué par Internet dans certaines grandes affaires qui sont presque complètement ignorée de la grande presse-Pravda, (ou “presse officielle”/presse-papier, selon la mésestime ou l’estime qu’on veut lui montrer). C’est sans aucun doute le cas du programme JSF, dont nos lecteurs connaissent tout l’intérêt que nous lui portons. Nous avons déjà parlé de l’action d’Internet sur le cas du JSF (voir notamment le 6 mars 2009). Mais, dans ce cas, il faut relever un progrès fort intéressante avec une connexion grandissante entre Internet et cette “presse officielle”, connexion au départ imposée par Internet.

Quelques-unes des dernières péripéties du programme JSF témoignent de cette évolution. (On peut les suivre notamment sur ce site le 24 octobre 2009, le 27 octobre 2009, et encore le même 27 octobre 2009).

Les deux plus récents cas que nous présentons sont particulièrement révélateurs.

• Dans le cas de l’étude de l’expert hollandais Johan Boeder, on observe que sa notoriété dans le domaine du JSF est pour l’essentiel due à son site JSFNieuws (en hollandais avec traduction Google en français notamment). Ce site, on l’a déjà signalé à plusieurs reprises, a joué et joue un rôle éminent dans le débat politique et parlementaire qu’est devenue, en Hollande, la question de l’achat du JSF. Cette même notoriété a entraîné la commande du rapport pour la commission de défense dont nous avons parlé le 27 octobre 2009, puis la publicité de ce rapport par la voie d’Internet à partir du 6 octobre, enfin son apparition dans la “grande presse” spécialisée (Defense News), conduisant Lockheed Martin lui-même à réagir de manière officielle. En Hollande même, lorsque le débat sur le JSF rebondit, d’une façon assez régulière, Boeder tient un rôle central de référence pour la presse généraliste. (La Hollande est le pays engagé dans le programme le plus agité par cette question du JSF et le plus ouvert à la polémique, malgré, ou peut-être à cause de l’engagement aveuglement pro-JSF de la Force Aérienne.) Le parcours est impeccable, montrant la position de force que peut acquérir une initiative de type-Internet, jusqu’à des interférences majeures dans les circuits officiels. La “presse officielle” elle-même suit épisodiquement l’affaire quand cette presse est bonne (Hollande), pas du tout, sinon par la reproduction des communiqués LM, quand cette presse est égale à elle-même (c’est-à-dire exécrable de médiocrité, sinon de complicité).

• Le cas du rapport JET (2009) est aussi exemplaire d’une autre forme de parcours. La nouvelle est sortie, le 22 octobre, d’un site payant, de la Lettre d’Information Inside the Air Force (la même qui, le 26 novembre 2008, avait révélé l’information du premier rapport de l’équipe JET). La simple annonce sur le site, en accès libre, nous disait l'essentiel à cet égard: « Exclusive: New JSF Assessment Affirms Program Requires Billions More, Additional Time – DefenseAlert, Oct. 22, 2009 – A new assessment of the Joint Strike Fighter program affirms earlier findings that substantially more money and time are required for the Pentagon's largest acquisition effort, a conclusion that could pose a formidable test of Defense Secretary Robert Gates' recent support for the F-35 program and President Obama's pledge to terminate weapons with bloated price tags.»

Aussitôt, comme nous l’avons signalé le 24 octobre 2009, la nouvelle a été largement répandue sur les sites désormais connus comme relais des nouvelles concernant le JSF. Dès le 23 octobre, la nouvelle tombait dans le domaine “public”, avec une longue dépêche de Reuters qui était reprise par de nombreux médias (ABC.News, MSNBC, etc.) Cette situation était impensable seulement en novembre 2008, où la nouvelle avait été peine répercutée, uniquement sur Internet, puis reprise de loin en loin jusqu’à ce qu’elle soit présentée comme une nouvelle inédite le 23 juillet 2009 par le Congressional Quaterly Politics (voir notre F&C du 25 juillet 2009), en plein débat polémique sur l’abandon du F-22. Rien de tout cela n’eût été possible s’il n’y avait pas eu un site InsidetheDefense.com, lorsqu’il n’y avait que des Lettres d’Information papier de ce groupe, et si Internet n’avait pas imposé la polémique autour du programme JSF, notamment en suivant de fort près le développement du programme, souvent à partir de ses propres investigations et ses propres sources, également en relayant et en exploitant certaines publications à la diffusion très spécifique et très protégée, comme les Lettres de InsidetheDefense.com.

Plus que jamais l’ennemi du système

Ce que nous voulons évoquer d’une manière générale à partir de ces exemples particuliers est l’apparition structurée et durable d’un nouveau champ d’influence d’Internet, très différent d’un autre aspect déjà largement démontré qui est l’influence populaire directe passant par Internet (cas du référendum de mai 2005 en France). Il est vrai qu’il existe une formidable hostilité entre la chronique et le commentaire politique d’Internet et, au nom de leurs propres vertus professionnelles que les autres n’auraient pas, le journalisme de la presse-Pravda. Le second sent bien qu’il a un concurrent redoutable, voire mortel dans le premier; les arguments que le second oppose au premier pour le discréditer sont pathétiques. S’il y a sans aucun doute une majorité importante de chroniques et de commentaires politiques de piètre qualité sur Internet, le compliment peut être retourné, en encore plus accentué sans aucun doute, dans l’autre sens. La presse-Pravda, plus proche des autorités officielles, est caractérisée par l’épouvantable poids du conformisme et de l’alignement; les deux caractère combinés, la prétention au professionnalisme complètement contestable et d’ailleurs démentie par le second caractère, et le conformisme politique, forment une combinaison qu’on pourrait qualifier de suffisance de la servilité. C’est la caractéristique principale de la presse-Pravda, qu’on retrouve en général comme marque des milieux dirgeants et de la communication officielle qui les sert.

Mais le cas du JSF brise d’une façon systématique cet antagonisme entre Internet et la “presse officielle”, et le cloisonnement qui en résulte, peut-être à cause de sa position extrêmement ambivalente (un cas très “spécialisé” d’une part, en train de prendre une formidable dimension politique d’autre part, pourtant dégagé de toutes références idéologiques en apparence). Pour la première fois de façon affichée, on voit des journalistes de la “grande presse” qui ont leurs propres blogs sur les sites de leurs journaux collaborer avec, citer, etc., des chroniqueurs et commentateurs d’Internet. C’est le cas, par exemple, de Bill Sweetman (Defense & Technologie International/groupe McGraw-Hill), de Stephen Trimble (Flight International), qui citent régulièrement des références d’Internet (Sweetman l’a fait pour un article de dedefensa.org), la réciproque étant d’ailleurs vraie.

On peut se demander, à propos de ce type de journalistes qui parviennent à conserver une liberté d’esprit et un esprit critique, dans quelle mesure ils se trouvent à l’aise, ou dans quelles limites ils peuvent intervenir dans les médias où ils écrivent. Notre appréciation est que certains jugements et remarques de Sweetman sur son blog, concernant le JSF, trouveraient difficilement leur place sur le support papier qu’il dirige. C’est tout de même un cas fort intéressant, parce que l’inverse est vrai. A l’inverse, en effet, un groupe comme Lockheed Marin peut difficilement faire trop de barrage aux blogs de cette sorte de journaliste, notamment en tentant de le discréditer en tant que “non professionnel” d’Internet, alors que le journaliste professionnel intervient également dans un média-papier à grande diffusion.

Un autre signe de l’évolution de cette interconnexion entre “grande presse” et Internet se trouve dans l’écho rencontré sur Internet par le groupe InsidetheDefense.com (une catégorie de la “grande presse”-papier, mais très confidentielle sous sa forme de lettre d’information), très faible lors des informations sur le premier rapport JET, mais qui a conduit à une très forte diffusion générale de l’intervention de Inside the Air Force, à propos du second rapport JET, dans tous les réseaux, Internet et “grande presse”. Le cas du rapport sur le JSF de Johan Broeder bénéficie de ce même phénomène, relativement nouveau, d’interconnexion, avec une réussite certaine puisque son rapport a finalement fait l’objet d’une très grande publicité dans l’article de Defense News, d’une réaction de Lockheed Martin, d’une réaction favorable d’un expert US. Dans d’autres conditions, et notamment dans les conditions qui prévalaient il y a encore trois ou quatre ans, ce rapport serait resté à l’échelon national/local de la seule Hollande.

C’est à cet égard, pour le point de vue que nous abordons aujourd’hui, que le cas du JSF est du plus grand intérêt. Internet a joué un rôle essentiel pour faire sortir le programme de l’abri de la “bulle” virtualiste où il se trouvait jusqu’en 2007-2008. Il a montré qu’Internet et une frange honorable de la “grande presse” peuvent collaborer. La position ambigu du programme (simple matière spécialisée? Domaine idéologique du système de l’américanisme?) permet effectivement cette sorte d’ambiguïté dont un très grand profit peut être tiré, notamment par Internet, sans qu’Internet ne sacrifie en rien sa spécificité d’outil de résistance tout en accroissant de façon remarquable son crédit. Ces caractères pourraient très bien être transférés ensuite vers d’autres domaines, plus politiques.

C’est une perspective qu’on ne peut ignorer. Internet est entré dans son deuxième âge de force d’information. De la phase purement alternative et “dissidente”, il commence à mordre sur les marges les plus ouvertes de la “presse officielle”. Cela ne peut être négligé, au contraire c’est une perspective pleine de promesses. Il suffit de ne pas se perdre dans de mauvaises fréquentations mais, plutôt, d’attirer les autres vers les bonnes fréquentations. Il faut devenir encore plus les termites qui contribueront à pourrir un peu plus les fondations branlantes du système.

D’un autres point de vue, on peut être assuré que cette nouvelle extension de l’influence d’Internet dans le domaine des informations essentielles va rendre encore plus hostile et agressif le reste de la “presse officielle”, celle qui est plus que jamais “presse-Pravda”. Internet, devenu un acteur encore plus fondamental de l’immense bataille de la communication, qui est la bataille centrale de la crise et de l’affrontement avec le système, est plus qu’il n’a jamais été, l’ennemi prioritaire du système. Dont acte.