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1330Les deux chefs talibans capturés au Pakistan procurent à nos commentateurs un festin d’auto-congratulation. La nausée est au menu. Le bien nommé Christian Science Monitor du 25 février 2010 se demande si les talibans survivront. Dans OnLine Journal du 23 février 2010, Wayne Madsen, en général excellemment renseigné (voir sa lettre d’information Wayne Madsen Report [WMR]), a une autre version, précisément de la capture des deux chefs talibans Mullah Abdul Salam et Mullah Abdul Ghani Baradar.
«WMR’s intelligence sources in Asia report that the much-ballyhooed “capture” of two top Afghan Taliban commanders in Afghanistan was the result of a ruse cooked up by the CIA and Pakistan’s Inter-Services Intelligence (ISI) agency. The ”capture” came after an offer by the United States, NATO, and the UN to Taliban leaders of cash if they laid down their weapons and joined the Hamid Karzai government in Kabul.
»The two Taliban leaders captured were Mullah Abdul Salam, the Taliban’s rival governor of Afghanistan’s Kuduz province, and Mullah Abdul Ghani Baradar. Salam was captured in a CIA-ISI raid in Faisalabad, Pakistan. Baradar, the Taliban’s military commander, was also captured in Faisalabad.
»WMR has been told that the U.S.-NATO-UN “cash-for-peace” offer is now effectively dead as the Taliban and its allies now realize that the offer was a ruse designed to lure the Taliban leaders into the open. Baradar was given a guarantee of safe passage to meet with Japanese and European diplomats who were offering millions of dollars for the Taliban to integrate their forces with the Afghan government. When the Pentagon and CIA learned of the Taliban talks with the Europeans and Japanese and the details of Baradar’s planned meeting with the envoys, the CIA and its Pakistani colleagues pounced on Baradar. He is now reportedly being tortured by CIA personnel who want to know the location of his immediate boss, the elusive Taliban leader Mullah Mohammad Omar.
»The U.S. action has scuttled any hopes of future talks with the Taliban and Washington has signaled that its only solution for the Afghanistan situation is a military one.»
@PAYANT Cette version de la capture de deux chefs talibans rejoint une version que nous avons entendue à l’OTAN. Certes, il s’agit d’une interférence majeure, qui pourrait s’avérer catastrophique, sur les tentatives occidentalistes de regrouper des talibans modérés et de les amener à coopérer avec le gouvernement de Kaboul. Après cette affaire, la faction modérée, ou même une politique de modération des talibans, sont, du côté taliban, complètement discréditées et repoussées aux oubliettes.
La version que nous avons entendue à l’OTAN appuie notamment sur les intentions des deux acteurs principaux du raid, la CIA et l’ISI. Pour la CIA, il s’agissait avant tout de redorer un blason affreusement terni par l’attaque du 29 décembre 2009 en Afghanistan, contre un camp de la CIA, considérée comme une défaite majeure pour cette même CIA. (Voir notre Bloc-Notes du 13 janvier 2010.) D'une part, il y avait une volonté affirmée de prendre sa revanche contre cette attaque. D'autre part, la crainte de la CIA est aujourd'hui d’être déchargée d’une partie de ses prérogatives sur le théâtre AfPak (Afghanistan-Pakistan), voire complètement supplantée par d’autres services, notamment ceux du Pentagone qui entretiennent contre la CIA une hostilité bureaucratique qu’on pourrait apparenter à une attitude de type “haine corse”. La CIA a donc lancé cette opération au moins autant, sinon plus peut-être, en fonction du renforcement de sa position statutaire à Washington qu’en fonction de la situation sur le terrain, – quoiqu’il ne soit nullement assuré qu’elle ait saisi le sens stratégique de l’opération qui est de contribuer objectivement à porter un rude coup à la politique de tentative de rapprochement des “coalisés” vers des talibans modérés. (Rappelons que c’est notamment la thèse d’Holbrooke, l’envoyé spécial d’Obama pour le théâtre AfPak: on ne sera quitte de l’Afghanistan qu’en divisant les talibans, en isolant les radicaux et en traitant avec les modérés.)
Cette même thèse avance que le service de renseignement pakistanais ISI joue, comme à l’habitude, un jeu trouble, sinon double. L’ISI en resterait à sa politique traditionnelle qui est d’empêcher qu’un pouvoir s’établisse à Kaboul, sur lequel il n’aurait pas un contrôle sérieux, ce qu’il craindrait de ne pas avoir avec une alliance Karzaï-taliban modéré. Pour l’ISI, selon cette thèse, la liquidation des talibans modérés est une bonne affaire, en bloquant un tel arrangement et en renforçant les talibans radicaux, qui maintiennent l’Afghanistan en état de trouble profond et empêchent une stabilisation modérée et un gouvernement fort d’être établi. Dans ce cas, l’ISI aurait suivi la CIA, peut-être même en l'inspirant, avec une secrète satisfaction de voir les Américains se précipiter sur cette bonne aubaine.
Le résultat général serait un discrédit apporté à la politique de conciliation de la “coalition”. Le point politique essentiel à retenir autour de cette thèse, et ce qui lui donne du crédit, est le constat que les luttes bureaucratiques internes washingtoniennes, s’ajoutant bien sûr et sans surprise à la méconnaissance persistante des conditions du terrain, de la culture locale, etc., continuent à dominer l’activité extérieure US en rendant celle-ci inopérante et contre-productive. Comme toujours dans ce système à dominante bureaucratique en pleine crise de décadence et de fractionnement nihiliste, c’est la position bureaucratique interne des acteurs dans le système qui importe par-dessus tout, et nullement le résultat opérationnel direct de leur action sur les théâtres où ils opèrent.
Mis en ligne le 27 février 2010 à 13H31
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