Intuitions polonaises, généralités moscovites, sérieux doutes washingtoniens… le BMDE tremble

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Le système BMDE est-il une priorité d’Obama? Pas du tout, affirme l’ancien président polonais Aleksander Kwasniewski, qui se dit informé directement, – selon un rapport qu’en fait l’agence Novosti le 11 novembre

«Le déploiement du bouclier antimissile américain en Europe de l'Est ne fait pas partie des priorités de Barack Obama, le nouveau président des Etats-Unis, a estimé lundi soir à Varsovie l'ex-président polonais Aleksander Kwasniewski. “Je suis au courant de la position de Barack Obama et de ses conseillers. Aucune décision (sur le déploiement du bouclier antimissile américain) n'a été prise, et ce dossier semble ne pas faire partie des priorités de M. Obama”, a-t-il indiqué.

»Citant la crise financière mondiale parmi les principales préoccupations des Etats-Unis, M. Kwasniewski n'a pas exclu que Barack Obama renvoie à plus tard ou renonce au projet de bouclier antimissile. “Le bouclier antimissile est un des éléments des relations russo-américaines qui font l'objet de réflexions au sein de l'état-major de campagne de M. Obama”, a affirmé l'ex-dirigeant polonais.»

Autre détail, une dépêche assez énigmatique de la même agence Novosti, du 11 novembre également, se résumant à une affirmation assez vague et générale. Dans la situation actuelle, le vague et le général ne sont pas un obstacle au commentaire, surtout lorsqu'ils proviennent explicitement, et presque lourdement, d'une source identifiée comme “représentant le Kremlin”.

«Un compromis est “possible” entre la Russie et les Etats-Unis sur l'épineux dossier du bouclier antimissile, a déclaré mercredi un représentant du Kremlin sous couvert de l'anonymat. "Un compromis est possible", a-t-il indiqué.

»Selon l'interlocuteur de RIA Novosti, l'ancien président russe Vladimir Poutine avait proposé, lors du sommet du G8 de Heiligendamm (Allemagne), de coopérer face aux défis communs et de définir ensemble les méthodes à utiliser, tandis que les Etats-Unis veulent toujours faire cavalier seul...»

En début de semaine, le président polonais Lech Kaczynski, qui semble mener sa politique personnelle en coordination avec les présidents géorgien et ukranien, en général contre son propre gouvernement (comme l’Ukrainien, en conflit avec son gouvernement), téléphonait au vice-président-élu Joe Biden à Washington. Kaczynski avait fait, samedi, une première intervention couronnée d'une incertitude ressemblant à une rebuffade de la part d’Obama. La dépêche de Novosti rapportant le 11 novembre le contact avec Biden donne un rapport contrasté, comme un exposé étonnamment crue des méthodes de désinformation sans dissimuler de ce parti subventionné à visage découvert par le complexe militaro-industriel US (CMI). D’une part, les services du président polonais affirmaient que ce président avait reçu l’assurance du soutien complet au système BMDE, de l’autre les citations de la conversation que faisaient ces mêmes services ne disaient pas du tout cela et disaient même le contraire…

«Un entretien téléphonique a eu lieu lundi soir entre le vice-président américain élu Joe Biden et le président polonais Lech Kaczynski au cours duquel les Etats-Unis ont confirmé leur attachement au projet de bouclier antimissile en Europe de l'Est, a fait savoir la présidence polonaise.

»“Joe Biden estime que la promotion du bouclier antimissile par le nouveau locataire de la Maison Blanche dépendra de l'efficacité et de la rentabilité du projet”, a indiqué Mariusz Handzlik, chef du bureau des Affaires étrangères de la présidence polonaise, interrogé par la presse. Selon M. Handzlik, les deux interlocuteurs ont confirmé leur “volonté de promouvoir une coopération politique et militaire étroite entre les Etats-Unis et la Pologne”.»

Enfin, ce matin dans The Independent, Johann Hari fait un long historique de la “lubie” de Reagan qu’a constitué l’histoire du système anti-missiles depuis 1983 (au départ SDI pour Strategic Defense Initiative, Star War ou “Guerre des Etoiles” pour les amis). Il termine en mentionnant ce qui est la cause de ce développement: un coup de téléphone, un nouveau, de l’infatigable Lech Kaczynski, à Obama lui-même, et, cette fois, des mots plus précis qui assombrissent notablement le destin du système BMDE.

«There is now a possibility this will end at last. After speaking to Obama on Tuesday, the Polish President Lech Kaczynski said the project was seriously in doubt. During the campaign, Obama offered a third-way dodge on Star Wars: he said he supported it but “only if the technology is proved to be workable”. Well, we know it isn't workable. Obama is the first Presidential candidate of our time not to be taking money from the defence contractors. He has no political debt – but his country's is huge. Can it afford $10bn a year on this dangerous techno-trash?

»In the primaries, Obama pledged to pursue real multilateral nuclear disarmament – but the shield-fantasy ensures the opposite will happen: a dramatic increase in the nukes scattered across the globe. Of course, if Obama ditches Star Wars, the neoconservatives will accuse him of “backing down” and “showing weakness”. But is it really sensible to keep spending $10bn a year on an act of self-harm just to save face? The story that began with Reagan's dementia-fantasies should end with Obama's empiricism.»

Cet intéressant florilège de conversations, observations, supputations, tout cela à trois-quarts de mot plutôt qu'à demi-mot ou à mots à peine couverts, confirme bien que le programme BMDE est désormais en crise profonde, avec l’arrivée d’Obama. Les mots employés après l’entretien Kaczynski-Obama («…the Polish President Lech Kaczynski said the project was seriously in doubt»), qui ont sans doute été exigés par Obama pour qualifier leur entretien, donnent une tonalité de grande gravité, du point de vue des partisans du BMDE. L’habituelle réponse du côté d’Obama (le programme continue “si le système fonctionne technologiquement”) semble aujourd’hui s’élargir à une position plus nette, avec les dimensions politiques qui sont devenues celles de ce programme désormais impliquées. L’attitude des Russes, à la fois satisfaits et prudents dans leurs déclarations, montre qu’ils estiment désormais avoir certaines garanties sur l’évolution de l’attitude de la prochaine administration. (Les Russes viennent de repousser une nouvelle offre de “coopération” de l’actuelle administration, qui est simplement l’ancienne offre refaite en étant qualifiée de “nouvelle”. Ils disent ceci, dans Defense News [AFP] du 12 novembre : «Russia cannot accept U.S. proposals on missile defense and will take up negotiations with the administration of President-elect Barack Obama, a Kremlin official quoted by Russian news agencies said Nov. 12.»)

L’intensité des échanges divers sur cette affaire, et notamment les interventions de Kaczynski auprès des nouveaux dirigeants US, tend à accentuer la dramatisation de cette affaire et contribue largement à sa dimension politique grandissante. On retrouve, comme sempiternellement, cette “montée aux extrêmes” notamment due à l’absence de réalité des arguments divers qui se trouvent autour du développement du BMDE. Ce système, simple artefact destiné à faire rentrer de l'argent dans les caisses d'un complexe militaro-industriel complètement hors de contrôle, est discuté autour d’arguments stratégiques et politiques aussi fantaisistes que le concept technologique au départ. Pour cette raison, la tension monte entre ceux qui le défendent en se sentant le dos au mur, et l’équipe Obama qui se voit ainsi défiée à visages découverts, sur ce qui apparaît évident en transparence, avec le seul argument à peine implicite que cette réalisation du CMI doit aller de l’avant parce que le CMI en a décidé ainsi; cela se fait sur un sujet d’une telle importance, alors que l'administration Obama n’est même pas installée; cela représente de plus en plus un défi à l'autorité qu'elle doit à tout prix établir, et met au très grand jour le réseau de complicités et de corruption existant aujourd’hui en Europe de l’Est, organisé par le CMI, aux plus hauts échelons des Etats ainsi découverts comme purement fantoches. Même si l’équipe Obama veut éviter l’affrontement, il est possible qu’elle y soit conduite par l’attitude des défenseurs du BMDE.


Mis en ligne le 13 novembre 2008 à 06H25