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2144Avouons-le, assez penauds : il nous est impossible de confirmer ce qui a peut-être eu lieu effectivement, c’est-à-dire sans aucun doute ; on parle de l’invasion russe de l’Ukraine par la Russie, immédiatement réduite en cendres blindées par l’exceptionnelle artillerie de la très-vigilante armée ukrainienne. C’est-à-dire, soyons précis, l’invasion de l’Ukraine par 23 véhicules blindés russes, et puis non, peut-être un peu plus de 50 véhicules blindés russes, qui ont été vus comme je vous vois par les regards acerbes des journalistes du Guardian et du Telegraph, près de la frontière, et peut-être même une chenille en Ukraine et l’autre en Russie, et dans l’intention manifeste de franchir la frontière pour l’invasion de l’Ukraine, innocente et accablée par son voisin russe.
On ne les a pas retrouvés jusqu’ici en tant que tels, les envahisseurs blindés et les blindés envahisseurs, ce qui en fait l’invasion la plus élégante possible par sa discrétion. (Sans doute pourrait-on nous parler des “petits chars verts” comme on nous a parlé des “petits hommes verts” pour l’“invasion de la Crimée”, faite par l’intérieur qui plus est.)... Mais aussi, soyons précis, on ne les a pas retrouvés, ces envahisseurs, parce que le roi du chocolat, – alias président of the république ukrainienne, sorte de 51ème État de l’Union ou de 29ème État de l’UE c’est selon, – annonce que toute l’invasion, ou peut-être bien une bonne grosse partie d’entre elle, a été victorieusement et catégoriquement détruite par l’artillerie de l’armée ukrainienne qui accumule les succès. Voilà, succinctement résumé, l’épisode qui a sans aucun doute eu lieu puisque personne ne l’a vu réellement en train d’avoir eu lieu, puisque détruit avant d’avoir réellement eu lieu... Tout cela, en attendant mieux, ou pire, ou plus compliqué, ou démenti avec démenti confirmé ou bien c’est l’inverse, – on verra, hein...
• Tout cela a commencé par deux articles du Guardian (le
«The Guardian saw a column of 23 armoured personnel carriers, supported by fuel trucks and other logistics vehicles with official Russian military plates, travelling towards the border near the Russian town of Donetsk – about 200km away from Donetsk, Ukraine. After pausing by the side of the road until nightfall, the convoy crossed into Ukrainian territory, using a rough dirt track and clearly crossing through a gap in a barbed wire fence that demarcates the border. Armed men were visible in the gloom by the border fence as the column moved into Ukraine. Kiev has lost control of its side of the border in this area.
»The trucks are unlikely to represent a full-scale official Russian invasion, and it was unclear how far they planned to travel inside Ukrainian territory and how long they would stay. But it was incontrovertible evidence of what Ukraine has long claimed – that Russian troops are active inside its borders.
»It was also ironic given the attention to the huge convoy of humanitarian aid that moved slowly southwards on the M4 highway on Thursday. As the convoy moved closer to the stretch of border controlled by pro-Russian rebels it was hard to escape the feeling that Moscow's aid convoy had the potential to turn into a slow-motion disaster, perhaps even prompting a moment that could push Ukraine and Russia out of the messy conflict fought by proxies into full-blown, open engagement.»
• Douze heures plus tard, dans des textes qui présentent la même structure, la même confusion et le même empilement de diverses informations-supputations, les deux journaux londoniens ont réagi dans le même sens mais, disons, selon une nuance de la gamme de reportage vécu caractérisée par la prudence plus que la par la précision. Plus encore, il est hautement fait référence à la source extrêmement digne de foi, la confirmation sur le site du roi du chocolat, également président ukrainien, Porochenko, expliquant que l’invasion a bien eu lieu, – la preuve, puisqu’elle a été détruite sinon pulvérisée, – en partie dans tous les cas, mais on pourrait presque imaginer “complètement”, – si bien, possiblement, qu’on n’en retrouvera guère de traces absolument probantes. Il s’agit de comprendre ces informations avec l’imagination aidant. (Le Guardian du 16 août 2014, le Telegraph du 16 août 2014.) Un échantillon du Guardian, où le ton est beaucoup plus prudent (ce sont les autres qui le disent, c’est-à-dire ceux à qui l’on a lancé la patate chaude...) :
«Ukraine claims it has destroyed Russian military vehicles in the country's east, a day after a column was spotted moving across the border. Ukraine's president, Petro Poroshenko, told David Cameron by phone that his country's armed forces had destroyed part of an armed convoy that the Guardian saw moving through a gap in a border fence on Thursday night.
»There was no immediate proof, and it was impossible to establish if the Ukrainians had targeted the same convoy seen by the Guardian. The Russians categorically denied that any of their troops were even in Ukraine. But the claim marks a new escalation in the six-month confrontation over Ukraine and if verified would amount to the first confirmed military engagement between the two adversaries since the crisis began in the spring. “The president informed [Cameronw] that the information was trustworthy because the majority of those machines [Russian military vehicles] had been eliminated by the Ukrainian artillery at night,” a statement from Poroshenko's office read.»
• La réaction la plus habile somme toute, – et une fois n’est pas coutume, – a été celle du secrétaire général de l’OTAN, le sémillant Rasmussen, du type confirmation de l’invasion simplement parce que cela confirme tout ce que nous avons dit depuis des semaines sans la moindre confirmation. C’est une nouvelle façon de raisonner : la supputation assurée d’aujourd’hui (traduction de “nous avons vu”) confirme les diverses supputations d’hier, ou bien sont-ce les diverses supputations d’hier qui confirment la supputation d’aujourd’hui, ce qui fait qu’il n’est pas question de “supputations” mais certes de faits si tangibles qu’il n’est pas nécessaires de les confirmer ni même d’en montrer la réalité... («Nato said it had observed the Russian incursion. “What we have seen last night is the continuation of what we have seen for some time,” said the Nato secretary general, Anders Fogh Rasmussen.»)
• Au milieu de cette chaînes des confirmations confirmées parce que l’autre a confirmé, tandis que l’autre confirme puisque l’autre a confirmé et ainsi de suite, la seule, vraie et même colossale fausse note est venue de Washington. Surprise, surprise : même si la partie américaniste confirme que les Russes sont des vilains et qu’ils ont sans aucun doute l’intention d’agresser l’Ukraine et de provoquer une guerre peut-être mondiale, voilà qu’elle confesse qu’elle ne peut confirmer que l’invasion, celle du jour, a bien eu lieu. (Mais peut-être cela viendra-t-il ? Dans tous les cas, il y a du monde en vacances, à Washington.) Par exemple, Novosti publie ceci, le 16 août 2014 :
«Washington cannot confirm Kiev’s claims that a Russian military column crossed into Ukraine, US National Security Council (NSC) spokesperson Caitlin Hayden said in a statement Saturday. “We are working to gather more information regarding reports that Ukraine’s security forces disabled vehicles in a Russian military convoy inside Ukraine. We are not currently in a position to confirm these reports,” she said in a statement.
»However, Hayden added that the United States believed Russia to be providing the independence supporters with weapons and hardware and that Moscow could help de-escalate the situation by “stopping its supply of weapons, support and cash to separatists.”»
• Ici, on pourrait reprendre toute l’affaire en reprenant le compte-rendu qu’en fait ZeroHedge.com le 15 août 2014 au soir (aux USA). L’extrait est assez long mais permet d’avoir une bonne idée de la séquence, dans sa confusion grotesque, son absence de coordination, ses réactions compulsives (de la part du bloc BAO étendu à l’Ukraine tout cela). Y sont rapportées également les réactions des Russes, soit dans le chef du FBS, soit dans celui du ministère des affaires étrangères, etc., pour démentir toute idée d’invasion, voire des réactions de certains observateurs de l’ONU qui n’ont rien vu de ce qu’il est de bon ton de voir. Mais il y a eu certes des mouvements de véhicules blindés de la part des garde-frontières russes (en territoire russe) pour renforcer divers postes-frontières face aux bombardements sporadiques des Ukrainiens en Russie ... Autour de cela s’agite l’affaire du convoi humanitaire russe destiné au Donbass dont on ne sait où il est précisément sinon qu’il n’a sans doute pas franchi la frontière, tout cela avec diverses tractations, démentis, suspicion, accusations, bonnes intentions, etc. Voici donc le compte-rendu de ZeroHedge.com terminé par une hypothèse sympathique, – une centaine de véhicules blindés ukrainiens détruits dans la journée, en partie par les anti-Kiev qui se battent bien contrairement à l’annonce imminente, depuis plus d’une semaine, de la chute de Donetsk, – en partie par des tirs fratricides ukrainiens qui auraient pris leurs propres blindés pour l’invasion russe...
«While today's trading session was marked by news which at first blush correlated with what may be the 2014 equivalent of the Archduke Ferdinand shooting, in retrospect the newsflow made painfully little sense. Let's recap: Yesterday afternoon, two UK reporters working for the Guardian and Telegraph, supposedly located by the border in east Ukraine, reported that they were “eyewitnesses” as a convoy of military trucks crossed the Russian border into the breakaway Donetsk republic, aka Ukraine. While there have been photos of the military trucks that have accompanied the Russian humantiarian convoy on Russian territory, there has so far been no proof, aside from said eyewitness reports, confirming Russian military vehicles entered or were in Ukraine.
»This morning Ukraine military’s spokesman, Andriy Lysenko, shocked the world when newswires reported that Ukraine forces had attacked an armed convoy from Russia, and “destroyed” a part of it. This was subsequently reiterated by the president of Ukraine himself who said that “the given information was trustworthy and confirmed because the majority of that machines had been eliminated by the Ukrainian artillery at night” [...]
»Shortly thereafter, Russia responded when the Russian defense ministry said that there was no Russian military column that crossed into Eastern Ukraine, and that the above reports are based on “some fantasies.” This is where the breakdown of logic occurs, because for Russia to make such a formal statement it clearly implies that Russia believes there is no evidence of destruction of a Russian convoy in Ukraine territory, something which obviously would exist if indeed as Ukraine's president had claimed, the “majority of the machines had been eliminated.”
»If true, it also implies that either Ukraine had fabricated the entire story, and certainly the part about the destruction of the convoy and by extension that Russians had ever entered into East Ukraine. Furthermore, that would also suggest that the reports of the British reporters were also a fabrication. Unless, of course, there is evidence, in which case the credibility of the both the Guardian and Telegraph reporters can be preserved, Ukraine can not be accused of fabricating a story to suit what some may say its own warmongering ambitions, and the onus is on Russia to explain why it lied about there being no invasion.
»More to the point, the onus is on Ukraine to present some evidence, in fact any evidence, of a destroyed Russian military convoy instead of merely building upon a story conceived by the two UK media outlets, because if Ukraine indeed has no evidence, then its story falls apart and what's worse, the credibility and reputation of its government, of NATO and certainly of the UK press would be in tatters. So what other possibility is there? Well, one that is all too unpalatable for Ukraine, namely that in its excitement to blow something up, it may have well destroyed some of its own military vehicles. A possible lead to such a turn of events comes from this Interfax report citing the leadership of the breakaway Donetsk People's Republic. “A lot of Ukrainian armored vehicles were destroyed today, 7 at one place, 12 at another. And the same all over the DPR territory. A total of about 100 of them," [ DPR First Deputy Prime Minister Andrei Purgin told Interfax on Friday evening.]. The implication is clear: while 100 or so Ukraine armored vehicles may or may not have been destroyed, one wonders if indeed the Ukraine army was responsible in “aiding” the separatists with what would appear to be a friendly-fire incident?»
Certes, pour une fois nous avons sacrifié à l’actualité immédiate. Notre intention n’est certainement pas de trancher, ni de clore le débat par une affirmation, de désigner ici le coupable, là le menteur, là l’inconscient, là le benêt, là le spectateur étonné, ni même de conclure qu’il y a eu ou qu’il n’y a pas eu “invasion” nocturne et mal intentionnée, – et cela même si nous n’en pensons sans doute pas moins.. Non, notre intention est plutôt de constater l’évidence de l’extraordinaire désordre qui fait de cette affaire ukrainienne un objet considérablement original dans le concert bruyant et encombré de déclarations péremptoires de cette partie agitée des relations internationales. On aurait l’impression d’une sorte de “souk géopolitique” interprété par une cacophonie de la communication dont on vous assure qu’il s’agit d’une symphonie de type postmoderne, c’est-à-dire invertie et avec les partitions mises à l’envers.
Il va de soi que l’on serait bien entendu tenté de tenir compte de l’expérience déjà riche accumulée dans cette crise. L’on a à l’esprit ses péripéties passées et déjà nombreuses, où la partie BAO/Ukraine a mené la danse avec une telle énergie et une telle indifférence pour les diverses “vérités de situation” qu’il nous paraît logique de penser qu’elle a bien du mal à s’y retrouver dans les divers comptes-rendus et feuilles de route de ses diverses narrative à l’œuvre dans cette affaire, et dont les feuillets ont tendance à s’intervertir. Les Russes, eux, semblent suivre, l’œil toujours rond d’étonnement devant cette agitation, démentant imperturbablement ce qu’ils nomment une “fantaisie” dans le sens hollywoodien qui caractérise une catégorie de film («Russia’s government denied its forces had crossed into Ukraine, calling the Ukrainian report “some kind of fantasy”»). Ils sont tantôt inquiets, tantôt agacés, tantôt goguenards. Sans doute accumulent-ils de l’expérience pour d’éventuelles opérations à venir, au point qu’on pourrait croire qu’ils pourraient lancer une invasion de l’Ukraine sans que personne ne s’en aperçoive vraiment, – et certains de proclamer que la chose est déjà en train d’être faite, sinon déjà faite, etc.
Ainsi le contraste est-il saisissant, à la lumière d’un tel incident richement documenté par tant d’appréciations de communication, entre le désordre surréaliste, les affirmations allant dans tous les sens, l’absence complète de références sérieuses, bref le caractère presque d’une farce improvisée d’une part, et d’autre part les réels événements tragiques qui se déroulent vraiment (les batailles dans le Donbass, avec la situation humanitaire désastreuse), et la gravité de l’enjeu général de la crise. Ce contraste est certainement un des caractères les plus frappants d’une situation qui donne un aspect absolument inédit aux événements de la crise.
... Et ainsi la tension monte-t-elle, et ainsi les acteurs du bloc BAO peuvent-ils proclamer que tout va de plus en plus mal («There was no immediate proof, and it was impossible to establish if the Ukrainians... [...] But the claim marks a new escalation in the six-month confrontation over Ukraine... [...] A White House spokesman said last night: “The escalation in Russian activity designed to destabilise Ukraine in recent weeks is extremely dangerous and provocative.”») ... Mais tout cela, certes, sans que l’on sache exactement si cette montée de la tension a un véritable effet, si véritablement elle joue un rôle dans la crise, et sans que l’on sache où commence cette crise et où elle s’arrêtera. Attendons par conséquent les événements, – dont cet épisode n’est évidemment, pour l’instant, qu’une caricature ; eux seuls savent tenir compte de la dérisoire hystérie humaine et la mettre à la place qui convient ; eux seuls ont véritablement leur mot à dire.
Mis en ligne le 16 août 2014 à 10H00
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