Israël, annexe du Pentagone…

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Une des probabilités attendues d’une nouvelle Chambre des Représentants à majorité républicaine (éventualité tenue quasiment pour acquise avec les élections du 2 novembre), c’est une attaque violente contre l’aide US à l’étranger. Tout le poids de Tea Party se fera sentir dans ce sens. Si c’est le cas, qu’adviendrait-il de l’aide à Israël (autour de $3-$4 milliards par an), dont dépend presque à 100% la puissance militaire d'Israël et sa sécurité nationale ? Les partisans d’Israël sont inquiets.

Le Représentant républicain, chef de la majorité républicaine au Congrès, Eric Cantor, seul juif du groupe républicain à la Chambre, a son idée. Il l’a confiée à JTA (Jewish Telegraphic Agency), le 24 octobre 2010. Il s’agirait de faire inclure cette aide dans le budget du Pentagone, la mettant ainsi à l’abri relatif des fluctuations parlementaires.

«A Republican Congress would seek to remove funding for Israel from the foreign operations budget, a GOP leader said. U.S. Rep. Eric Cantor, the Republican whip and the only Jewish Republican in the House of Representatives, told JTA that a GOP-led House would seek to defund nations that do not share U.S. interests, even if it meant rejecting the president's foreign operations budget.

»Cantor, of Virginia, said he wants to protect funding for Israel should that situation arise. “Part of the dilemma is that Israel has been put in the overall foreign aid looping,” he said when asked about the increasing tendency of Republicans in recent years to vote against foreign operations appropriations. “I'm hoping we can see some kind of separation in terms of tax dollars going to Israel.”

»Cantor's statement was a sign that the Republican leadership was ready to defer to the party's right wing on this matter. Some on the GOP right have suggested including Israel aid in the defense budget, and a number of Tea Party-backed candidates have said they would vote against what is known in Congress as “foreign ops.”»

Cette proposition radicale de faire passer l’aide à Israël dans le budget du Pentagone est une opération très sérieusement envisagée, qui dénote d’abord le climat d’urgence où se trouvent certaines situations tenues jusqu’ici pour acquises. La perspective d’une mise en question complète de l’aide à l’étranger par une Chambre sous influence de Tea Party montre bien qu’on se prépare à certaines décisions radicales. L’intégration de l’aide à Israël dans le budget du Pentagone aurait l’avantage d’assurer une certaine protection organique à cette aide, mais elle aurait également diverses conséquences dont on mesure encore mal les effets, dont certains d’entre eux pourraient s’avérer très ambigus, voire très dangereux pour Israël.

• Le premier effet, capital, est de dissiper toutes les fictions développées jusqu’ici. La situation apparaîtrait pour ce qu’elle est dans la réalité comptable, mais avec des liens institutionnels nouveaux et contraignants. Pour ce qui est des liens avec les USA, point d’équilibre, voire de survie fondamental pour Israël, le doute ne serait plus permis : Israël est une dépendance du Pentagone et du complexe militaro-industriel. On le savait déjà sur la situation réelle et concrète, depuis plusieurs décennies, depuis le début des années 1980 où l’influence du Pentagone sur Israël était devenue prépondérante (voir notre F&C du 17 juillet 2006). Avec la mesure envisagée, la chose apparaîtrait au grand jour, – ce qui est loin d’être confortable, pour Israël essentiellement.

• Sur le plan pratique, une telle décision constituerait la constitution d’un formidable moyen de pression, presque absolu, du Pentagone sur Israël. D’ores et déjà, le Pentagone dispose d’une puissance de pression extrême, comme l’a montré l’affaire de la commande de vingt F-35 (JSF), qui a été imposée à l’armée israélienne. Dans les nouvelles conditions envisagées, le Pentagone disposerait de tous les moyens de manipuler l’aide à Israël, non pas tant pour la restreindre, que pour la diriger, l’orienter, en fonction de ses intérêts dans lesquels Israël aurait un rôle assigné. Cela impliquerait la perte définitive de toute souveraineté nationale pour Israël, comme l’a toujours craint l’ancien ministre de la défense Moshe Arens.

• L’un dans l’autre, une telle orientation, qui paraîtrait en termes de relations publiques un triomphe des relations privilégiées d’Israël avec les USA, voire de la prépondérance d’Israël dans la politique étrangère des USA, constituerait en réalité une perspective très différente. Israël serait définitivement liée, non pas au pouvoir US, non pas à la politique US, mais à un centre de pouvoir US, ce qui impliquerait qu’il serait entraîné dans un jeu extrêmement complexe, où aucune continuité de politique extérieure n’est assurée. (Par exemple, pour prendre un cas d’actualité, Israël, sous la coupe directe du Pentagone, serait quasiment complètement dépendant des décisions du Pentagone pour une attaque contre l’Iran, ou toute autre expédition de ce genre.) Qui plus est, Israël serait attaché à un centre de pouvoir extrêmement puissant, certes, mais qui est confronté à une crise ontologique. Dans ce cas, il n’est même pas dit que l’aide à Israël ne serait pas manipulée à l’intérieur du budget du DoD, selon les intérêts et les priorités du DoD.

…Dans tous les cas, il s’agit d’une bien étrange perspective. Il n'y a vraiment que dans une telle époque que la nôtre, en pleine crise déstructurante, qu'on puisse imaginer un montage pareil, et que des hommes politiques responsables puissent l'envisager à la fois comme viable et acceptable. Israël amarré à un énorme monstre (Moby Dick) en train de sombrer ?


Mis en ligne le 26 octobre 2010 à