Israël menacé dans son existence, mais par lui-même

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Le président israélien Shimon Pérès, jusqu’alors officiellement aligné sur la politique ultra-dure et d’une orthodoxie extrémiste de Netanyahou, se fait l’écho des alarmes exprimées au début du mois par l’ancien chef du Mossad Meier Dagan. (Voir notre F&C du 4 juin 2011.) Cette intervention de Pérès a sans aucun doute un poids politique très important et semble confirmer d’un sceau très officiel les déclarations de Dagan.

Pérès estime qu’Israël est “en danger de cesser d’exister entant qu’Etat juif”, mais nullement par crainte fantasmagorique du nouvel Holocauste type-Ahmadinejad soigneusement entretenue par la narrative américaniste-occidentaliste courante ; le danger vient d’Israël lui-même, de la politique menée par Netanyahou et sa bande. Pour Pérès, si des négociations de paix avec les Palestiniens ne sont pas rouvertes, le danger deviendra extraordinairement pressant, et cela en connexion directe avec l’événement de septembre 2011 de la proclamation unilatérale de l’Etat palestinien. Pérès prend également, indirectement, position contre la politique de rejet radical des frontières de 1967 proclamée par Netanyahou.

Haaretz rapporte, le 17 juin 2011, ces déclarations du président israélien.

«President Shimon Peres is concerned that Israel might become a binational state, in which case, he warned, it would cease to exist as a Jewish state. “I'm concerned about the continued freeze [in the peace talks] ,” Peres said to people who visited him this week. “I'm concerned that Israel will become a binational state. What is happening now is total foot-dragging. We're about to crash into the wall. We're galloping at full speed toward a situation where Israel will cease to exist as a Jewish state.” […]

»“Whoever accepts the basic principle of the 1967 lines will receive international support from the world,” Peres said. “Whoever rejects it will lose the world.” He was referring to Prime Minister Benjamin Netanyahu's vehement objection to starting peace talks on the basis of the 1967 lines, which he called “indefensible” in both the Knesset and the U.S. Congress. […]

»Peres also voiced fear that Israel might be subjected to economic boycotts and sanctions. ”There's no need for boycotts,” he said. “It would suffice for ports in Europe or Canada to stop unloading Israeli merchandise. It's already beginning.” “September is only a date,” he added, referring to Palestinian plans to seek UN recognition as a state then. “The question is what will happen before and after.”»

Pérès est président depuis quatre ans et il lui reste encore trois années dans cette fonction. Aussi repousse-t-il, pour l’instant dans tous les cas, les conseils de certains de ses amis de prendre la tête d’une opposition à Netanyahou, sans doute aux côtés d’un Dagan, parce qu’il juge que sa fonction ne lui permet pas de prendre une position partisane.

Il n’empêche, ce qui est dit est dit. Dans la situation intérieure explosive que connaît aujourd’hui Israël, au sein même de sa direction politique, les déclarations de Pérès confirment qu’on ne peut plus désormais considérer cette direction politique en général comme un bloc furieux et monolithique, suivant aveuglément une politique extrémiste de puissance sans aucune considération pour quelque alternative moins radicale. Les nuances apparaissent désormais et se rapprochent d’être des failles béantes qui pourraient être des ruptures. On observera avec un certain intérêt, et en considérant que la chose laisse beaucoup à penser dans le domaine de la concordance des forces extérieures aux seules manigances humaines, combien Israël suit une ligne parallèle à celle des USA ; en Israël, comme aux USA, ce déchirement de la direction politique implique bel et bien la mise en cause de la fameuse “politique de l’idéologie et de l’instinct”, version israélienne. Certes, les causes immédiates sont différentes, mais l’hypothèse doit être retenue que ces causes renvoient à ces mêmes forces signalées plus haut et surpassant manifestement les interférences humaines pour au contraire imposer sa puissance aux mêmes agitations humaines. Il s’agit d’un changement d’époque, dans le cours de l’effondrement du Système et pour ouvrir une nouvelle étape accélérée de cet effondrement ; un changement d’époque qui renvoie la “politique de l’idéologie et de l’instinct” à son temps rendu obsolète par la pression puissante de l’“eschatologisation” de la crise générale.

Pour Israël, la poursuite aveugle de cette “politique de l’idéologie et de l’instinct” apparaît brusquement, à des secteurs grandissants de sa direction politique, comme catastrophique pour la stabilité même, voire l’existence du pays, – ce qui n’implique pas une manifestation d’opposition et de révolte au Système en tant que tel, mais une division de plus en plus dommageable dans la façon de protéger ses intérêts, voire d’aménager les conditions de son effondrement (sans qu’on soit nécessairement conscient de cet effondrement). A cet égard, les paroles de Pérès ont un poids et une solennité considérable, en raison autant de la fonction de celui qui les dit, de sa position jusqu’alors orthodoxe, des perspectives précises et à court terme qu’il fixe pour rien moins que la possible mise en cause de l’existence de l’Etat juif en tant que tel. Cette évocation concerne en plus une perspective à très court terme, ce qui accroît son urgence et sa pression. Enfin, elle participe puissamment, là sans intention consciente mais comme une conséquence “objective”, à la déstructuration de l’édifice virtualiste du Système, exécuté par le système de la communication, basé sur l’évocation terroriste de la référence à l’Holocauste dont l’automatisme psychologique conduit à évoquer régulièrement le renouvellement dans des conditions grossièrement abracadabrantesques ; surtout, cela, lorsqu’il s’agit de la soi disant “menace” iranienne régulièrement agitée par les extrémistes de la bande Netanyahou et relayée par le parti des salonnards parisien et transeuropéen, et les machinations corruptrices du Lobby (l’AIPAC) à Washington.

Les déclarations de Pérès doivent aussi avoir un effet dans le débat officieux, ouvert par Dagan, concernant d’éventuels projets de Netanyahou d’attaque de l’Iran avant la possible proclamation d’un Etat palestinien. (D’où l’importance du mot before dans la déclaration de Pérès, qui est manifestement une allusion à la chose : «The question is what will happen before and after.»)


Mis en ligne le 20 juin 2011 à 07H29