Journalisme made in CIA (III) : DIA-PhG, Belgique et JSF-Rafale

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Journalisme made in CIA (III) : DIA-PhG, Belgique et JSF-Rafale

Il nous a semblé, à l’une ou l’autre réaction de l’un ou l’autre lecteur, que le récit détaillé de la manipulation de la DIA à l’encontre de PhG mentionnée le 22 octobre 2014 pouvait être de quelque intérêt pour nos lecteurs. Pour cette raison, nous publions par ailleurs, ce même 24 octobre 2014, un extrait conséquent de ce qui est actuellement, – classification accessoire ou par défaut, ou peut-être sans avenir, – la Troisième Partie du Tome III des Mémoires du dehors, dans laquelle est décrite la participation de l’auteur, en tant que journaliste éditeur d’une Lettre d’Analyse indépendante (de defensa & eurostratégie), à la bataille entre la France et les USA, entre 1986 et 1989, pour la participation de la Belgique au développement d’un avion de combat nouveau, dit éventuellement de “quatrième génération et demie”. Il s’agissait de l’avion français Dassault Rafale, que la France offrait en co-développement à la Belgique, et de l’Agile Falcon que General Dynamics offrait en concurrence à la Belgique. (L’Agile Falcon était une version-papier du F-16 qui n’exista jamais et dont il ne fut jamais question dans l’esprit de la direction de General Dynamics qui produisait le F-16 qu’elle existât jamais, qui fut un simple instrument de relations publiques pour contrer l’offre française.)

Ce récit détaillé, qui comprend notamment les situations et certaines évolutions des psychologies des personnages, permet de mieux détailler ce que peut être la bataille de la communication dans cette sorte de marché. D’autre part, la bataille franco-US elle-même pour un Rafale franco-belge est aujourd’hui largement oubliée, si pas complètement ; à cette époque, la France avait des arguments, et l’on pouvait se considérer comme “européen” sans déchoir complètement, et même avec une certaine alacrité. (PhG lui-même affirmait l’être sans penser déchoir dans la servitude bureaucratique et idéologique, c’est dire...) On trouve une autre longue mention de cette affaire du “Rafale en Belgique” de 1986-1989 dans un autre de nos textes qui pourrait être lu par les grands-pères qui participèrent à cet affrontement, aux “jeunes” d’aujourd’hui peuplant les cabinets ministériels, qui ont tout vu et tout compris (texte, le 10 octobre 2009)... Nous en donnons quelques extraits.

«Parallèlement, une autre affaire avait démarré, impliquant une coopération sur le Rafale. A propos de la même réunion du GEIP du 28 avril 1986 à Madrid mentionnée plus haut, nous notions, dans de defensa du 10 mai 1986: “A Madrid, les Belges ont annoncé officiellement leurs contacts avec les Français à propos du programme Rafale (éventuel ACE-II). Des délégations industrielles des deux pays vont commencer le travail de négociation dans les prochaines semaines.” Une affaire était lancée, qui allait durer trois années agitées... L’idée était celle d’une participation financière belge dans le programme de développement du Rafale, les Belges attendant des retombées technologiques et des charges de travail. Implicitement, les Belges envisageaient le remplacement rapide de leurs F-16 par le Rafale.... [...]

»Il y eut même un “concurrent” américain, annoncé en avril 1987 et sorti de sa pochette-surprise sous forme d’illustrations et de plans trois-vues en novembre 1987 – une bonne année après l’entrée en lice du Rafale. Le “maître d’œuvre” de ce coup publicitaire était évidemment General Dynamics (constructeur du F-16, racheté par Lockheed en 1992 et donc aujourd’hui partie intégrante de Lockheed Martin avec sa grande usine de Fort-Worth). Il s’agissait de l’Agile Falcon, version du F-16 classique dotée de quelques boulons et fioritures de plus et présentée comme une sorte de “super-F-16” (le nom de baptême du F-16 est Falcon)...[...]

»Les Français sont arrivés en ne comprenant pas grand’chose à la Belgique, et ils en repartirent sans en savoir plus. Ils écoutèrent des conseillers intéressés qui leur recommandèrent de traiter cette affaire de la façon la plus discrète possible. Le principal conseiller belge des Français, qui trônait dans un grand établissement financier et bancaire belge et francophone, et en logique cartésienne intéressé d’investir dans le projet de coopération Rafale, était lui-même un ancien chef de cabinet d’un Premier ministre belge flamand, et lui-même, ce conseiller, avec un pied dans des intérêts flamands opposés par intérêt et idéologie à un projet français de cette importance. On aurait pu imaginer qu’il (ce conseiller) avait été placé là, autant pour soutenir que pour bloquer le projet français soutenu à fond par un establishment militaire belge alors très pro-français, voire de culture “gaulliste” (sauf les opérationnels de la Force Aérienne, plutôt de culture western-Hollywood).

»Les Français se laissèrent prendre dans les rets de leur(s) conseiller(s) autochtone(s): “Il faut agir discrètement, en sollicitant les influences souterraines dans les milieux politiques et financiers”. Ils ne comprirent pas l’un des fondements du système belge: il n’y a pas d’argent disponible mais si des mouvements publics y poussent, on en trouvera. Le choix de passer par des canaux souterrains, où il y avait de forts intérêts anti-français soutenus par la puissance financière US (plus efficace que l’Agile Falcon), conduisait effectivement à se heurter à la fin de non-recevoir vertueuse des apparences d’austérité du système belge.

»Avec la meilleure foi du monde, la plus grande ingénuité possible, les Français conduisirent une désastreuse campagne de relations publiques. Convaincus par leurs relais belges et discrets d’eux-mêmes rester discrets, ils furent plutôt les “victimes” de la méthode. Ils ne comprirent jamais qu’en rendant le dossier public, ils auraient pu obtenir un soutien médiatique basé sur l’intérêt technologique pour la Belgique d’une coopération, qui aurait poussé le monde politique belge dans ce sens. En trois ans de bataille rangée en Belgique, Dassault organisa [en 1987] une seule tournée de promotions de deux jours (usines de Bordeaux, centre d’essais de Istres, direction parisienne), pour une trentaine de journalistes belges. Dans les deux mois qui suivirent, on décompta plus de 80 articles dans la presse belge, tous à la gloire de la puissance technologique française qui avait stupéfié les journalistes belges. Malgré quelques timides tentatives, aucune visite des infrastructures Dassault ne fut organisée pour les parlementaires belges, à propos de laquelle certains, et non des moins influents, se montraient très intéressés jusqu’à la solliciter par des intermédiaires officieux.

»La dialectique était également fautive. La proposition française avait comme fil logique de fournir la base franco-belge à un Rafale transformé en deuxième chasseur européen, selon la logique [du secrétaire d’État à la défense néerlandais] Van Houwellingen. Il fallait donc parler Europe. Un exemple éclairant de la chose: lors de la luxueuse conférence de presse Dassault (Serge Dassault et Bruno Revellin-Falcoz), au Rond-Point des Champs-Elysées, en clôture de la tournée de presse signalée plus haut, pas une seule fois les deux dirigeants français ne prononcèrent le mot “Europe”. [...]

»...L’année 1989 fut celle de la débâcle du projet franco-belge. Les Français tentèrent d’intéresser l’exécutif wallon (dirigeant la partie francophone du pays). L’affaire aurait pu se faire, comme elle aurait pu se faire plus tôt, avec l’exécutif national (fédéral), avec plus d’alacrité, de volonté, de dynamisme impératif du côté français, et la conscience de chercher à faire un avion étiqueté “européen” plutôt que de vendre un projet français.

»En 1989, il était trop tard...»

... Au fait, pourquoi nous attarder à une affaire qui paraît si dépassée, par le temps, par les mœurs, par les protagonistes, et surtout par les circonstances politiques et métahistoriques extraordinaires que nous connaissons ? Parce qu’un fantôme est réapparu récemment, ou une sorte de monstre du Loch Ness rescapé d’une autre époque. C’est le retour de la Belgique sur la scène de l’aéronautique de combat avec la projet fabuleux, – au sens qu’on donnait au conte d’antan, pleins de magie et d’enchanteurs, – de remplacer les F-16 belges d’un autre siècle par un nouvel avion, – qui pourrait être idéalement, certes, pour tant d’esprits acquis au Système, le JSF... Mais pas si vite, car l’affaire n’est pas encore conclue.

La Belgique a une longue histoire polémique et significative, dans le domaine des avions de combat, avec des rapports souvent spectaculaires et des marchés extrêmement agités, essentiellement avec les États-Unis et la France comme concurrents. On doit essentiellement songer au “marché du siècle” qui aboutit au choix du F-16 contre le F1-E Mirage français, en 1973-1975 (voir le texte du 2 décembre 2002, qui reprend dans une de ses parties l’historique détaillé de ce marché) ; la bataille entre le Rafale et l’Agile Falcon en 1986-1989, dont nous venons de parler abondamment ci-dessus ; et une prise de position significative contre le JSF, en 2002, lorsque les Hollandais choisirent effectivement le JSF (voir le texte du 15 février 2002).

Or, il se passe que ressurgit aujourd’hui la possibilité d’un nouvel affrontement entre la France et les États-Unis sur le territoire de la Belgique. Un nouveau gouvernement belge (depuis début octobre) se met en place, qui a à son programme, de façon explicite, le remplacement des très vieux F-16 (livrés en 1979-1983) de la Force Aérienne. On parle de ce remplacement depuis deux bonnes années, et le précédent ministre de la défense avait affiché sa préférence impérative pour le JSF américaniste. Il semble désormais acquis qu’il n’y a pas encore de choix réel et qu’il y aura compétition entre plusieurs avions, dont le JSF et le Rafale. (On compte normalement 5 concurrents pour ce marché : outre les deux nommés, l’Eurofighter Typhoon, le SAAB Gripen suédois, le F-18 des USA.) Il existe également la possibilité que les F-16 ne soient pas remplacés et que la Belgique abandonne la composante “de combat” de sa flotte aérienne, mais cela reste une option très marginale, d’autant que les pressions sur la Belgique pour le maintien d’une flotte de combat sont et seront considérables, venues essentiellement de l’OTAN sacro-sainte.

Comme on l’a dit, jusqu’à cet été et depuis deux ans, le choix du JSF semblait être presque acquis. Ce n’est plus le cas avec le nouveau gouvernement, où le ministre de la défense Pieter De Crem, le partisan acharné du JSF, n’est plus à ce poste. Une nouvelle position est apparue, qui émet de graves réserves à propos du JSF et affirme qu’il faut tenir compte des autres concurrents. On trouve cette position dans les déclarations d’un député belge, qui est du parti MR présent dans la nouvelle coalition (le Premier ministre est lui-même MR), déclarations faites le 26 août 2014 pour l’agence Belga...

«Le remplacement des F16 qu'envisage la future majorité doit également être analysé du point de vue du retour industriel et en termes d'emploi, estime le député Denis Ducarme (MR). Or, à cet égard, l'offre du F-35 n'ouvre guère de perspective. “Quand j'écoute les déclarations du vice-président de la firme F-35, et que j'entends qu'il n'y a pas de retombées économiques pour un marché comme le marché belge, je dis qu'il faut regarder les offres des autres firmes”, a déclaré M. Ducarme au micro de La Première. [...]

»La Belgique ne s'est pas jointe au programme de fabrication de ce chasseur-bombardier coûteux mené par la société d'armement américaine Lockheed Martin. Les chances du royaume d'attirer sur lui des retombées économiques sont donc minces. Selon M. Ducarme, les offres des concurrents européens du F-35 sont plus intéressantes. “Je pense qu'aujourd'hui, en termes de retour industriel, les offres européennes du point de vue du retour industriel sont plus intéressantes. Je parle ici en milliers d'emplois. Remplacer des F-16, c'est aussi créer de la richesse en Belgique”, a-t-il ajouté.»

La bataille pour le remplacement du F-16 devrait commencer d’ici la fin de l’année et battre son plein dès 2015, pour durer peut-être jusqu’en 2017. Malgré la petitesse du marché (autour de 40 appareils), ce n’est pas un cas inintéressant, – bien au contraire, dirions-nous, ce pourrait être une affaire fondamentale pour l’aéronautique, pour la situation politique transatlantique, les relations USA-Europe, l’UE, l’OTAN, etc. Cette sorte d’empoignade, ce fut toujours le cas pour la Belgique, et ce pourrait l’être plus que ce ne le fut jamais si les événements y contribuent. Nous développons quelques points qui justifient cette appréciation hypothétique et font que cette affaire de quincaillerie militaire qui semblerait assez mineure pourrait acquérir des dimensions considérables, sinon colossales, où les classifications entre Système et antiSystème, et la situation de “discorde chez l’ennemi” (à l’intérieur du bloc BAO) pourraient y trouver une place.

• Stratégiquement, la Belgique est importante pour les USA et le JSF, non pour l’importance de sa commande, mais parce qu’avec ce pays se complète l’investissement par les USA du noyau central de la soi-disant “vieille Europe” par le JSF en même temps que ce reconstitue le “quatuor magique” de la grande victoire US de 1975 (le choix du F-16 par la Belgique, le Danemark, la Hollande et la Norvège, quatre pays regroupés en consortium). Avec la Belgique et les trois autres petits pays cités, les USA tiennent l’Italie et le Royaume-Uni, laissant la France, – leur grand concurrent avec le Rafale, – complètement isolée en Europe dans le domaine des avions de combat, – et donc avec une option irrésistible pour eux (pour les USA et le JSF) pour les autres pays européens lorsque viendra le temps du remplacement de leurs flottes actuelles. Bien entendu, il s’agit là d’une raisonnement typiquement américaniste, absolument monopolistique, anti-français (malgré le président-poire), et surtout ne tenant aucun compte des conditions déstructurantes et dissolvantes colossales de la grande crise d’effondrement du Système qui exerce sa pression partout... Mais nous n’utilisons cet argument que pour faire comprendre pourquoi ce marché assez réduit de la Belgique est important pour les USA et est par conséquent important per se.

• D’une façon plus générale, la Belgique est un pays sans beaucoup de poids, aux engagements élastiques faits pour déplaire le moins possible à toutes les puissances qui s’exercent sur lui, – mais qui, pourtant, certainement contre son gré, occupe une place géographique et européenne centrale, et a la réputation d’être à la fois atlantiste et européen. Du point de vue de la communication, sans même chercher à discuter des valeurs politiques intrinsèques engagées ou pas dans cette affaire, la Belgique est importante du point de vue de la communication et une compétition pour de nouveaux avions de combat aurait un très grand écho.

• Elle aurait et aura d’autant plus d’écho que c’est sans aucun doute la première fois, d’une façon aussi ouverte, aussi frontale, aussi spectaculaire du point de vue de la communication, que le JSF ayant établi son empire quasi-monopolistique aura affaire à un véritable adversaire, – c’est-à-dire le français Rafale. Les deux avions ont déjà été opposé en évaluation (voir notamment la Hollande, le 30 janvier 2002), et le Rafale s’est montré factuellement (il était déjà opérationnel) largement aussi bon qu’un JSF évalué théoriquement (avec toutes les impostures qui accompagnèrent les présentations qui en furent faites par Lockheed Martin, et le parti-pris pro-US extraordinaire de la Force Aérienne hollandaise). Depuis, le JSF a trouvé son énorme marché, non sur sa valeur qui est au mieux totalement insaisissable et marécageuse, et au pire absolument nulle sinon négative, mais par la pression écrasante des USA et du Système. Et c’est là qu’on peut parler d’une “première fois”, l’avion français s’attaquant vraiment à une forteresse appuyée sur la puissance US. (Les autres concurrents, qui vont du médiocre [Gripen, F-18] au catastrophique [Eurofighter] peuvent être mentionnés si l’on s’y intéresse, mais ils ne sont là que pour la figuration, – ce qui n’exclut pas qu’ils aient leur chance, simplement par terreur de la Belgique d’avoir à choisir entre le JSF et le Rafale.) Bref, nous aurons pour la première fois face-à-face, grandeur nature, la meilleure narrative du monde (le JSF, éventuellement le modèle en bois exposé au sommet de l’OTAN, [voir le 2 septembre 2014]) et le meilleur avion de combat, peut-être du monde (les avions russes font le poids, tout de même...), certainement du bloc BAO.

• Les deux principaux concurrents sont déterminés. Les USA exercent d’ores et déjà une pression constante sur la Belgique, ils mettent en place leurs réseaux, ils renforcent leurs équipes de désinformation et de diffamation (DIA, CIA & compagnie), etc. Mais les Français, certainement Dassault dans tous les cas, sont déterminés à figurer dans ce marché, d’une façon offensive, pour l’emporter. Ils utiliseriont à fond l’argument européen qui, pour une fois, peut s’avérer utile. La complète soumission de la France du président-poire à Bruxelles leur donne une pseudo-vertu européenne qui leur était chicanée lorsque la France avait encore quelques miettes de gaullisme. Cette fois, les Belges ne pourront qu’accepter l’argument européen, d’autant qu’il sera assorti d’offres de compensation et de coopération où les Français excellent, au contraire des USA, qui se foutent absolument de cet aspect des choses, comme ils se foutent de leurs clients qui doivent être d’abord des vassaux. Eux, les Américains, ils auront pour eux la terreur transatlantique, les drones-tueurs, les pratiques de la CIA-DIA, leurs inclinations roboratives à bombarder tout ce qui bouge, la “menace russe” d’invasion de l’Europe jusqu’à Brest en partant de Vladivostok et ainsi de suite.

 

Mis en ligne le 24 octobre 2014 à 06H35