Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
14551er juillet 2008 — Depuis que la Parlement hollandais a dit son mot soupçonneux sur le sort du JSF dans ce pays, le 28 mai, les affaires du même JSF dans ce même pays se compliquent. Comme on l’avait vu, l’un des points principaux de ce qu’on pourrait appeler des “mesures de vérification” de la justesse du choix du JSF était un nouveau processus de sélection entre le JSF et ses concurrents “naturels”. Il s’agit essentiellement du Rafale de Dassault et du Typhoon d’Eurofighter, les deux concurrents principaux déjà présents dans le premier processus du genre, en 2001-2002.
Il se trouve qu’il y a un problème. Le 28 juin, on a appris que les deux concurrents, Dassault et Eurofighter, venaient de faire savoir qu’ils ne sont pas intéressés. Un porte-parole d’Eurofighter : «Nous pensons que cela sera seulement la confirmation d’une décision prise depuis longtemps, un choix en faveur du JSF.» Traduisons : “Nous n’avons aucunement l’intention de dépenser un euro et de passer pour des jobards en prime, en donnant à cette mascarade, par notre présence, l’apparence d’une compétition loyale.”
Le quotidien hollandais NRC Handelsblad, sous la plume de Steven Derix, annonce la nouvelle sur son site le 28 juin, et aussi dans son édition papier du même jour. Derix commente: «The Dutch Air Force officials are not impressed. If companies do not supply information in time, they will not participate in the evaluation.» Voire... Certaines informations indiquent qu’il est bien possible que Dassault et Eurofighter reçoivent la visite du secrétaire d’Etat à la défense hollandais Jack de Vries, qui les presserait de participer à la compétition.
(A moins que… La contradiction entre le commentaire sur l’indifférence de la RNethAF [Royal Netherland Air Force] et le possible préoccupation du ministre pourrait être expliquée. Il suffit de prêter attention à un autre commentaire, venu de milieux proches de la RNethAF, selon lequel l’équipe d’évaluation de remplacement du F-16 dirigée par le colonel Jan Geerdes, – oserait-on dire “l’équipe d’évaluation pour le choix du JSF”? – serait simplement “out of control”. Elle mène sa propre croisade en quatrième vitesse, on imagine dans quel but, pour cochonner rapidement les instructions du Parlement et du ministre et en venir au principal: entériner vite fait le choix du JSF.)
Les Suédois de SAAB ont également été appelés à participer, dans une requête dont la légèreté le dispute à l’impudence. Commentaire de Derix sur le cas des stupéfaits Suédois, continuellement rembarrés ou ignorés par les Hollandais et soudain appelés à la rescousse pour badigeonner d’un vernis vertueux une décision déjà faite dans la tête des généraux-aviateurs hollandais depuis 1994 (à peu près, – année de l’accord informel entre le n°3 du Pentagone
«Big surprise at aircraft manufacturer Gripen International in Linköping. On May 29 the Swedish company (part of the Saab group) suddenly got an e-mail from the Dutch Colonel Robert Jan Geerdes. The Ministry of Defence would like to come to Sweden as soon as possible tot talk about the Gripen Next Generation, the latest version of the Swedish fighter, of which a previous version was rejected by the Netherlands. Could they visit them within one week, Friday, June 6 may be? The Swedes scratched behind the ears. Was this a serious request?
»In 2002 the Dutch airforce had evaluated six possible successors to the F-16. The Gripen was one of the first removed from the Dutch list. In the Dutch opinion the Swedish aircraft could not fly far enough and could not have enough bombs on board.
(…)
»Why would the Gripen now suddenly be taken seriously, asked people in Linköping. In the questionnaire that we got, the Swedish fighter was not even mentioned as a candidate. “The Dutch government, the Ministry of Defence to establish a comparative analysis of the Rafale, the Eurofighter, and the advanced F-16,” wrote Defense in their Questionnaire on May 27.»
D’autres précisions sont données sur le processus étrange qui s’est engagé depuis la décision de la fin mai. Tout cela se fait très, très rapidement, comme si le ciel allait nous tomber sur la tête. Les délais imposés par le groupe du colonel Jan Geerdes, agissant semble-t-il sur sa propre initiative et sans en informer ni le ministre ni le Parlement, sont impossibles à tenir, et ainsi de suite. La sélection se fait d’une façon très autoritaire, selon des méthodes marxistes, tendance Groucho. A nouveau quelques mots de Steven Derix, décrivant cet étrange désordre qui semble si inhabituel par rapport aux coutumes de la très professionnelle RNethAF:
«Yesterday [June 27] the Deputy Minister of Defence Jack de Vries (CDA) finally sent a letter on the evaluation candidates to the Lower House. De Vries confirms the fact that the Gripen will be a candidate again. The Deputy Minister reports, moreover, that the consultant Rand-Europe will monitor the evaluation of candidates. “In the light of the request of [PvdA Labour Party leader] Eijsink,” De Vries writes, “I also would like to shape the independence during the evaluation process in this way”.
»But the Air Force did not wait for the letter from the State. In February 2009 the Dutch Airforce wants to purchase the first JSF test plane definitely. Before that time, the evaluation of fighter candidates has to be completed. On June 20 Gripen and all other relevant manufacturers already received a new questionnaire. It told the Dutch Defence had a hard deadline: the hundreds of technical and very detailed questions have to be answered before July 31.
»According to the aviation industry that is an impossible task. Providing the information requested will cost much more time. Many details are military secret, and this has to be released by national governments. “Companies can normally count on a period of 90 days to respond,” wrote Gripen International on June 25 to the Dutch Defence. In the letter the SAAB group asks to postpone the closing date until 30 september.»
Essayons de résumer cette étrange jeu de fausses pistes. Au départ, un des partis de la coalition au pouvoir, le PvdA, veut une réévaluation du “choix” du JSF, – “choix” qui n’est pas fait, en théorie, alors que la Hollande est engagée jusqu’au cou dans le programme. Cette réévaluation est nécessaire parce que, depuis 2-3 ans, le JSF fait vraiment désordre , prend du retard, rencontre des problèmes techniques et s’annonce comme devant coûter vraiment très cher. On arrive à un compromis, le 28 mai au Parlement. Les politiques pro-JSF (de Vries) sont comptables de ce compromis, qui implique l’apparence d’une compétition sérieuse. Les militaires pro-JSF, eux, semblent peu intéressés par le concept de “compétition sérieuse”. Ils agissent avant même d’être instruits de le faire et imposent des conditions draconiennes aux concurrents. Tout cela fait de plus en plus désordre. Chose confirmée avec le bras d’honneur Dassault-Eurofighter à la RNethAF, qui pourrait bien être suivi, pourquoi pas?, du bras d’honneur SAAB. Alors? Le JSF tout seul en compétition contre lui-même? Et si le JSF se retirait, lui aussi, de la compétition? Nous aurions enfin une compétition type Marx tendance Groucho, non?
Observez ce processus inattendu. Les décisions d’Eurofighter et de Dassault suivent celle d’Eurofighter, refusant de participer à la compétition norvégienne en décembre dernier parce qu’estimant que le JSF est choisi par avance par la Norvège. Cela n’est-il pas en train d’établir un précédent, une méthode si l’on veut?
La corruption et la servilité de ces divers gouvernements pro-JSF vis-à-vis des USA sont un fait avéré, dont on fait des gorges chaudes dans le circuit international. Nous irions jusqu’à dire que c’est tellement avéré qu’on va jusqu’à exagérer la chose. Nous ne mettrions pas notre main à couper qu’aujourd’hui, à l’heure où nous écrivons, le JSF sera choisi par la Norvège et par la Hollande, tant le pro-américanisme évident et un peu voyant, style brodequins cloutés, des establishment militaires de ces pays commence à gêner sérieusement le pouvoir civil le plus pro-américaniste. (Voir le vice-ministre de Vries, qui s’est engagé auprès de son partenaire gouvernemental à garantir une sélection honnête et “indépendante”, et qui se retrouve avec une équipe militaire de sélection qui en fait vraiment beaucoup trop.)
Les industriels concernés, ci-devant et soi disant “concurrents” du JSF et qui seraient plutôt des faire-valoir, réagissent avec humeur et emportement. On les comprend mais on leur conseillerait de transformer leur humeur en tactique. Dans le cas hollandais, pourquoi ne pas transformer un nyet catégorique en un “oui mais” ou un “non peut-être”, impliquant par exemple qu’ils accepteraient de participer s’ils ont le temps de se préparer à la compétition et, surtout, surtout, s’ils ont la garantie formelle que celle-ci sera “indépendante”?
Cette observation tactique nous ramène au propos ci-dessus. La tactique suggérée correspond à une stratégie qui est en train de prendre corps. Tout se passe comme si, dans tous les cas dans les marchés considérés comme acquis au JSF, se formait un “front anti-JSF”. Cela est d’autant plus plausible que les divers gouvernements de ces pays pro-JSF, engoncés dans leur nécessité de vertu démocratique et souvent très européenne, et dans leurs échéances électorales, se doivent d’afficher la volonté de suivre un processus également démocratique, style “marché libre”, pour leurs futurs avions de combat. C’est-à-dire qu’ils font profession de foi de sembler choisir équitablement leur futur avion de combat. Ils sont alors obligés de se prêter au jeu de l’apparence de la libre concurrence.
Les “concurrents” du JSF sont conduits à regrouper leur infortune en un “front contestataire” qui tend de plus en plus à se transformer en “front du refus” (refus de participer à des compétitions qu’ils jugent évidemment biaisées). Mais ils ne doivent pas s’en tenir à cette attitude négative. Ils ont quelques bonnes cartes en main, pour ces deux excellentes raisons:
• La vertu démocratique leur donne une position de force. Elle implique pour les gouvernements pro-JSF d'avoir paradoxalement la caution des adversaires du JSF dans une compétition formelle. Cette caution, plutôt que d’être refusée abruptement, devrait être négociée habilement par des exigences de toutes sortes, sur la loyauté de la compétition notamment, – et des exigences exorbitantes car l’on ne lésine pas lorsqu’il s’agit de la vertu démocratique de la libre concurrence et ainsi de suite.
• Le catastrophique JSF ne facilite pas la vie aux gouvernements pro-JSF et donne des munitions aux adversaires du JSF. Le JSF est de plus en plus cher, de plus en plus en retard; il doit être considéré sur fond de chaos grandissant au Pentagone, avec une USAF empêtrée dans une crise de première dimension; il doit être considéré alors que les USA perdent de plus en plus leur capacité d’influence, eux-mêmes plongeant dans une crise intérieure de vaste dimension.
La formidable aventure du JSF, qui devait avaler tout cru le monde entier, peut se transformer en une déroute du type “Napoléon en Russie” si les concurrents du JSF savent s’y prendre. On a atteint le “tipping point” du JSF, là où tout peut commencer à basculer, où tous les avantages stupéfiants et impudents du JSF peuvent se transformer en autant d’arguments contre lui. Si l’avion (le JSF) est trop cher, absent de la compétition tout en prétendant l’emporter, etc., il est alors facile de montrer que sa position de favori n’est que le fruit d’une corruption insupportable. Si la chose finit par être exposée en public, comme elle est en train de commencer à l’être en Hollande par exemple, tous les arguments défaitistes des adversaires du JSF (“les gouvernements pro-JSF sont trop corrompus pour ne pas choisir le JSF”, “ils ont investi trop d’argent dans le programme JSF pour reculer”, etc.), – tous ces arguments seront balayés par la réaction médiatique et le besoin irrépressible de vertu démocratique.
Il faut savoir comment nos sociétés fonctionnent, et comprendre que les instruments extraordinaires de la puissance faussaire des USA ont leur double négatif qui peuvent être dévastateurs. En période d’anxiété américaniste, alors que la puissance US se défait, le constat est évident et la stratégie, autant que la tactique qui en est issue, s’imposent d’elles-mêmes. Il faut nous seulement refuser d’être les dupes du JSF mais envisager de se battre contre lui avec toutes les armes de la fourberie dont lui-même, le JSF, a usé pour amener tous ces gouvernements à résipiscence. Cela suppose de croire en soi plus que dans le caractère irréversible de la puissance américaniste, surtout quand l’on est européen et que l’on produit des avions de combat.