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161214 janvier 2009 — L’aventure du Joint Strike Fighter (JSF, alias F-35) est loin de cesser d’exciter notre passion. Plus que jamais, ce programme d’avion de combat retient, doit retenir toute l’attention, en fonction de certains développements plus ou moins bien signalés, et cela hors du cadre plus général de sa querelle avec le F-22 et de son destin au Congrès et au sein de l’administration Obama.
Ici, nous signalerons et développerons trois points, à partir desquels nous articulerons notre commentaire, jusqu’à notre conclusion qui est bien que le programme JSF est une affaire fondamentale, dont les structures rejoignent à tous égards la grande crise systémique de notre temps historique. Mais trêve de lyrisme, – avant d’y revenir, – et revenons pour l’instant à nos modestes moutons.
• Il y a d’abord une intervention de Lockheed Martin (LM), par la voix bienveillante d’un média ami, le Dallas Morning News. (Tout média texan est, en principe, bienveillant pour LM et son JSF, parce que LM a récupéré les installations de General Dynamics, légataire universel de Convair et Consolidated-Vultee successivement, firmes d’aviation avec une forte implantation texane. A Fort Worth, les anciennes usines GD produisent le F-16 et le F-22, et sont promises à produire le F-35.)
Le 6 janvier 2009, le Morning News publiait un article pour répercuter le “message” de LM: nous allons nous battre pour “revendre” le JSF (en termes d’image, de réputation et ainsi de suite). Offensive de communication annoncée, par conséquent, qui implique que le JSF est en mauvaise posture… Voici l'écrit du journal, avec un souligné gras de notre chef, pour attirer l’attention sur les mots qui importent:
«Seven years ago, Lockheed Martin Corp.. won a bitterly fought contract for what would end up being the world's most expensive fighter jet program. Today, it finds itself in an odd position: having to defend the plane it won the right to build.
»“A flurry of criticism about the Joint Strike Fighter's capabilities this fall was a wake-up call for us,” said Dan Crowley, Lockheed's general manager for the nearly $ 300 billion program for jets being built in Fort Worth. “We just assumed people understood the value proposition of the aircraft. We've launched a program where we're going to resell the JSF.”»
• Enter Bill Sweetman. Nous avons déjà parlé de ce journaliste spécialisé, et dit le bien que nous en pensons, cela pour désigner un professionnel anglo-saxon de bon calibre, qui affirme des positions assez indépendantes vis-à-vis des consignes habituelles du monde de l’aéronautique anglo-saxon. Une rareté, par conséquent, dirigeant la rédaction de Defense & Technology International (DTI), édité par McGraw-Hill, qui édite également Aviation Week & Space Technology.
D’une façon générale, Sweetman est un sceptique modéré mais bien informé du programme JSF, et, observerions-nous en nous avançant mais à peine, un “sceptique modéré” qui se modère de moins en moins, – et qui sent la moutarde lui monter au nez. Le 7 janvier 2009, Sweetman prend la mouche et la plume, — et il bondit sur le blog de DTI. Il a lu l’article du Morning News et a débusqué une autre information, celle où il est annoncé le plus tranquillement du monde que le JSF ADAC/V, le F-35B, effectuera son premier vol en mode vertical en juin prochain, – avec un certain retard, mais Crowley, de LM, ne juge pas utile de s’attarder là-dessus ni même de signaler la chose. Or, il se trouve que, six mois auparavant, Sweetman avait été quasiment insulté par les représentants du JSF Program Office du DoD pour avoir osé écrire qu’il semblait bien que ce premier vol en vertical du F-35B serait retardé à la mi-2009.
«Just about six months ago, immediately after the first flight of the Short take-off, vertical landing (STOVL) F-35B Joint Strike Fighter, I speculated – here and in the pages of the July/August issue of DTI – that “a vertical landing doesn't look likely until well into the second quarter.”
»I caught hell from the highest quarters. It was the only comment in the entire DTI feature that was an educated guess rather than being based on first-hand interviews or official documents. Program manager Maj. Gen. Charles Davis, via his public affairs person, accused me of “unresearched lies” and “amateurish assumptions”, but then went strangely quiet when I asked for some specific examples. Well, as Private Eye used to say, “Just Fancy That.”
»In a largely favorably spun story in the Dallas Morning News, Lockheed Martin JSF general manager Dan Crowley is quoted as saying that “the F-35's next development hurdle comes in June with a key test flight as the company demonstrates the plane's vertical landing.”
»June sounds like “well into the second quarter” to me…»
• Avant-hier, 12 janvier 2009, Sweetman revient sur le propos du JSF, cette fois avec un titre du type, – “après tout, pourquoi tant de bruit autour de ce programme, ses dérapages, ses tromperies, etc.” – «JSF – Why All The Fuss?» A côté de diverses considérations, Sweetman écrit ceci, qui doit rester désormais à notre esprit, comme venant d’un expert, qui sait ce qu’il dit, et qui le dit malgré les brigands de Fort Worth et du Pentagone… Sweetman qui nous dit, en résumé: si le JSF réussit, il aura le monopole des avions de combat occidentaux à partir de 2020, et ce sera un avion complètement contrôlé par les USA.
Voici le passage qui nous importe (ce qui est souligné en gras l’est par l’auteur):
«First of all you have to consider what's at stake here. The JSF business plan, if fulfilled, results in a virtual fighter monopoly in the West and its allies. Whoever wins India will have a short lease on life in the business, but otherwise Typhoon, Gripen, Rafale and F-18 are fighting over crumbs and most if not all will exit the market before 2020. Unless you want to buy Russian you will have to buy JSF, and Lockheed Martin will likewise control all upgrades and modifications to the aircraft. This won't leave the customers (the US included) with a lot of negotiating room.
»The JSF is unique in the degree of integration in its information systems. So far, for example, it has no open-standard transmit datalink, at least in stealth mode. The automated logistics system will continuously transmit operational information back to Fort Worth. Not only is it a coalition-optimized airplane, it's hard to see how it could be operated at all without direct, constant US support.»
…Concluons à ce point, pour ces points: monopole des avions de combat et situation de la “souveraineté opérationnelle” (terme inventé par les Britanniques pour se faire accroire à eux-mêmes qu’ils contrôlent encore quelque chose) réduite à zéro. Selon cette description, et sauf à se fournir en chasseurs russes, nous dépendrions entièrement pour ce domaine majeur de la sécurité qu’est l’aviation de combat, domaine fondamental de la souveraineté, d’une puissance en perdition, d’un système totalement prédateur et déstabilisant, qui alimente et suscite des aventures du type de la guerre contre l’Irak ou de l’attaque contre Gaza. Il s’agit d’un système, autant au niveau technologique et de l’armement, qu’au niveau politique et de l’organisation, qui emprisonnera absolument tous les pays qui seront dans la cavalerie JSF. Dans sa logique et dans sa mécanique, cette dynamique est celle de l’asservissement du reste (des acheteurs extérieurs aux USA); nous ne pensons pas une seconde qu’elle triomphera, mais cela ne nous dispense pas une seconde de faire le procès de l’intention et de l’ambition des brigands bornés et bureaucratiques qui sont aux commandes.
[Par ailleurs, autre réserve, – nous n’acceptons pas toutes les données de Sweetman. Par exemple, nous croyons que des programmes européens survivraient, même dans le pire des cas (succès complet du JSF), – qui est lui-même totalement improbable, – qu’un pays comme la France, avec le Rafale et ce qui suit, conservera son autonomie. Mais nous acceptons l’idée que la planification US, LM et le Pentagone, envisage l’avenir de cette façon, absolument obscurcie par les excès de l’hubris impérial, sans avoir noté qu’il s’agit de l'hubris devenu phantasme d’un empire de carton-pâte en train de se dissoudre; de même, nous ne croyons pas une seconde au succès du programme JSF, même en partie, et beaucoup plus à la possibilité d’une catastrophe de très grande cuvée. Mais, dans ce cas également, nous oublions nos propres appréciations et nous contentons d’apprécier les positions, projets et prévisions suscitées et tenues pour avérées par le complexe militaro-industriel (CMI), et présentées sous le vocable employé par Sweetman de “JSF business plan”.]
Nous équivalons le système de l’entreprise du JSF, pour le domaine de la technologie et de l’enchaînement bureaucratique des puissances militaires, au système mis en place, au niveau de la finance, par le brio des Bear Stearns, Lehman Brothers, AIG et autres CitiGroup. L’esprit est le même, l’ambition également, et le sort qui nous attend ne sera pas non plus très différent. Le JSF est une construction de piraterie faussaire, de désinformation bureaucratisée, d’argent détourné et de promesses sans substance, une véritable entreprise postmoderne et américaniste. L’annonce par LM de vouloir “revendre” le JSF implique une nouvelle entreprise de communication qui passera par la désinformation systématique, le mensonge avéré comme outil essentiel de notre information. D’une certaine façon, la chose est bonne tant elle est claire, de cette même façon qu’on pourrait paraphraser l’écrit fameux de Thomas Jefferson et des Pères Fondateurs, «We hold these lies to be self-evident…», – et cela impliquant que toutes les déclarations de LM et du Pentagone sur le JSF peuvent être tenues pour des mensonges, comme base de discussion, avant d’éventuellement être examinées de plus près, au cas où une vérité s’y serait glissée par inadvertance…
Les appréciations de Sweetman ne laissent aucun doute. Le but du programme est absolument monopolistique et prédateur, avec l’élimination de toute concurrence, avec l’homogénéisation du marché, – dito, sa globalisation et son américanisation. De façon complémentaire, ce programme prévoit l’asservissement coordonné de la plupart des forces aériennes occidentales sous minutieux contrôle des USA. Il faut apprécier la constance du développement systémique US, avec, toujours, les mêmes objectifs déstructurants. Tout cela n’a aucune autre ambition que sa propre production de puissance, selon des caractéristiques absolument nihilistes.
Le jugement courant des commentateurs politiques est d’apprécier avec un certain dédain ces affaires de quincaillerie, – et de n'y rien connaître; ou bien avec des appréciations énamourées sur les nécessités stratégiques et la défense de nos “valeurs” évidemment occidentales et démocratiques; ou bien de les fourrer toutes, – le JSF, avec les MiG, le Rafale ou le Gripen, – sous la rubrique “marchands de canons”, avec l’anathème qui va avec. Ce serait n’y rien comprendre, ou y comprendre de façon si réductrice qu’on en revient au même. Le programme JSF est un maillon essentiel de la destruction de quelques-uns des attributs essentiels de la souveraineté, notamment et essentiellement en Europe; cette situation est justifiée par l’ampleur du programme et l’aspect exclusif que signale Sweetman (recherche du monopole prédateur, contrôle centralisé exclusif des USA); son rôle dépasse donc les seuls domaines de l’armement, de l’industrie, des technologies, etc. Il s'agit d'un système majeur dans l'entreprise générale de déstructuration et de prédation du complexe militaro-industriel. Il s’agit d’un phénomène essentiel d’une époque, et d’un phénomène d’une entreprise prédatrice globale, mais aussi d’un avatar fondamental de notre crise systémique général.
En effet, le JSF est en crise. Il l’est de façon spécifique, dans son développement, dans ses coûts, dans son fonctionnement, etc.; mais il l’est surtout au niveau de la communication, ce qui est essentiel parce que la réputation et la dynamique du JSF sont basées sur la communication, sur la création d’un monde virtuel, le monde virtualiste du JSF. L’épisode Sweetman est exemplaire et significatif de la tension existante entre le groupe de communication du JSF et le monde de la communication en général. Les exigences virtualistes du JSF, les mensonges purs et bruts imposées comme informations comptantes et trébuchantes, tout cela commence à lasser le monde de la communication.
Certes, le JSF emporte des “succès” (Norvège, choix préliminaire; Hollande, “sélection” de l'avion). Tout cela est cousu de fil blanc, de diverses menaces et pressions, de l'action des réseaux habituels de corruption, de la corruption psychologique otanienne, etc. Tous les pays coopérants s’appuient pour mesurer leur fortune dans le programme sur les seules informations du JSF Program Office, dans une situation complètement abracadabrantesque et grotesque: s’appuyer sur l’argument du vendeur aux abois et sans scrupules comme s’il s’agissait à la fois de l'information de l’utilisateur solidaire et du jugement du législateur honnête du marché. Mais il est inutile de demander quelque discernement que ce soit aux gouvernements européens lorsqu’il s’agit des fascinants USA. Ces différents pays jouent pour l’instant le rôle des cocus assez satisfaits qui, parfois, se doutent de quelque chose avant d'écarter précipitamment les mauvais présages. Dans le cas de la crise du programme JSF, pour en suivre les méandres et les tensions il faut retourner vers les USA et vers LM – qui, malgré ses “succès”, est si complètement sur la défensive qu’il lance une vaste campagne pour “revendre” le JSF et tenter de faire taire les critiques aux noirs desseins. Vaste et étrange programme. Le JSF s’inscrit dans la crise systémique qu’on connaît, que ce soit celle de la bureaucratie, celle du Pentagone, celle des conceptions technologiques et stratégiques, celle des dépenses publiques et de l'économie aux USA. Il y a de la logique dans tout cela: tout comme la globalisation et l’américanisation, le programme JSF est dans une crise systémique.
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