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119216 mars 2015 – Dans les chancelleries, comme l’on dit, cela fait tintamarre. Dimanche, lors d’une interview, le secrétaire d’État John Kerry a dit qu’une négociation avec le président syrien Assad serait une bonne chose, une voie qu’il faut suivre. En langage officiel mesuré au millimètre pour renvoyer à la bonne narrative, et malgré l’argumentation si évidemment spécieuse qu’il n’importe pas une seconde d’en débattre selon laquelle les USA (et le bloc BAO, France en tête) ont toujours cherché à négocier, il s’agit d’une cuisante et épique reconnaissance de la totale impuissance de la pseudo-politique US/BAO en Syrie et dans les terres avoisinantes. La reconnaissance est d’autant plus cuisante et épique que cette évolution sémantique est due au formidable désordre suscitée directement par cette politique et ses innombrables avatars, montages et manipulations, jusqu’à atteindre un degré d’incompréhensibilité et d’impossibilité de gestion absolument remarquable. Il faut noter que le discours de Kerry est, comme à l’habitude, strictement borné par l’affirmation qu’une telle négociation se ferait sous les conditions habituelles, déterminisme-narrativiste oblige. On veut bien en venir à négocier avec Assad, mais avec des pincettes et laissant entendre in fine qu’Assad est un personnage absolument détestable, et laissant entendre également, toujours in fine, que cette négociation pourrait porter également sur les conditions de son départ.
Cette déclaration se fait comme une sorte de sinistre célébration, soit le cinquième “anniversaire” de la descente de la Syrie dans un désordre sanglant qui est souvent illustré, ces derniers temps, par des photos-satellite prises de nuit montrant la Syrie presque comme une tache noire, ou un trou noir, à cause de l’absence de lumière électrique dans le pays. Elle a été précédée de divers signes montrant que certains dirigeants et responsables politique, au sein du bloc BAO, – dont la délégation de parlementaires français en déplacement semi-scandaleux à Damas, – en venaient à estimer qu’il serait temps de rétablir le contact avec Assad... L’argument est bien entendu et sans surprise aucune : le président syrien reste plus que jamais la seule autorité structurée, avec quelque légitimité, dans le terrible chaudron syrien. Bien entendu, l’intervention du bloc BAO avec ses divers alliés démocratiques du monde arabe (Arabie en tête) a contribué très majoritairement sinon quasi-exclusivement à transformer ce pays en un monceau de ruines sanglantes dont on peut ainsi juger qu’elles sont directement enfantées par la dynamique surpuissance-autodestruction de notre contre-civilisation. On compte qu’il y a eu, depuis le printemps 2010, 210.000 morts dans le désordre guerrier et terroriste de la Syrie, et des millions de réfugiés ; il y a en plus la prolifération des organisations extrémistes, des diverses branches d’al Qaïda jusqu’à l’artefact presque sublime dans l’inversion qu’est l’État Islamique, alias ISIS, alias
Comme il est largement recommandé par tout le bloc BAO, Kerry en tête, de ne pas se référer à Russia Today (RT), c’est donc à RT que nous nous référons pour donner quelques extraits de ses déclarations à CBS.News annonçant la grande nouvelle (le 15 mars 2015)... «Washington will have to negotiate with Syrian President Bashar Assad about a political transition in war-torn country, US Secretary of State John Kerry told CBS News on Sunday. “We have to negotiate in the end. We've always been willing to negotiate in the context of the Geneva-1 process,” Kerry said, referring to the June 30, 2012 peace conference on Syria. Kerry added that the US and some other countries were trying to restart talks on the resolution of the conflict in Syria, which has now entered its fifth year. “What we're pushing for is to get [Assad] to come and do that, and it may require that there be increased pressure on him of various kinds in order to do that,” Kerry said. “We've made it very clear to people that we are looking at increased steps that can help bring about that pressure.” Some Western states, particularly the US, have insisted that Assad should step down. Kerry even said on March 5 that “military pressure” may be needed to oust the Syrian president. Kerry’s statement on Sunday, given in an interview to US media, hints that Washington may be softening its stance towards the Syrian government.
»Kerry was speaking on the fourth anniversary of the start of the civil war in Syria, which started as peaceful protests against the Assad government, but descended into violence claiming more than 210,000 lives. The US has been supporting the Syrian rebels, who insist that the Syrian president should be ousted. In January, Russia and the US organized the Geneva-2 peace talks between Assad’s government and the Syrian opposition. However, after two rounds of negotiations, no agreement was reached. This April, Moscow is set to host a meeting between the two sides of the conflict.»
L’aventure syrienne figure parmi les fleurons de la politique-Système du bloc BAO, avec diverses étapes éprouvantes de grotesquerie, comme les déclarations de Fabius, le ministre-au-sans-faute (jugement courant de la presse-Système sur la conduite de son ministère par le susdit), sur Assad qui ne “mérite pas d’exister”, sorte de non-être avec lequel il ne peut être question de négocier par simple inexistence physique et morale. La déclaration de Kerry intervient comme une sorte de tournant sémantique qui n’a d’importance que dans le cadre bien identifié d’une politique totalement réduite à la communication avec ses impératifs “moraux” relevant de l’affectivisme d’une part, au désordre colossal de l’interventionnisme du bloc BAO et de ses hyper-manipulations en tous sens d’autre part. De ce fait on peut observer que cette déclaration est également une reconnaissance implicite que ce désordre a atteint le stade de l’hyperdésordre où il se retourne contre ceux qui l’ont suscité.
Contrairement à l’observation de RT, nous serions d’avis que cette déclaration du 15 mars ne représente pas une indication selon laquelle “Washington serait en train d’adoucir sa position vis-à-vis du gouvernement syrien”. Comme toujours depuis le début de l’épouvantable crise syrienne, la “pensée multiple” (ou plutôt, “le réflexe-impensé multiple”) implique que d’une part on affirme qu’on veut négocier pour qu’Assad joue son rôle dans le sens de la politique du bloc BAO, que d’autre part il est entendu qu’il doit partir et qu’il doit lui-même s’y préparer. La différence ici, qui marque l’absolu désespoir et le nihilisme complet de la politique-Système en Syrie, est que Kerry soit conduit à dire effectivement et publiquement qu’il faut négocier avec Assad, ce qui représente dans le discours et l’ornement de la narrative une audace sémantique mesurant effectivement ce désespoir et ce nihilisme. Pour autant, ni la coiffure ni la cravate de Kerry n’en sont dérangées.
Cela signifie, pour notre compte, qu’il ne faut malheureusement pas pour autant attendre des prolongements significatifs dans l’évolution de la crise syrienne, comme par exemple une sorte d’amorce de retour vers un certain ordre. Il nous semble que cette pseudo-officialisation du rétablissement d’un dialogue avec Assad sera accompagné des habituelles manœuvres et avatars sémantiques alimentant les options contraires, dénonçant Assad au nom de la politique de l’affectivisme, etc. De toutes les façons, il y a longtemps que le bloc BAO, pas plus que les divers autres acteurs de la soi-disant coalition (Turquie, Arabie, etc.), ne sont plus capables d’un contrôle global acceptable de la crise ni d’en comprendre exactement la structure et la signification.
D’autre part reste posée la question de la Russie, qui joua un rôle fondamental dans la première partie de l’aspect international de la crise, en 2011-2013, pour tenter de faire évoluer les choses vers une issue négociée diplomatiquement. La Russie de 2015 n’a plus rien à voir, dans ses rapports avec le bloc BAO, avec la Russie de 2011-2013. Entretemps, il y a eu l’Ukraine et la détérioration ultra-rapide et catastrophique des relations avec le bloc BAO. Il est bien entendu assuré qu’un Kerry est tout à fait capable, d’un côté d’affirmer qu’il est nécessaire que la Russie disparaisse dans les délices d’une opération de regime change, et de l’autre de demander à Lavrov d’intervenir auprès d’Assad pour arranger ses conditions de séjour pour un dialogue avec Assad, cela pendant que l’USAF attaque ISIS/EI/Daesh, ou bien lui livre des armes c’est selon. La position de la Russie dans ce contexte est désormais soumise à l’évolution de la crise ukrainienne et, plus généralement, de la crise des relations du bloc BAO avec la Russie. Il y a là un jeu de positions à contretemps : alors que la Russie jouait en 2011-2013 un rôle assez impartial, malgré sa proximité de la Syrie, parce qu’elle recherchait effectivement un arrangement, elle était accusée systématiquement de soutenir Assad et de jouer un double jeu au niveau des négociations générales ; aujourd’hui, alors qu’on pourrait être tenté d’en appeler à une position politique impartiale de sa part pour faciliter le démarrage d’un dialogue avec Assad, il paraît évident que la Russie jouera, sans qu’on puisse le lui reprocher une seconde, un jeu largement influencé par ses propres intérêts, en fonction de ses nouveaux rapports d’antagonisme ouvert avec les USA et le bloc BAO.
Nous allons donc considérer, pour la facilité du rangement de l’évolution de la crise, que l’intervention de Kerry représente un tournant de communication dans l’attitude et la politique interventionniste du bloc BAO vis-à-vis d’Assad et de la crise syrienne. C’est alors l’occasion de faire un bilan de cette pseudo-politique. La crise syrienne représente, encore plus que la crise libyenne qui s’est déroulée trop vite (du point de vue du bloc BAO) pour faire sentir tous ses effets d'une façon directement définie par le cause-à-effet, l’archétype des effets catastrophiques de l’interventionnisme occidental/du bloc BAO. Elle est d’autant plus archétypique de l’“interventionnisme humanitariste” (ou “R2P”, pour Responsability To Protect) qu’elle se trouve, à la différence de la crise ukrainienne qui la suit, hors de tout contact direct avec les pays du bloc, donc dégagée des conflits d’intérêts directs et des rapports de sécurité nationale des pays engagés dans cette doctrine R2P. Par conséquent, c’est effectivement en Syrie que s’est déployée dans l’ordre d’une certaine pureté (l’absurdité et l’aveuglement ont aussi leur graduation dans l’ordre de la pureté) une politique complètement marquée par ce que nous avons nommé “affectivisme” (ce terme ayant remplacé, sur la suggestion bienvenue d’un lecteur, le terme d’“affectivité” d’abord employé).
C’est dans un texte du 11 juin 2012 que nous tentions de définir l’esprit de ce R2P, marqué par la disparition complète de la “raison utile” (ou “raison efficace”), devenue raison-subvertie, et l’intrusion déferlante de l’affectivité (de l’affectivisme) dans le jugement et l’opérationnalisation d’une politique ainsi transformée en coquille vide de toute approche rationnelle. Le rôle de la communication est évidemment essentiel dans ce processus, notamment avec l’activation d’une narrative impérative, impliquant la création d’événements allant dans ce sens, la publicité de divers montages, arrangements faussaires, etc.
Nous écrivions ainsi : «Le constat est effectivement que l’effacement d’une raison efficace, une raison “loyale à la perception de la réalité”, ouvre la porte au déferlement de l’“affect” en termes psychologiques, ou pure affectivité, dans les réactions à la situation de Syrie. Cet affect n’est évidemment pas suscité par un plan de manipulation puisqu’on a vu que la raison, qui seule peut produire humainement de tels plans, est absente dans son rôle habituel de rangement des ambitions et des projets humains. L’affect prépondérant dans ces réactions est donc la cause autant que le produit des manipulations innombrables qui caractérisent le compte-rendu de la vérité de la situation syrienne, qui est bien entendu une vérité complètement fabriquée, – littéralement, selon notre jargon, une narrative. Il s’agit d’une auto-manipulation, ou techniquement d’une auto-mésinformation, suscitées par une affectivité qui a complètement pris le dessus dans l’attitude psychologique, et qui affecte l’observation des faits et le jugement selon des normes idéologiques de type hystérique elles-mêmes véhiculées dans la psychologie avant d’être transcrites en “idées” de type-standard et homogénéisées (droits de l’homme, humanitarisme, etc.). [...]
»Cette auto-manipulation est facilitée par un aspect technique non négligeable, qui est l’atmosphère créée par le système de la communication, tel qu’il est lui-même intégré dans cette même auto-manipulation et cette auto-mésinformation. L’usage massif d’informations déformées par la presse-Système selon le processus qu’on a vu, de toutes les façons sans le moindre esprit critique qui disparaît avec la raison, la rapidité du processus de la communication qui interdit toute distance vis-à-vis du soi-disant fait exposé et la rapidité de la réaction émotive standard par conséquent, la profusion de l’emploi des mêmes images, la standardisation des réactions d’affectivité devant ce kaléidoscope ultra-rapide des mêmes éléments de communication présentés comme strictement objectifs, etc., tout cela crée cette atmosphère immensément favorable à la réaction affective, et seulement affective. Cette atmosphère agit comme un complément, sinon décisif, dans tous les cas très efficace, pour le phénomène constaté...»
Assez rapidement, après l’épisode 2011-2013, et d’ailleurs dès le courant de 2013, la crise syrienne est devenue incompréhensible, ou “illisible” disent certains, en raison du désordre complet qui a envahi le pays puis la région, en raison de la multitude d’acteurs alentours et même au-delà de l’horizon, chacun avec sa lecture de la crise, chacun avec ses intérêts, et surtout avec certains d’entre eux dont les manipulations multiples et massives ont conduit à des contradictions internes, des antagonismes, des double/triple/quadruple-jeu autour des mêmes éléments. A cet égard, les USA ne laissent à personne d’autre l’exercice de leur exceptionnalisme s’exprimant par un vertige et une ivresse de manipulations conduisant rapidement à l’auto-manipulation, à la désinformation et à l’auto-désinformation, à des narrative antagonistes, etc. A la lumière de l’évocation de ce point de vue des USA, qui continuent à alimenter une érosion catastrophique de leurs positions, l’épisode actuel (la déclaration de Kerry) suscite la question de savoir si l’on peut encore déterminer, dans ce chaudron grondant de la crise syrienne & alentours, qui en tire avantage et qui en est pénalisée. Plutôt que parler d’un vainqueur et d’un vaincu, nous parlerions alors de “qui a gagné du terrain” et de “qui a perdu du terrain”.
Nous pensons qu’une remarque suivie d’une note complémentaire parues dans notre Glossaire.dde-crisis mis en ligne aujourd’hui (ce 16 mars 2015, sur «La maniaco-dépression du monde»), permettent d’avancer une réponse sous cette forme du “qui a gagné du terrain” et du “qui a perdu du terrain”. Nous nous plaçons alors, hors du cadre catastrophique de la malheureuse Syrie, du point de vue du Système versus l’antiSystème, ou bien encore, du point de vu des directions politiques travaillant pour le Système et évoluant dans une psychologie en état d’épisode maniaque appuyé sur une narrative absolument fabriquée, – psychologie parfaitement accordée à l’affectivisme mentionné plus haut, – contre une critique de résistance de type antiSystème, dont l’état psychologique est celui du volontarisme de résistance à partir d’une situation de dépression en observant la catastrophe que produit le Système dans le chef de ses employés évoluant selon l’affectivisme maniaque.
Nous pensons que cette remarque de notre texte du 16 mars 2015 correspond alors au bilan qu’on peut faire actuellement, à ce moment de la crise syrienne... Dans cette remarque, on trouve un appel de note (11), et la note peut également être prise en compte pour la définition de cette situation, et ainsi s’appliquer au cas syrien, avec “la partie dépressive” correspondant à la résistance antiSystème, et “la partie maniaque” à l’activisme du Système dans le chef de la politique interventionniste du bloc BAO.
«La partie dépressive sort souvent régénérée de ces affrontements, avec la sensation, justifiée à notre sens, d’avoir gagné du terrain. (11) La partie maniaque, au contraire, tirée vers la réalité par la réaction de la partie dépressive, est confrontée à une situation qui ne répond en rien à l’image qu’elle s’en fait dans son agitation maniaque. Sa réaction correspond effectivement à ce qu’on observe dans les pathologies maniaco-dépressives: le refus de la réalité de la psychologie durant l’épisode maniaque, même si cette réalité se présente comme extrêmement dangereuse et pressante pour elle. C’est alors le refus de toute leçon, de même que la psychologie maniaque refuse tout enseignement de la réalité, à cause de ce qu’on peut et même qu’on doit qualifier d’une véritable haine de cette réalité, dont on comprend aisément, en élargissant le propos à la référence métaphysique, qu’elle correspond à la haine de la vérité. [...]
«(11) Nous préciserions l’idée de “gagner du terrain” de cette façon : la partie dépressive a avancé d’une façon significative dans la perception que la partie maniaque (la direction-Système) est en crise profonde. Cette façon d’attirer la partie maniaque vers une reconnaissance forcée de la réalité engendre effectivement un surcroit d’incohérence de la part de cette partie maniaque. La poursuite (inévitable par ailleurs) de l’épisode maniaque signifie une accentuation du simulacre, du poids de la vérité du monde sur la psychologie, une fatigue supplémentaire de la psychologie de la partie maniaque, une accentuation de sa crise, de la perception de sa crise par elle-même, etc. “Gagner du terrain” implique une avancée dans une bataille des psychologies, entre simulacre et vérité du monde (entre épisode maniaque et épisode dépressif).»
Pour nous, cette déclaration de Kerry ne constitue pas tant un événement politique qu’une avancée psychologique importante. Il s’agit de ce que nous nommerions “un aveu d’accablement” (plutôt qu’“aveu d’impuissance”, chose évidemment impensable pour un diplomate US). Bien que de même catégorie dans le champ de l’interventionnisme R2P, la crise syrienne est donc bien plus importante et plus révélatrice que la crise libyenne dans la mesure où elle confronte les pays du bloc BAO directement avec les effets de leurs actions. Nous en sommes au point où la narrative n’a plus assez de puissance pour éviter cet aveu d’accablement.
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