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1219S’il vous arrive un jour, sur un plateau télévisé de bonne compagnie, à Paris ou dans un salon, d’émettre la plus petite nuance de scepticisme concernant la version officielle de l’attaque du 11 septembre 2001, vous êtes aussitôt cloué au pilori et percé de flèches mortelles et toutes nommées “complotiste”. Le secrétaire d’État des USA, répondant à ses confrères sénateurs à propos des événements en Ukraine orientale et méridionale, c’est-à-dire la partie russophone de ce qu’il reste du pays, répond aussitôt en décrivant imperturbablement le complot russe développé pour manigancer ces fausses protestations. Est-il question de le clouer au pilori en l’affublant d’une pancarte où serait écrit “complotiste” ? Disons que la pancarte, dans ses tonalités, devra s’harmoniser avec le costume et la cravate du jour.
• La question, après tout, n’a guère d’importance parce que, aujourd’hui, dans le langage et la posture de la communication de la part des autorités du Système, il semble que l’on n’en soit plus à se préoccuper de vraisemblance ou de cohérence, ni même des anathèmes d’hier qui sont réservés à ceux qui les méritent. Il importe de sauver les meubles bon marché de l’apparence, pour le moment présent. (Le gouvernement washingtonien fonctionne selon la recette du “big Now [voir le 29 janvier 2014]. Ce qui compte est ce qui se passe et ce qui se dit dans l’instant, sans se préoccuper de ce qui précéda ni de ce qui suivra, et l’affirmation de l’instant présent devient à la fois passé et futur, sans se préoccuper de ce qu’il en fut et de ce qu’il en sera.) Certains s’émeuvent encore de cette démarche des officiels US et exposent les raisons de leur émotion : “quelle hypocrisie !” s’exclame Alex Lantier, de WSWS.org, ce 10 avril 2014. Il rappelle dans son article toutes les raisons qui substantivent évidemment, et sans la moindre hésitation, ce qualificatif d’“hypocrisie” qui s'adresse notamment à Kerry dans la circonstance qu'on a décrite.
«Amid the escalating conflict over the seizure of local government buildings by pro-Russian protesters in eastern Ukraine, US officials and the American media are hypocritically denouncing Russia for allegedly inciting the actions. These charges, presented as facts but without any substantiation, are part of an intensification of the imperialist offensive in Eastern Europe, the aim of which is to isolate, humiliate and ultimately dismember Russia. The logic of this reckless and aggressive policy, spearheaded by Washington, is war between the West and Russia, a nuclear power.
»The day before, Secretary of State John Kerry denounced the protests in testimony before the Senate Foreign Relations Committee, declaring: “Quite simply, what we see from Russia is an illegal and illegitimate effort to destabilize a sovereign state and create a contrived crisis with paid operatives across an international boundary.” What hypocrisy! As Kerry well knows, he is accusing Russia of doing precisely what Washington and its European allies did by backing the February putsch in Kiev: destabilizing and then toppling the elected, pro-Russian regime of Ukrainian President Viktor Yanukovych. One of the main US arguments for toppling Yanukovych was that he cracked down on the opposition—exactly what Washington is now pressing its right-wing puppet regime to do...»
• Le 8 avril 2014, Robert Parry, de Consortium.News, s’interroge gravement sur la question de savoir “quand donc un putsch est-il un putsch ?”. Cette fois, la cible est la presse mainstream (MSM pour lui, presse-Système pour nous) qui déploie des trésors d’interférence langagière pour s’en expliquer, dans la façon dont elle présente ici une “tentative de putsch” évidemment à l’instigation des Russes (en Ukraine orientale actuellement), et rappelle que là (les 20-23 février à Kiev) ce fut une “révolte populaire” immensément justifiée qui eut enfin raison d’un tyran insupportable (quoique démocratiquement installé et opérationnel). Là aussi, Parry constate des conditions extraordinaires dans le traitement de ces deux événements, la façon dont les vérités de situation sont malaxées et adaptées à la narrative générale de la presse-Système qui est la seule référence générale acceptable. Parry observe justement un “emprisonnement” de cette presse-Système dans la logique de cette narrative, qui implique par conséquent une production d’interprétations mensongères, tordues dans des raisonnements labyrinthiques, tout cela que les références utilisées et impératives rendent quasiment obligatoire.
«The mainstream U.S. news media, which hailed the Feb. 22 neo-Nazi-spearheaded coup overthrowing the democratically elected president of Ukraine as an expression of “democracy,” is now decrying public uprisings in eastern Ukraine as a Russian-instigated “putsch.” It apparently has reached the point where the MSM is so tangled up in its propagandistic narrative that it can’t give American readers anything close to an objective reading of what is actually going on in Ukraine or many other places, for that matter... [...]
»So, while the Feb. 22 coup in Kiev was portrayed as a simple uprising of Ukrainian patriots – with no attention paid to the $5 billion that Assistant Secretary Nuland herself said the U.S. has invested in Ukraine’s “European aspirations,” nor the 65 projects in Ukraine run by the U.S.-funded NED, nor with little notice of the organized violence by neo-Nazi paramilitary forces from western Ukraine – the resistance to the coup in Crimea and now in eastern and southern Ukraine could only result from dark manipulations orchestrated by Russian President Putin in the Kremlin.
»It is that kind of biased journalism that has now become the norm of the MSM and, indeed, across significant parts of the “blogosphere.” Rather than learning to be more skeptical after the Iraq War deceptions a decade ago, the major news outlets appear to have become even more gullible, more integrated into the government’s propaganda structure, less able to provide balanced and independent journalism. The U.S. reporting on crises in Iraq, Syria, Iran and now Ukraine reveal a nearly complete disconnect from the real world, as if the MSM is operating in a parallel universe.
»Old-fashioned reporting – where journalists took pride in uncovering information that spoiled a U.S. government scheme to dupe the public – has almost completely disappeared. Now, we see what looks like a competition between government officials and mainstream journalists to produce the most extreme distortion of the truth. Indeed, it is hard to tell if the officials are captive to the false narratives spun by the MSM or if the MSM is parroting back the lies of officialdom. They seem to feed off one another as Official Washington’s narrative spirals further and further from reality.»
• Une troisième dimension apparaît avec une analyse de Hannah Allan publiée par McClatchy, le 9 avril 2014. Elle est encore plus intéressante et certainement plus complexe que les deux précédentes qui impliquent la même narrative développée par l’administration Obama et la presse-Système, avec les difficultés rencontrées par chacun pour parfaire ce développement. Le cas exposé par Allan est cette fois celui d’une opposition entre l’administration et la presse-Système, à l’intérieur de la narrative. Les deux protagonistes sont toujours d’accord sur la narrative générale sur l’Ukraine (on le voit dans la mesure où Allan entérine l’idée d’un référendum “arrangée” par les Russes en Crimée, ce qui fait partie de la narrative, ainsi que celle d’une Russie agressive et expansionniste) ; mais ils se trouvent impliqués d’une façon antagoniste dans la démarche de son exposition, la presse-Système reprochant à l’administration de nier au travers d’un langage approprié de déformation de la vérité de la situation certains faits qui sont pourtant nécessaires à la narrative. En quelque sorte, c’est une critique de la dégradation du mensonge général (la narrative) par des interférences trop grossières pour la “qualité” de ce mensonge, écartant certains aspects évidents et nécessaires à la narrative de la vérité de la situation... Le problème est que la narrative admise par tout le monde, si elle permet de condamner les Russes, implique également une faiblesse coupable de la politique de l’administration Obama ; pour éviter cet embarras, la susdite administration diffuse un “mensonge dans le mensonge” qui compromet le bon équilibre général de la narrative. Pour cette occasion extrêmement compliquée, nous saluons l’apparition d’une nouveau néologisme, le “diplospeak” («U.S. uses “diplospeak” to evade tough truths on Ukraine, other crises»)...
«By now, most people know that Russian President Vladimir Putin took over the neighboring Crimea region of Ukraine and formally annexed it after a hastily called referendum there that drew outrage from across the globe. U.S. officials don’t dispute what happened – they saw the Russian celebration of the “return” of Crimea and heard the challenge to Western domination in Putin’s speech – but the official government lexicon hasn’t caught up to the facts on the ground. The State Department’s latest verbal twist is to refer to Putin’s land grab as an “attempt” at annexation, to underline U.S. opposition to a move it considers illegitimate.
»Such language causes eye rolling among foreign policy specialists, some of whom harbor more serious concerns that the empty wording also signals a lack of policies that factor in the uncomfortable realities of places such as Ukraine, Syria, Egypt and China. “Isn’t this already a fait accompli? It’s already taken,” a reporter pointed out at a recent State Department briefing where spokeswoman Marie Harf defended the use of “attempted annexation” for the Crimea crisis.
»Professional Russia watchers say they know that a degree of diplomatic protocol is needed in describing the events in Ukraine, but they also question whether a policy of willful blindness signals that the United States was caught off guard and couldn’t formulate a policy that dealt with a more belligerent, expansionist Russia.
»Regional specialists complain that the United States had taken its eye off European security in favor of a seemingly more urgent global terrorist threat that focused foreign policy on the Middle East, Afghanistan and Pakistan. Since a boom time in the 1990s with joint democracy-building projects, some analysts say, U.S. engagement with Russia had waned so much that it’s become clear in Putin’s defiance how little sway Washington now holds with Moscow. “I wonder about our ability to even influence government through other channels,” said Adele Lindenmeyr, a historian of the Soviet Union who teaches at Villanova University in suburban Philadelphia. “Maybe that’s why we seem to be throwing up our hands and saying our response will be that nothing’s changed since March 16.”
»Calling what happened in Crimea on that day an “attempted” annexation is only the latest in a long-standing practice of using curious descriptions and euphemisms to mask U.S. foreign policy failings or to sidestep controversial topics.»
Lorsqu’on rapporte ces trois points de vue qui sont autant de mensonges divers dépendant de la logique de la narrative générale à laquelle souscrivent l’administration et la presse-Système, on découvre le chaos remarquable de la communication que devient la poursuite de cette narrative assignant la position absolument vertueuse à la direction de Kiev et la position complotiste, subversive, agressive à la Russie et par extension à toute personne et à toute entité se réclamant directement ou indirectement de l’interprétation politique générale à laquelle souscrit notamment la Russie Russie. Le problème n’est plus le mensonge et le fait de mentir, parce que ce problème n’en est plus un dès lors que le mensonge n’existe plus dans le cadre de la narrative ainsi créée. Le problème devient celui de la cohésion interne de la narrative pour les différents interprètes de cette narrative, c’est-à-dire de la vérité des mensonges dont est constituée la narrative, et qui tient tout le monde par la barbichette, exigeant notamment la vertu d'un John Kerry, qui se révèle être pourtant un “complotiste” systématique par définition non-vertueux. (Nous dira-t-il un jour, par inadvertance, le beau John, que l’attaque 9/11 est un montage de Poutine et que le FSB, ex-KGB, s’est chargé de faire imploser les tours de Manhattan en maquillant des vieux Tupolev en rutilant Boeing dernier cri ?)
L’article de McClatchy est très révélateur à cet égard parce qu’il clôt temporairement le dossier de cette balade à l’intérieur du château de Franz Kafka par une sorte de “campagne pour la vérité” à l’intérieur de la narrative : il reproche un mensonge grossier à l’intérieur d’une narrative construite elle-même sur l’interprétation vertueuses de la situation générale basée sur des constructions mensongères à partir de faits déformés, ou de “non-faits” si l’on veut, totalement insuffisants pour un jugement général (les Russes agresseurs en Ukraine, le référendum de Crimée comme montage hâtif implicitement sans aucune valeur démocratique, etc.). Ainsi et de même, les experts cités qui reprochent au département d’État de ne pas reconnaître le “fait accompli” (Crimée “annexée”) comme une réalité de realpolitik parlent, eux aussi d’une façon implicite mais évidente, d’un “fait accompli” qui est aussi une infamie internationale suffisant à un jugement moral sur l’affaire ukrainienne. (On sait de quel “jugement moral” il s’agit, – les Russes expansionnistes et coupables vicieux mais jusqu’ici victorieux dans la crise ukrainienne, – et l’on doit savoir, qu’on le veuille ou non et une fois pour toutes, que ce “jugement moral” est totalement mensonger puisque la culpabilité revient au bandit originel de la séquence de communication géopolitique, c’est-à-dire le bloc BAO dans le chef de l’action subversive “automatisée” des USA en Ukraine et détaillée en direct par la Nuland-Fuck, et le diktat-ultimatum de l’UE à l’Ukraine en novembre 2013 à Vilnius.) Ce qui est reproché au département d’État avec son diplospeak, c’est d’être un menteur maladroit qui, par un mensonge de trop du type “la pluie ne mouille pas” (“non, la Russie n’a pas ‘annexé’ la Crimée”) compromet le mensonge général de la narrative et nous fait risquer, pour un peu, de basculer dans la vérité de la situation comme on tombe par inadvertance dans un dépôt d’ordures. (Si la Crimée est en état de “tentative d’annexion”, on en arrivera à juger que la Crimée dans l’état où elle se trouve, c’est-à-dire partie de la Fédération de Russie, n’a pas subi l’infamie de l’annexion, et alors la Russie qui n’a pas réussi son larcin n’est pas vraiment coupable, – d’autant plus que le larcin n’était pas nécessaire puisque la Crimée est de facto, et de plus en plus de jure selon les autorités en charge, dans la Fédération de Russie depuis le 16 mars ; or, ces “autorités en charge” ne sont pas des “marionnettes de Moscou” puisque, selon le diplospeak, l’“annexion” n’a pas eu lieu... Ouf, – le cercle vicieux est au moins double sinon triple.)
Il s’agit, pour notre compte et pour notre jugement, d’une situation d’une psychologie bloquée en plus d’être totalement emprisonnée par les circonvolutions de son propre blocage, c’est-à-dire une psychologie prisonnière d’elle-même parce qu’elle nie qu’elle est sous l’influence du Système (comme le département d’État nie qu’il fait la politique extérieure la plus inepte qui se puisse concevoir, c’est-à-dire qui n’est conçue en aucune façon). Il ne fait alors aucun doute qu’on ne pourra jamais, du point de vue de l’un des protagonistes majeurs qu’est le bloc BAO/USA, sortir de cette situation de la crise ukrainienne sans un événement rupturiel majeur, qu’il soit celui d’un conflit armé qui serait le résultat d’un enchaînement grotesque d’une logique saine appliquée à une situation absolument mensongère, qu’il soit celui d’une crise interne générale du bloc BAO pour telle ou telle raison. Dans les deux cas, le blocage psychologique de l’emprisonnement de la psychologie entraîne une paralysie totale de la pensée et un jugement impossible à contrôler, puisqu’il s’est évadé et perdu dans les dédales kafkaïens de la situation du bloc BAO
L’imbroglio est impayable et imparable. Le diplospeak devient la démonstration laborieuse que le doublespeak orwellien est largement dépassé et qu’il est conduit jusqu’à des contradictions très inattendues et qui ne manquent pas de charme, – notamment parce qu’elles renvoient in fine à l’équation surpuissance-autodestruction. La logique du “menteur général” qui est fait de plusieurs acteurs (l’administration + la presse-Système + Washington en général + le bloc BAO), qui est menteur en toute bonne foi et finalement avec une quasi-complète sincérité, reproche par la voix d’un de ses acteurs à un autre de ses acteurs de s’aventurer un mensonge trop loin parce que ce “mensonge trop loin” peut compromettre toute la vérité de la narrative : un peu comme le fou qui se prend pour Napoléon, qui s’est habillé en Napoléon, et qui soudain remplace le fameux bicorne du “petit caporal” par un entonnoir qui, même d’époque, nous ferait soupçonner soudain que, peut-être, après tout, ce Napoléon-là n'est pas Napoléon et qu'il est fou.
Mis en ligne le 11 avril 2014 à 05H06
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