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868Nous citons ci-après deux textes de Paul Krugman et de Steve Clemons à propos de Barack Obama et de sa décision de “geler” $250 milliards de dépenses intérieures dans son prochain budget. Nous avons déjà rapproché les deux hommes dans une note du 26 janvier 2010.
• Paul Krugman, d’abord, sur son blog du New York Times, nommé Conscience of a Liberal, ce 26 janvier 2010.
«A spending freeze? That’s the brilliant response of the Obama team to their first serious political setback?
»It’s appalling on every level.
»It’s bad economics, depressing demand when the economy is still suffering from mass unemployment. Jonathan Zasloff writes that Obama seems to have decided to fire Tim Geithner and replace him with “the rotting corpse of Andrew Mellon” (Mellon was Herbert Hoover’s Treasury Secretary, who according to Hoover told him to “liquidate the workers, liquidate the farmers, purge the rottenness”.)
»It’s bad long-run fiscal policy, shifting attention away from the essential need to reform health care and focusing on small change instead.
»And it’s a betrayal of everything Obama’s supporters thought they were working for. Just like that, Obama has embraced and validated the Republican world-view — and more specifically, he has embraced the policy ideas of the man he defeated in 2008. A correspondent writes, “I feel like an idiot for supporting this guy”…»
• Steve Clemons d’autre part, sur son site The Washington Note, ce même 26 janvier 2010. Sa fureur s’exprime notamment dans le parallèle qu’il fait entre les dépenses pour les guerres extérieures et le refus des dépenses pour la situation intérieure…
«…One QUARTER OF A TRILLION DOLLARS is what the US is spending on two nations, Iraq and Afghanistan that together have a COMBINED GDP of just $23 billion.
»That is lunacy. Americans have a US President who is going to say tonight – we cannot afford our future, we cannot afford investment in ourselves, but we can afford to bail out Wall Street financiers, and we can afford to pump $250 billion into two small countries abroad, but we can't afford to do the right things by American working families – who deserve far better.
»There are parts of what the President's team is doing – particularly what Jared Bernstein, Paul Volcker and Austan Goolsbee have been working on – that I do support.
»But the broader issue that we are going to cease deep investment in the US in a way that is big, significant and consequential – while China does everything the reverse that we are doing and reaps the rewards is a sign of America's collapse, not America rebuilding itself.
@PAYANT Référons-nous en effet à notre Bloc-Notes du 26 janvier 2010, où nous faisions un rapprochement entre Paul Krugman et Steve Clemons, et plaçons également cette note que nous proposons ici à la lumière de l’évolution constatée chez Robert Reich qui définit le “parti des Fous-de-Rage”, ou “Mad-As-Hell party” (position de Reich commentée ce jour, ce 28 janvier 2010)… C’est pour constater, qu’il semblerait bien que Krugman et Clemons évoluent, eux aussi, vers ce “parti des Fous-de-Rage”, ou sa représentation à l’intérieur de l’establishment, dont Reich offrirait éventuellement un autre exemple.
Les deux textes sont remarquablement complémentaires, avec un Krugman concentré sur l’aspect économique en restant dans le domaine intérieur, et un Clemons qui apporte les références extérieures. (Clemons se réfère à la Chine, dont il décrit les efforts au niveau intérieur, avec des investissements dans tous les domaines, puis il assène ce coup de massue qui conduit à mettre en regard le “gel” de $250 milliards de dépenses intérieures du nouveau budget d’Obama et les $250 milliards – la correspondance des chiffres est bienvenue – dépensées depuis l’arrivée d’Obama pour les guerres futiles de l’Irak et de l’Afghanistan.) Mis ensemble, ces deux textes expriment la colère, la “rage” qui est en train d’envahir le jugement de la partie réformiste et progressiste de l’establishment. (Sans oublier que, de l’autre côté, du côté des conservateurs, règne la “rage” anti-Obama, factice ou réelle, chez les républicains, chez tous ceux qui sont aiguillonnés par Tea Party, chez les anti-interventionnistes et les isolationnistes, etc.) Ce n’est certainement pas le discours sur l’Etat de l’Union d’hier soir d’Obama, auquel Clemons se réfère par anticipation, qui changera beaucoup cette appréciation et cette évolution.
(Le discours d’Obama sur l’état de l’Union, d’hier soir, a effectivement fort peu de chances d’arranger les choses, quels que soient les commentaires de convenance qu’on trouvera ici et là. Le président relègue la question des soins de santé au second plan – après tant de bruit fait autour d’elle depuis huit mois – et annonce que la nouvelle priorité des priorités c’est l’emploi – cela, alors qu’il vient d’annoncer qu’il gelait $250 milliards de dépenses intérieures dans son nouveau budget [Voir notamment le Guardian de ce 28 janvier 2010: «Bruised Obama's new rallying cry: jobs, not healthcare.»].)
Nous poursuivons principalement sur l’idée exprimée au terme de la note précédente sur Robert Reich, qui concerne la façon dont le comportement d’Obama attise cette rage des commentateurs réformistes et progressistes de l’establishment. Ce sont essentiellement les changements de cap successifs d’Obama, notamment depuis l'élection du Massachusetts, qui sont en cause, qui ne cessent de plonger ceux qui l’observent dans le désarroi puis, effectivement, dans la rage.
Même si l’argumentation des deux hommes (Krugman et Clemons) reste évidemment impeccables par rapport à leurs engagements, on distingue effectivement l’exaspération du jugement et, derrière, le sentiment de rage impuissante qui touche leurs psychologies. Effectivement, la même psychologie qu’on trouve dans les mouvements de colère populaire qu’on relève aujourd’hui se retrouve dans la tension qui caractérise ces commentaires. Il s’agit d’une situation très particulière, très spécifiquement américaniste. Même si les conditions objectives des USA sont extrêmement dégradées, il va sans dire qu’elles sont, jugées relativement, encore supérieures à nombre de pays, dans la situation de crise générale qu’on connaît. Mais les USA, par rapport à la psychologie spécifique qui y règne, par rapport aux ambitions du système, aux affirmations de supériorité et de leur caractère exceptionnel, par rapport surtout à la perception assurée qui règne du contrôle des choses (du contrôle du monde, si l’on élargit le propos), sont le pays qui est de loin plus sensible à ce spectacle du pouvoir qui, justement, semble avoir complètement perdu le contrôle des choses. La “rage” des populistes identifiés par Reich, qu’on retrouve, en à peine plus policée, chez un Krugman et chez un Clemons, est plus le produit du désordre du monde résultant du désordre impuissant de la direction politique que de telle ou telle mesure. Obama est, involontairement, une étonnante illustration, voire un acteur doué de ce “désordre impuissant” de la direction politique – et plus que jamais, dans ce sens, une “marionnette de la crise” qui a l’étrange pouvoir d’attiser la crise, et particulièrement au niveau des psychologies.
Obama est en train de créer un phénomène supplémentaire de désordre, par rapport à ce que nous avait apporté GW Bush. Dans le cas de Bush, l’évolution au sein de l’establishment de plus en plus hostile à son action était de se regrouper pour le rejeter comme un intrus, usurpant le pouvoir, ou la délégation de pouvoir qui lui avait été donnée. Dans le cas d’Obama, l’évolution au sein de l’establishment va vers une mise en cause de ce pouvoir qui n’est capable que de produire du désordre et de l’impuissance. En ce sens, oui, un Krugman et un Clemons sont en train de se rapprocher du “parti des Fous-de-Rage” et d’une position de mise en cause d’un système qui n’est plus capable de susciter le bon fonctionnement de la direction politique. Cela ne signifie pas qu’on les verra peut-être demain dans des manifestations populistes, cette sorte de spéculation sur les engagements politiques complètement secondaire. Cela signifie, et confirme de plus en plus, que la “rage” populiste contre l’establishment gagne peu à peu (en réalité, très vite, si l’on mesure l’évolution des choses) l’establishment lui-même. En plus d’un cas psychologique, il s’agit d’un cas psychanalytique, avec l’élargissement d’un formidable sentiment de frustration à l’intérieur même de l’establishment, contre lui-même. L’expression “fou de rage” peut être prise dans ses divers sens…
Mis en ligne le 28 janvier 2010 à 07H33