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1947La question de la présence russe en Syrie est désormais une véritable polémique internationale de communication sur le thème “la Russie a-t-elle envahi la Syrie sans que nous nous en apercevions ?” Un coup de téléphone de John Kerry à Sergei Lavrov ce week-end a authentifié la polémique et l’a portée au rang de grand débat international “du jour”. On a déjà lu un F&C sur cette question, le 3 septembre 2015, où nous précisions bien que ce qui nous intéressait était le processus de la communication, et nullement la véracité de telle (la Russes sont en Syrie) ou telle (les Russes ne sont pas en Syrie) information véhiculée... C’est à nouveau le cas, – tout en précisant bien entendu, ce qui était également le cas le 3 septembre, que lorsque nous disons “les Russes en Syrie“ cela signifie des forces russes structurées, en nombre important, au point que l’on puisse parler d’un engagement militaire majeur du type USA au Vietnam en 1965 ou URSS en Afghanistan en 1980 :
«Nous ne cherchons pas une seconde à savoir quelle version est vraie, et même si nous le savions parce que les déclarations officielles des diverses sources concernées viendraient à donner une version catégorique au moment où nous écrivons ou plus tard, cela ne changerait rien à notre attitude. Ce qui nous importe ici, fondamentalement sinon exclusivement, c’est le processus de communication, objectivement considéré.»
Notre article du 3 septembre couvrait une première “salve“ d’informations autour de la polémique que nous signalons. Une déclaration de Poutine, largement interprétée hors de son contexte, a relancé une seconde “salve”, au cours de laquelle certaines munitions ayant servi lors de la première ont été à nouveau utilisées. Le New York Times ayant lui-même pondu majestueusement un œuf en forme d’article, l’administration Obama, dans le chef de Kerry téléphonant à Lavrov, s’est vue “forcée” (le terme est important) de demander des explications à l’administration Poutine.
Ce terme de “forcé” est en effet explicitement employé dans un texte de RT sur le sujet, texte argumenté et documenté qui constitue sans guère de doute une version de communication générale de la position officielle russe. L’importance attachée à ce texte est notamment démontrée par sa présence (au moins) dans les deux versions sur RT-anglais et RT-français, et notamment avec une version française aussi longue que l’anglaise, reprenant exactement les mêmes termes (parfois avec quelques imprécisions de traduction). Les Russes entendent bien exposer leur position très précisément à cet égard. Il est très probable que nombre de détails ou d'orientations et d'interprétations proviennent de sources directes gouvernementales, du ministère des affaires étrangères, voire de Kerry via Lavrov lorsque le terme de “forcé” est employé (Kerry disant à Lavrov qu’il est effectivement “forcé” par la pression de la communication de lui demander des explications) : «L’agitation provoquée par ceux qui se sont apparemment perdus dans la traduction a forcé le secrétaire d’Etat John Kerry à s’adresser au ministre russe des Affaires étrangères concernant cette question.» (En anglais : «The hype caused by those lost in translation apparently forced Secretary John Kerry to confront his Russian counterpart Sergey Lavrov on the issue», – ce qui donnerait plutôt comme traduction plus prudente “L’agitation provoquée par ceux qui se sont perdus dans la traduction a apparemment forcé...”)
Nous en resterons là sur le fond de la chose, le texte de RT repris ci-dessous exposant les grandes lignes de la position russe qui est le point le plus important à émerger ce week-end, et les affirmations les plus précises. On peut tout de même observer qu’en présence de ces affirmations et réaffirmations catégoriques du côté russe, et en l’absence d’aucune preuve concrète d’un engagement de l’importance qui est envisagé, il devient de plus en plus difficile d’accepter la thèse d’une “invasion russe de la Syrie”, selon l’expression outrancière que nous emploierions volontiers pour désigner cette polémique. Justement, l’outrance de l’expression est voulue, pour nous permettre de passer à l’essentiel de notre sujet, qui est la pénétration de ce que nous appelons par ailleurs l’“affectivisme” dans l’analyse politique et stratégique, – et cela, nécessairement des deux côtés, parce que l’outrance de l’affectivisme, une fois qu’elle a pénétré un argument, déclenche nécessairement son utilisation pour les autres arguments si l’on veut rester sur ce même terrain de l’analyse.
On a vu dans le texte référencé du 3 septembre 2015 combien l’aventure de cette polémique est étrange et pleine de contrastes, sinon de contradictions. Du côté officiel US (porte-paroles, déclarations officieuses, etc.), on retrouve les mêmes contradictions, – d’une part, on suspecte, on s’interroge, on est prêt à dénoncer si la chose (les Russes en Syrie) se confirme, d’autre part on souhaite la participation russe à la lutte contre Daesh. En fait, deux narrative antérieures se trouvent mélangées et confrontées à une perspective nouvelle quoiqu’encore éventuelle, une perspective stratégique qu’on qualifierait d’objective. Les deux narrative sont celles d’une part de l’infinie responsabilité diabolique d’Assad qui est un véritable diable-qui-ne-mérite-pas-d’exister, et dont la Russie est l’alliée, d’autre part du nombre impressionnant d’invasions russes de l’Ukraine ; et certes, ces deux narrative sur fond d’une hostilité sans bornes à la Russie, d’un antirussisme obsessionnel et pathologique. La perspective “nouvelle quoiqu’éventuelle”, c’est la possibilité d’une participation de la Russie à la bataille éventuelle contre Daesh, ce qui impliquerait que des forces russes soient les bienvenues en Syrie, et cela dans le cadre d’un vaste plan pour une nième version de la coalition contre Daesh. Dans ce désordre confus, effectivement, on serait tenté de croire que les Russes avancent sur la pointe des pieds...
Les deux narrative mentionnées relèvent toutes les deux de l’affectivisme le plus complet. Ce sont elles qui relancent la polémique sur “l’invasion russe de la Syrie”, comme autant de spasmes continuels, – le spasme constituant le moyen d’expression essentiel de l’affectivisme. Ce qui rend le cas extrêmement remarquable et intéressant, c’est que cette pression d’une forme déraisonnable puisque l’affect domine la pensée, se heurte continuellement à la fameuse situation stratégique objectivement “nouvelle quoiqu’éventuelle”. Par conséquent, les articles ou les rumeurs sur “l’invasion russe de la Syrie” ressemblent le plus souvent à des accusations épouvantables (Poutine l’ami d’Assad, Poutine l’envahisseur) alors qu’ils évoquent par ailleurs une situation qui serait stratégiquement souhaitable selon nombre de directions du bloc BAO, de plus en plus effrayées et effarées de ce qu’elles sont conduites par les mêmes flots de rumeurs et d’hypothèses à percevoir des dimensions et des ambitions de Daesh, et alors que les actions aériennes US contre Daesh ont été jusqu’ici, dit-on, – et que ne dit-on pas ? – étonnamment inefficaces. Quant au secrétaire d’État, on imagine bien qu’il a été “forcé” de demander des explications à son ami Sergei, tout en ajoutant peut-être “Alors, au fait, quand est-ce que vous envoyez des troupes pour taper contre Daesh puisqu’il paraît que c’est l’orientation qu’on prend”.
Heureusement, entretemps on apprend que les Français, eux aussi ou à leur tour, envisagent de “taper contre Daesh”. (Hollande, hier matin : «J'ai demandé au ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian de mener des vols de reconnaissances en Syrie, où nous envisageons des frappes ... Ce que nous voulons savoir, c'est ce qui se prépare contre nous et contre la population syrienne.») Mais cela n’est-il pas se faire l’allié objectif d’Assad puisque Daesh attaque Assad ? Non, répondrait BHL, puisque Daesh, en-vérité-il-vous-le-dit, est une création d’Assad ... Alors si les Russes se décidaient enfin à “taper sur Daesh”, puisqu’ils affirment qu’ils ne l’ont pas encore fait, ils trahiraient leur ami Assad puisque Daesh est une création d’Assad ? Mais l’on sait bien qu’Assad est menacé par Daesh ... Et ainsi de suite, dans un “tourbillon crisique” d’enchaînements questions-réponses sans fin puisque tournant en boucle.
La confusion des situations, des hypothèses et des rumeurs où même des commentateurs amis sont d’un avis contraire (Israël Shamir et le Saker-US, par exemple), permet de comprendre pourquoi, dans cette sorte de situations, la retenue de l’inconnaissance reste une attitude du plus grand intérêt pour éviter le marais des polémiques sans fin. L’intervention constante de l’affectivisme a constamment tendance à transformer la question stratégique et militaire discutée en un bouquet d’arguments de polémique au service d’une narrative ou d’une autre, sans que jamais ne s’impose une option décisive. Les efforts de communication pour canaliser les hypothèses et les rumeurs, pour suivre les divers articles et les diverses révélations, semblent occuper l’essentiel du temps des responsables, dans tous les cas beaucoup plus que les efforts de concertation et de coordination pour éventuellement organiser une opération quelconque, si c’est effectivement le cas. L’affectivisme est ainsi devenue un facteur essentiel dans le processus de la réflexion politique et stratégique elle-même, donc un facteur essentiel de la décision même si, paradoxalement, le principal effet de son intervention est de rendre la décision extrêmement difficile sinon impossible, et d’ailleurs encore plus difficile la détermination de ce qui devrait être une “bonne” ou une “mauvaise” décision, – ceci justifiant cela, l’impossibilité de jauger la décision justifiant de n’en pas prendre....
En fait, ce que nous apprend cet épisode, – qui, bien entendu, n’est pas fini, en attendant la suite, – c’est que se pose d’une façon de plus en plus insistante la question centrale : peut-il aujourd’hui se produire quelque chose de décisif ou dans tous les cas de marquant pour la situation générale, du fait d’une action humaine coordonnée, calculée, contrôlée ? Nous ne parlons même pas d’un “complot” ou pas, – car la question se pose aussi pour les “complots” : peut-il encore aujourd’hui se développer un “complot” qui serait “une action humaine coordonnée, calculée, contrôlée”, qui amènerait “quelque chose de décisif ou dans tous les cas de marquant pour la situation générale” ? Si l’on nous répondait “voyez Kiev-février 2014” ou “voyez Daesh”, l’on aurait bien tort car “Kiev-février 2014” et Daesh, apparus dans une tonitruance extraordinaire, se révèlent être des “tourbillons crisiques” que personne ne contrôlent, qui ne produisent rien dans le sens de ne rien produire de “décisif ou dans tous les cas de marquant” du point de vue des politiques humaines en présence, qui semblent à la fois d’être de tous les complots et de n’être d’aucun, qui paraissent au premier abord bouleverser la situation du monde et promettre des “évènements décisifs, etc...” et qui finalement ne font qu’accentuer un désordre qui ne débouche sur rien d’autre que l’accentuation de lui-même ... (Par exemple, et pour élargir le sujet, nous doutons de plus en plus que tous les pays impliqués puissent arriver jamais à leurs accord-monstrueux, TTP et TTIP, avec les interférences du secret qui nourrit toutes les hypothèses, les fuites et les lanceurs d'alerte, les intérêts particuliers en action sous forme de lobbying-corruption, la complication kafkaïesque de ces accords, etc., tout cela nourrissant grassement une critique formidable qui n'échappe nullement à l'affectivisme bien au contraire, même si elle est évidemment à effet objectivement et incontestablement antiSystème.)
Dans cette formule diabolique, ou bien cette formule diabolique qui aurait la peau du diable lui-même (surpuissance-autodestruction), l’affectivisme est certainement l’un des aspect les plus efficaces et les plus coriaces de la paralysie totale de l’esprit dans sa capacité décisionnaire, de l’annihilation totale du rôle structurant de la raison, et qui touche désormais tous les camps et tous les acteurs, – et qui touche le Système lui-même, et d'abord le Système, et de plein fouet (voyez l'évolution des projets “Kiev-février 2014” et “Daesh”, l'hypothèse qu'on fait sur TTP-TTIP, etc.)... Et dans ce cas se dessine l’hypothèse, ou option métahistorique ; en effet, cette paralysie totale, tant de l’esprit que des décisions humaines qui ne produisent “rien décisif ou dans tous les cas de marquant”, ne caractérise nullement les évènements qui, eux, sont diluviens et d’une puissance colossale, sans guère de précédents dans leur rapidité et leur incontrôlabilité ; l’“option métahistorique” est l’hypothèse selon laquelle les évènements eux-mêmes déterminent la situation générale qu’ils mettent en œuvre selon l'inspiration de forces extra-humaines, au-delà des supputations humaines mais après tout avec l’aide totalement involontaire des spasmes de l’affectivisme.
... En attendant, voici donc le texte de RT du 6 septembre 2015 sur l’épisode du week-end (conversation Kerry-Lavrov) et sur la position russe à l’égard du scénario “invasion de la Syrie par la Russie”. Nous nous sommes permis de raccourcir pour des raisons techniques de mise en page le titre («Washington nerveux à cause des “articles de presse” concernant la présence militaire russe en Syrie») à un “Washington nerveux...“ qui ne trahira pas l’esprit de la chose. (L’intervention de RT auprès d’Alex Fishman, auteur de l’article de Ynet News sur la présence russe en Syrie, a été présentée plus en détails par le même RT, et signalée dans notre texte du 3 septembre 2015.)
Les médias occidentaux ont récemment publié des informations tapageuses sur la soi-disant présence de militaires russes en Syrie. A tel point que le secrétaire d’Etat John Kerry en a appelé le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.
Les fantasmes autour de l’engagement de troupes russes auprès de Damas se sont réveillés après les déclarations du président Poutine quand il lui a été demandé de clarifier les intentions militaires de la Russie en Syrie. «C’est un problème séparé et nous observons ce qui se passe pour l’instant. Par exemple, l’aviation américaine porte des frappes aériennes. Pour le moment, ces frappes ne se sont pas révélées très efficaces, il est trop tôt pour dire si nous sommes prêts à le faire», a déclaré Poutine en répondant aux questions des journalistes à Vladivostok. «Cependant, nous continuons à fournir à la Syrie un soutien significatif en ce qui concerne l’équipement, l’entraînement des troupes et l’armement. Nous avons signé des contrats majeurs avec la Syrie il y a cinq ou sept ans et nous les respectons totalement», a expliqué le président russe en rappelant à son auditoire que Moscou a honoré ses contrats signés avec le gouvernement syrien.
Mais les médias partout dans le monde ont [considéré] la déclaration du président russe comme sensationnelle, en la présentant comme la première reconnaissance de l’engagement militaire de Moscou dans la guerre civile en Syrie.
L’agitation provoquée par ceux qui se sont apparemment perdus dans la traduction a forcé le secrétaire d’Etat John Kerry à s’adresser au ministre russe des Affaires étrangères concernant cette question. Dans sa déclaration, le Département d’Etat a porté un accent particulier sur le fait que Kerry a exprimé «les inquiétudes américaines concernant l’intensification militaire imminente» en Syrie. «Le secrétaire a fait clairement connaître que si de tels rapports sont vrais, ces actions peuvent faire escalader le conflit et mener à des pertes humaines plus importantes, accroître l’afflux de réfugiés et risquer de faire face à la coalition anti-Daesh en Syrie», a-t-on ajouté dans la déclaration, fournissant ainsi de la matière aux journalistes pour leurs prochains gros titres.
Les inquiétudes de Kerry ont visiblement été alimentées par un article du New York Times supposant que la Russie a fourni à la Syrie des unités de logement préfabriqué ainsi qu’une station portable de contrôle de la circulation aérienne, alors qu’une source anonyme a ajouté que Moscou envisageait le déploiement d’une équipe spéciale de près de 1 000 soldats en Syrie. En se basant sur un autre responsable anonyme de l’administration américaine, les lecteurs du NYT lisent que le contingent russe sur place pourrait bientôt atteindre 3 000 personnes.
Entretemps, le ministère russe des Affaires étrangères a annoncé que les deux diplomates ont discuté des «différents aspects de la situation en Syrie et ses environs ainsi que les objectifs de la lutte contre Daesh et d’autres groupes terroristes».
La paranoïa ambiante sur la croissante «présence» russe en Syrie a encore augmenté cette semaine avec l’article d’Alex Fishman dans Ynet News intitulé : «Des avions russe dans les cieux syriens». Fishman a affirmé que la Russie a commencé son intervention militaire en Syrie en déployant ses forces militaires pour lutter contre les rebelles islamistes. Mais quand RT a contacté l’auteur pour obtenir plus de détails sur sa source “anonyme”, alors plus de réponse.
A la question sur l’information que le Département d’Etat considère si «inquiétante», le porte-parole Mark Toner n’a pas pu donner de perspective supplémentaire. «Nous avons vu divers rapports de presse qui, comme vous l’avez dit, annoncent que la Russie pourrait déployer en Syrie du personnel militaire ou des avions. Je peux dire que nous observons cette situation de près ; nous effectuons des recherches. Nous sommes en contact avec nos partenaires dans la région pour essayer d’obtenir plus d’information», a souligné Toner. Et d’ajouter : «Nous ne sommes pas au courant du but poursuivi par ces articles ou si cela décrit vraiment ce qui se passe».
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