L’“American Gorbatchev” a-t-il le caractère d’un anti-Gorbatchev?

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Un professeur de littérature à Yale, David Bromwich, fait une analyse de la psychologie et du caractère du président Obama, sur Huffington.post le 4 août 2009. C’est une analyse intéressante dans la mesure où elle permet de mieux comprendre l’évolution politique de la présidence Obama (et le fait que Bromwich soit professeur de littérature et non professeur de psychologie ne dément certes pas l’intérêt de son analyse, nous dirions même au contraire). C’est d’autant plus une analyse intéressante qu’Obama est le président d’une situation qui nécessite le changement radical, et que toute la question autour de sa présidence est de savoir s’il parviendra à cette fin, s'il en a réalisé la nécessité.

La question que pose Bromwich est de savoir si BHO ne se rêve pas comme une sorte de “modérateur” de tous les grands débats nationaux, et un modérateur qui serait justement, au contraire de ce que doit être un président, complètement apolitique. Bromwich rappelle ce fait connu, d’ailleurs déjà signalé ici ou là sur ce site, d’un Obama qui, comme professeur, montrait un incomparable brio sans qu’on sache jamais ce qu’il pensait vraiment. («One of the strangest facts we know about Obama is that his colleagues and students at the University of Chicago Law School came away from discussions very impressed with his abilities, but not knowing what he thought about many issues.»)

Bromwich observe qu’Obama ménage toutes les forces, particulièrement celles de l’establishment, tout en agitant et en suscitant des objectifs de changement importants, qui correspondent à l’évidence de la situation et qui impliqueraient à un moment ou l’autre de s’opposer à des forces de l’establishment. La chose est visible dans sa politique extérieure également: des ambitions affirmées, parfois des petits pas vers ces ambitions, mais pas plus, de crainte de l’opposition. («In dealing with some of these issues, Obama has stepped forward and then back. On some, he has not yet taken a first step away from his predecessor.») Cela donne à Obama une image qui mélange, ou plutôt confronte d’une façon qui paraît assez insoluble l’ambition et la timidité, ou la grandeur et la réserve: «Doubtless a certain grandiosity is an aspect of the man. But if it is bad, all things being equal, to appear grandiose and worse to appear timid, it is the worst of all to be grandiose and then timid.»

Voici la description que fait Bromwich du caractère de BHO confronté à son action, notamment comme président, notamment à la lumière de ce qu’on sait de sa carrière précédemment.

«His characteristic way of handling confusion in the audience is to come back and give good answers to questions. That is very well, but no substitute for an early explanation. Mopping up in question-period is an academic skill: the points you didn't capture in lecture, you recover when the hands go up. But this presumes that everyone signed up for the lectures and everyone already knows something. Here, Obama's two opposing traits, the caution and the presumption, have joined with results that are deeply unhappy. He arrogates. He does not indicate. And when the argument is well underway, he starts his major explanation as an afterthought.

»Obama cherishes the ideal of a frictionless transformation of society. It is a wish for aesthetic harmony, which he mistakes for a political goal. Its attainment would be a beautiful thing. But no matter how much he appeals for comity Obama is certain to give offense to some. Better to choose your times and targets than allow others to force that choice.

»His aversion to strife was plain from his conduct in the primaries and the general-election campaign. But the degree of avoidance we have seen could never have been predicted. Obama's training, one recalls, was in the community-reform methods of Saul Alinsky; and yet he seems to have adapted the relevant ideas in foreshortened form. The Alinsky process of reform, as Jeffrey Stout has pointed out, goes from powerlessness to power in several stages. There is, first, the public recognition of powerlessness; then the airing of injustices, by legitimate polarization and active protest; then proposals of concrete reform; and only at last, power-sharing and reconciliation.

»The strange thing about Obama is that he seems to suppose a community can pass directly from the sense of real injustice to a full reconciliation between the powerful and the powerless, without any of the unpleasant intervening collisions. This is a choice of emphasis that suits his temperament.»

Lorsqu’un homme semble insaisissable, comme on en fait souvent la remarque pour Obama, on tend à lui faire crédit du meilleur mais cela peut être aussi le pire. Un être insaisissable peut dissimuler des desseins extraordinaires, comme il peut dissimuler une impuissance extraordinaire à accomplir ses desseins. La dissimulation peut porter sur l’énergie concentrée mais non encore déployée, ou alors sur l'incapacité de déployer cette énergie. L’explication psychologique que donne Bromwich est assez satisfaisante et montrerait que le problème que pose le caractère d’Obama est bien celui de l’action; les premiers mois de sa présidence renforcent effectivement l’idée: la réalisation qu’il faut agir mais l’incapacité de tenter de le faire décisivement. D’une certaine façon, cet homme que tout désigne pour être un “American Gorbatchev” semble n’avoir aucun des traits de caractère fondamentaux de Gorbatchev.

Si l’analyse est bonne, elle n’interdit pas pour autant d’envisager l’hypothèse du changement. A cet égard, les événements sont bien plus puissants que les caractères, de cette façon que Gorbatchev, qui est ici la référence, n’a fait d’abord que répondre à la pression des événements. (Qu’il n’ait pas réussi à conserver le communisme n’a ici aucun intérêt. Nous parlons de la capacité d’un caractère à distinguer et à épouser tel ou tel flux événementiel pour tenter de l’aménager dans tel ou tel sens.) Un Obama plein de brio mais finalement impuissant ne sauvera pas le système; il contribuera au contraire, même si involontairement, à sa dégradation incontrôlée; et cela, sans écarter la possibilité qu’il soit conduit, c’est-à-dire forcé à agir par les circonstances dans des conditions bien plus défavorables, et pour des effets alors complètement imprévisibles.


Mis en ligne le 6 août 2009 à 08H44