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1020Jusqu’ici, on a observé la querelle entre la Turquie et Israël comme un phénomène certes puissant mais encore conjoncturel et en corrélation étroite avec la politique israélienne et l’évolution de la Turquie. Des signes apparaissent selon lesquels cet antagonisme est en train d’entrer dans les structures de sécurité nationale, essentiellement du côté turc. C’est le cas avec la nomination d’un nouveau chef des services de renseignement turcs, le MIT, qui est considérée avec la plus extrême préoccupation par Israël.
SpaceWar.com, relayant UPI, donne des indications sur cet événement, le 7 juin 2010. La dépêche étant datée de Tel-Aviv, elle porte effectivement une vision très israélienne de cette nomination et demande à être pondérée, – ce que nous tentons de faire dans notre commentaire ci-dessous.
«The appointment of a new head of Turkey's powerful intelligence service is causing concern in Israel because he's a close confidant of Islamist Prime Minister Recep Tayyip Erdogan who's seen these days as one of Israel's main adversaries. Hakan Fidan was named chief of the Milli Istihbarat Teskilati, Turkey's National Intelligence Organization, known as MIT, 10 days ago.
»
»The aid flotilla was organized by a Turkish non-governmental group, the Foundation for Human Rights and Freedoms and Humanitarian Relief, or IHH, that the Israelis and Americans say has links to Islamic radicals. It's not clear whether it has any links to Erdogan's government or MIT. But Israeli security officials 3believe last week's Mavi Marmara incident reflects an intentional change in relations between Israel and Turkey,” analyst Amir Oren wrote in the liberal daily Haaretz Monday.
»Many Israelis believe the violence in the Mediterranean was a trap set by the Turks into which the Israeli navy stumbled. “There is no concrete information, however, regarding Fidan's involvement in the incident or his ties with IHH, the group that organized the flotilla,” Oren wrote. But he stressed that in Israel, “there is concern that Fidan's appointment will have a two-pronged effect: On the one hand, the exchange of intelligence between the two countries will be harmed and on the other hand, that Israel will have to limit the transfer of information to Turkey out of a concern that it may be passed on to enemy organizations or states.”
»Fidan's appointment indicates that Ankara continues to move closer to Iran, its eastern neighbor. For the last year, Fidan was deputy director of the Erdogan's office and played a central role in consolidating Turkish ties with Iran. His promotion will also impact on Turkey's relations with the United States, its NATO ally, which is also concerned about Erdogan's strategic shift toward Iran and the Muslim world.
»Fidan, 42, has been a close adviser to Erdogan and his foreign minister, Ahmet Davutoglu, considered the architect of Erdogan's expansionist policy, for several years. Fidan is viewed with deep suspicion by the Israel for another reason. He formulated the uranium transfer deal between Turkey, Brazil and Iran proposed in May… […]
»Fidan's takeover at MIT underlines the extent to which Erdogan has been able to establish his mastery over Turkey's military, which for decades has dominated politics as the self-appointed guardians of the secular republic founded by Mustafa Kemal Ataturk in 1921. Turkey's generals have ousted four governments since 1960, including one headed by Erdogan's predecessor as the leader of the country's Islamists.
»Although MIT, which oversees internal security and foreign intelligence operations, is a civilian organization, it has long had close links with the military and reports directly to the prime minister.»
@PAYANT L’analyse est sans aucun doute intéressante pour le côté turc. Nous ne doutons pas que l’appareil de sécurité nationale d’Israël, – surtout le renseignement, – n’a jamais été “orienté” en ce sens qu’il ne considère aucun allié privilégié, y compris les USA, et qu’il est également capable d’intervenir “tous azimut” selon le mot de la doctrine gaulliste de dissuasion nucléaire des années 1960. Malgré les liens stratégiques avec la Turquie, il est donc resté vigilant et actif du côté turc, avec la possibilité de monter des opérations de déstabilisation, comme cela a été le cas l’année dernière, lorsque le Mossad a favorisé certains mouvements de militaires pour un éventuel coup de force anti-Erdogan. (L’échec de ces mouvements et la mise en évidence du rôle du Mossad ont certainement contribué à renforcer encore la suspicion turque et la prise en main de l’appareil de sécurité nationale par le pouvoir civil.)
La Turquie, au contraire, a été durant une longue période de temps, soit neutre, soit proche d’Israël, notamment à l’insistance de ses militaires, à la fois tout-puissants et relais de l’OTAN et du contrôle US du pays. Cela impliquait que les structures de sécurité nationale ne fussent pas orientés contre Israël. De ce point de vue, effectivement, la décision d’Erdogan d’installer Fidan à la tête du MIT est un événement important à double titre (même si cela n’est pas le seul dans ce sens). D’une part, il confirme la prise en main du contrôle des militaires par le pouvoir civil comme cela est justement observé dans l'analyse (et comme cela été mis en évidence par d'autres signes), d’autre part il constitue une réorientation capitale des structures de sécurité nationale.
Dans ce contexte, il est fort possible que l’opération de la “flottille” humanitaire, outre qu’être ce qu’elle fut (une aide humanitaire), ait été envisagée éventuellement comme un piège tendue aux Israéliens, ou dans tous les cas un test pour mesurer leurs réactions devant une action humanitaire non agressive. Les Israéliens voient cette opération comme une opération de provocation et de communication du MIT nouvelle manière, ce qui indique qu’il y a désormais un antagonisme ouvert entre Turcs et Israéliens.
On sera beaucoup moins intéressé par l’analyse qui faite de l’arrivée de Fidan au MIT comme un tournant marqué pro-iranien, même si cela confirme la solidité des liens entre la Turquie et l’Iran. Les Israéliens et les Américains ont une vision beaucoup trop centrée sur le Moyen-Orient, et sur leur commune obsession iranienne, lorsqu’ils examinent l’évolution de la Turquie. Il s’agit d’une évolution beaucoup plus large, celle de la Turquie, très multi-dimensionnelle, qui concerne l’Iran mais aussi d’autres zones comme la Mer Noire, le Caucase et la Russie, – bref, toutes les directions sauf l’orientation stratégique traditionnelle vers Israël qui devient au contraire la voie essentielle de l’antagonisme.
Il est évident que cette évolution turque va poser de sérieux problèmes à l’OTAN et aux USA, qui sont pris de vitesse par l’évolution turque et englués dans leur soutien aveugle à Israël. L’importance stratégique de la Turquie va alors apparaître en pleine lumière, importance certes théorique mais, plus encore, fort concrète. Les bases aériennes US en Turquie ont une importance stratégique totalement fondamentale pour le dispositif US, sans doute plus que tous les accès que les USA peuvent avoir en Israël ou dans d’autres pays de la région (y compris l’Irak et l’Arabie Saoudite).
La chose était peu évoquée en général, lorsque l’alliance et la docilité turques étaient tenues pour acquises, mais les choses vont changer du tout au tout dès lors qu’il n’est plus question de docilité et que le maintien de l’alliance va devenir un enjeu important. La Turquie va devenir de plus en plus exigeante sur cette question et, pour les USA, cela va faire surgir un problème stratégique extrêmement délicat. Du point de vue stratégique débarrassé de toute considération politique et de communication, la Turquie est effectivement un relais stratégique plus important qu’Israël pour les USA. Si la Turquie change vraiment son orientation stratégique comme elle est en train de commencer à le faire, une redoutable question de choix va se poser. Pour le Pentagone, le choix est d’ores et déjà fait, s’il y a choix : c’est la Turquie. Pour l’OTAN, même si la question israélienne est moins pressante, la proximité de la Turquie est un facteur capital également, alors que ce pays, qui est resté en retrait dans l’OTAN par rapport à son évolution, a toutes les chances désormais de faire effectivement sentir cette évolution et de commencer à exiger des aménagements de politique qui lui correspondent.
Mis en ligne le 8 juin 2010 à 09H15
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