L’Écosse annexera-t-elle l’Angleterre ?

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L’Écosse annexera-t-elle l’Angleterre ?

L’Écosse a raté son indépendance l’année dernière, par une marge (45%-55%) plus importante que prévu. (Les sondages avaient donné jusqu’à une semaine du vote le “oui” et le “non” quasiment à égalité.) Ce résultat était l’effet d’une énorme campagne de communication menée par Londres dans les deux dernières semaines de la campagne ; les trois partis-Système (conservateurs, travaillistes et libéraux), y étaient partie prenante et avaient asséné à l’électorat d’innombrables promesses d’amélioration du statut de l’Écosse dans le Royaume-Uni et de divers autres avantages. Pourtant, aussitôt après le vote, la précarité de l'avantage obtenu par les anti-indépendantistes avait été mise en évidence par la poussée massive d'adhésions au parti indépendantiste (le SNP, ou Scottish National Party), notamment grâce une intervention très nettement de type démographique. (Ce sont surtout les plus jeunes qui soutiennent le SNP, mais avec l’habituel pourcentage d’abstentions dans les élections. Les plus âgés, adversaires de l’indépendance, s’étaient mobilisés avec cette campagne de communication de la dernière semaine, et cela est en général présenté comme l’explication du résultat inattendu. La poussée postélectorale d’adhésions au SNP venait effectivement de jeunes Écossais, dont certains s’étaient abstenus lors du vote sur l’indépendance.)

Depuis, l’étoile du SNP brillant ainsi d’un éclat encore plus vif a pris un nom, celui d’une femme qui a pris la tête du parti. Nicola (Nicol) Sturgeon remplaça Alex Salmont après la défaite et a mené depuis le SNP d’une main de fer, assurant au parti indépendantiste une position de supériorité exceptionnelle en Écosse ; la prévision actuelle est que le SNP pourrait remporter jusqu’à 43 des 59 sièges que le découpage électoral donne à l’Écosse pour sa représentation aux Communes de Londres. Cela éliminerait quasi-complètement la position des travaillistes qui ont toujours eu une position de force en Écosse (souvent presque à égalité avec le SNP ces dernières années). S’il se confirme, ce résultat donnerait au SNP une place de choix aux Communes et lui permettrait de devenir un parti-clef pour la formation du gouvernement, voire un parti de gouvernement selon une alliance de coalition et de circonstance avec les travaillistes. La situation est d’autant plus intéressante que Sturgeon a des conceptions générales qui pourraient être assimilées, dans le cadre européen, à une position antiSystème, notamment en s’opposant à la politique d’austérité que suit le Royaume-Uni, selon l’orientation européenne hyperlibérale. (Signe qui ne trompe pas, Sturgeon est l’objet d’attaques générales de la presse-Système, très attentive à sentir tout ce qui menace l’ordre-Système établi. RT détaille le 21 avril 2015 le traitement fait à Sturgeon  : «Right wing commentators and newspapers have taken to using dirty tactics to challenge the seemingly endless rise of Scottish National Party leader Nicola Sturgeon. The Scot has even been awarded Britain’s top anti-establishment accolade by the Daily Mail newspaper, who branded her “the most dangerous woman in the country.”»)

Le paradoxe est que ce destin étonnant du SNP devenant un des partis centraux du Royaume-Uni le deviendrait plus encore si Nicola Sturgeon mène à bien son projet de faire un nouveau référendum sur l’indépendance en 2016, cette fois avec de très fortes chances de l’emporter. Dans la plus extrême des situations, on trouverait donc un parti central du Royaume-Uni, sinon un parti de gouvernement complémentaire dans une coalition, obtenant l’indépendance détachant la nation qu'il représente du pays dont il participerait plus ou moins directement à la direction de son Etat. Une situation encore plus complexe que celle de l’Ukraine, qui en dit long sur l’état de la légitimité des directions politiques classiques inféodées au Système.

Mais cela n’est pas fini si l’on veut avoir une vision complète de l’importance de ces élections britanniques du début mai. La faible position des conservateurs, le jeu de l’UKIP anti-européen, (qui reste important bien qu’il semble avoir perdu de son poids au niveau national à cause du succès de SNP), contribuent à mettre deux autres dossiers essentiels sur la table :

• La question de la présence du Royaume-Uni dans l’EU, fortement contestée et à propos de laquelle certains voudraient un référendum (l’UKIP) ou seraient conduits à le vouloir (les conservateurs, s’ils étaient obligés à une alliance où se trouverait l’UKIP comme alternative à un gouvernement travaillistes-SNP, et aussi parce que Cameron est tout de même lié par une promesse de référendum faite pour satisfaire son aile anti-européenne qui ne cesse de se renforcer). Il s’agit alors d’un débat d’une importance considérable, au moment où l’Europe institutionnelle se trouve devant de multiples crises (la légitimité des institutions dans la perception de l’opinion publique, la politique de l’austérité et la contestation générale à ce propos, la crise grecque, les relations avec la Russie). La tendance au retrait UK de l’UE est également un des sujets essentiels des special relationships, les USA n’ayant plus guère d’intérêt pour le Royaume-Uni si ce pays perd sa position de “cheval de Troie” anglo-saxon à l’intérieur de l’UE.

• Là-dessus, il y a la position des travaillistes, justement vis-à-vis des USA, notamment à cause de l’orientation très, très peu proaméricaniste de son chef Ed Miliband. (On doit se rappeler tout de même que ce sont les travaillistes, sous l’impulsion extrêmement ferme de Miliband, qui votèrent à la fin août 2013 contre la participation du Royaume-Uni à l’attaque US projetée contre la Syrie, verrouillant ainsi une majorité anti-interventionniste qui torpilla complètement ce projet, à Washington même... Cela, et non pas, comme l’affirme aujourd’hui la narrative type-Friedman [voir le 22 janvier 2015], l’opposition de la Russie, puisque la Russie n’intervint dans cette crise qu’en septembre, [voir le 12 septembre 2015] pour offrir une porte de sortie à un Obama complètement empêtré dans ce projet d’attaque, l’opposition du Congrès au projet s’étant révélée après le vote-surprise négatif des Britanniques.) La présence d’un Ed Miliband dans une position de direction serait pour les USA une très mauvaise situation sinon une très, très mauvaise surprise.

Le scrutin du début mai 2015 confirme que même le Royaume-Uni, pourtant acteur fondamental et soutien constant sinon fondamental du Système, est devenu producteur régulier d’instabilité pour le Système. On pourrait se poser la question de savoir s’il n’eut pas mieux valu que l’Écosse votât son indépendance à l’automne dernier, quand on la voit devenir, au travers du SNP, un trublion de plus, et de taille, de la situation politique britannique. Sur ces élections exceptionnelles, on doit lire la présentation qu’en fait William Pfaff le 22 avril 2015. Nous reprenons son texte ci-dessous – avec un titre qui résume l’importance de la chose : «Could Britain vote to quit the EU and the US?»

dedefensa.org


Could Britain vote to quit the EU and the US?

The British general election early next month may prove as significant for Europe, and even for the United States, as for Britain itself. The British electorate must make an unprecedented choice among Conservatives, Labour, Liberal Democrats, Scottish Nationalists, UK Independents (or UKIP, who want to quit Europe) and Greens, to name only the parties likely to have any influence on the outcome.

This dazzling array of political choice, to voters collectively accustomed for nearly a century only to Tories, Liberals, Labour and an unelectable left, offers a conundrum to those who would forecast the outcome this year. As of this writing, the Conservatives and Labour are so closely matched in voter opinion as to make virtually no difference. Either, winning by the minuscule margins suggested today, is almost certain to need a coalition partner to construct a government. The candidates for that role are the Liberal Democrats, who shared rule with the Conservatives in the present outgoing government, but who have always harbored leftist sympathies and would shock few if they joined a new government with Ed Miliband’s reformed Labour Party.

However what British commentators find more intriguing is the possibility that the Scottish Nationalists, newly led by Nicola Sturgeon, could come in third (or even second, but without a result large enough to make them the official opposition). It nonetheless is now the third largest party in Britain, with 110,000 signed-up members, and would therefore have a powerful claim to a coalition position, and be strong enough to impose its mark on new government’s policies. Scotland in that case might have lost its bid for independence last year, but would have irresistible influence in a coalition government of Britain.

Then we have UKIP, the withdraw-from-the-EU party. Or one could say, one of the two anti-European parties in Britain if we count the Conservative Party according to where its heart really wants to be. Business, the City of London, and pressure from the United States keeps the Tory Party from bolting from its orthodox establishment position. Its members generally hate the EU, but its leaders accept the pragmatic arguments that the British manufacturing economy needs Europe and British high finance would be unlikely to hold its position as the world’s most important competitor of Wall Street without EU membership. Finally, what is Britain’s role if it ceases to be Washington’s entry into Europe and agent of influence in Brussels?

David Cameron, Tony Blair and all their postwar predecessors subordinated national pride to Washington’s wishes. They did so because that is what their Great Man, Winston Churchill, had told them they must do, and because Dwight Eisenhower threatened serious damage to the pound sterling if Britain did not surrender its one (foolish in its own terms) strike out for freedom from America, when it invaded Egypt to seize the Suez Canal in 1956.

Churchill was convinced that Britain must invent and nourish the “special relationship” even though his own country had won the Second World War in Europe. It held out against Hitler, won the Battle of Britain, checked Rommel in North Africa, and won the battle of El Alamein at the same moment the Russians won at Stalingrad; Hitler never won a major battle after that.

But Churchill recognized that America’s mass of men and material produced VE Day in Europe (even though the British Empire put more men ashore in Normandy on D-Day than did the United States). He foresaw the “special relationship” as one of moral equals — Greece to Rome and all that. Washington could see it only as Britain’s essential subordination. For this reason it is highly interesting that the co-author of Labour leader Ed Miliband’s political biography, the broadcaster Mehdi Hasan, writes in the New York Times that despite Miliband’s childhood in the U.S. and time teaching at Harvard, he has been a consistent opponent of U.S. (and Israeli) foreign policy.

Thus the election in May could produce one (or more) dramatic outcomes in transatlantic and trans-channel relations. The first is British withdrawal from the European Union. That’s what UKIP leader Nigel Farage wants. But after a highly publicized pre-campaign, Farage seems today to be fading. His BBC party debate last week was not a success. Critics said he was thoroughly overshadowed by the feisty Nicola Sturgeon of the Scottish National Party. Tory leader David Cameron, if he wins, promises an eventual national referendum on withdrawal from Europe. Popular support in Britain for leaving Europe is substantial but may fade when it’s time to confront the reality of so drastic a step.

If Labour wins, and should it form a coalition with Scottish Nationalists or Liberal Democrats, the principal consequences will be domestic, in economic and social policy, and in the role Britain plays in Brussels.

If Mehdi Hasan is right, a Labour-led government or coalition might produce a serious change in U.S.-European relations and U.S. foreign policy. This could be dramatic indeed since it is beginning to be understood in the United States, as well as Europe, that the postwar configuration of international organizations, and of both political and economic power, is shifting under the influence of China and Vladimir Putin’s Russia — and by the policy miscalculations and overreaching overseas of the Obama administration.

William Pfaff