L’Ecosse, ou comment devenir une crise

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L’Ecosse, ou comment devenir une crise

16 septembre 2014 – En effet, soudain venue sous nos plumes par la grâce étrange d’un sondage donnant la victoire du “oui” alors que celle du “non” semblait assurée, selon les vœux du Système, le vote sur l’indépendance de l’Ecosse est devenu une crise. Les derniers sondages à ce jour, après le sondage cité précédemment, ont semblé redonner le “non” en tête, à la suite d’une poussée de pressions et de propagande exceptionnelle de la part du centre londonien et de tous ses relais. (Successivement, le Guardian a donné un résultat “non” vainqueur mais trop serré pour signifier une victoire [le 12 septembre 2014], puis le “non” vainqueur plus nettement, par 53%-47%, signifiant une victoire [le 13 septembre 2014.) Le Guardian du 13 septembre 2014 a rappelé ce qui fut “une semaine de panique dans le camp du ‘non’” :

«A week ago, the no campaign and all the main Westminster parties were shaken by a YouGov poll that showed a two-point lead for yes as the campaign entered its final leg. It prompted the Conservatives, Labour and Liberal Democrats to promise more powers for Scotland on an accelerated timetable, as they tried desperately to demonstrate that a no vote would not result in the status quo.»

Finalement et d’une façon générale, en prenant en compte tous les sondages, la situation statistique du référendum du 18 septembre était finalement caractérisée, au soir du dimanche 14 septembre 2014 par un mot terrible, générateur de toutes les tensions, – “incertitude” ... C’est ce que résumait Reuters, relayé par Strategic-Culture.org :

«The future of Scotland and the United Kingdom looked uncertain on Sunday, five days before a historic referendum on independence, as polls showed the rival campaigns running desperately close. Out of four new polls, three showed those in favor of maintaining the union with a lead of between 2 and 8 percentage points. But an ICM poll conducted over the Internet showed supporters of independence in the lead with 54 percent and unionists on 46 percent.»

Les indicateurs statistiques ayant été rappelés, avec les doutes qui s’attachent toujours à ce type de mesures de l’instant sensibles à toutes les pressions de l’immédiat, reste selon nous ce fait que la “crise écossaise” qui semblerait devoir se clore, dans un sens ou l’autre, jeudi prochain, en vérité est soudainement parmi nous pour durer. Mais, certes, par “crise écossaise”, nous entendons quelque chose qui dépasse l’Écosse elle-même, qui concerne au-delà la situation du Système face aux réactions antiSystème.

D’abord, nous présentons une série d’analyses/d’opinion qui donnent des visions très différentes du scrutin et d’une possible indépendance écossaise en fonction de conséquences internationales et de perceptions diverses, dans le jeu en cours des affrontements et des tensions, et des crises en général. Nous avons choisi ces textes parce qu’ils se démarquent des analyses habituelles, où l’on fait du cas écossais une question d’équilibre ou de déséquilibre économique et, par exemple, un enjeu entre le Royaume-Uni et l’Europe institutionnalisée, ou bien l’occasion d’évolutions de l’un ou l’autre acteur par rapport à l’Europe institutionnalisée. Pour nous ces divers aspects sont dénués d’intérêt par rapport aux autres problèmes que soulève la question écossaise-devenue-crise. L’Europe institutionnalisée est un acteur de très grand poids, mais sans aucune stratégie, sans aucune capacité d’initiative, sinon ce que son propre poids la pousse à envisager ou à exiger. (Si l’on veut, l’UE est, pour nous, structurellement et mécaniquement, ce qui se rapproche le plus du Système : énorme puissance, aveuglement complet, stratégie vide, stupidité des concepts, “idéologisation” mécanique, etc.)

• Dans son texte du 13 septembre 2014, sur Information Clearing House, Fininan Cunningham aborde un sujet intéressant, sinon évident bien sûr (quoique peu abordé, – justement à cause de cette évidence) : l’effet d’une possible indépendance sur la puissance britannique, et notamment sur l’influence que dégage la perception qu’on a de la puissance britannique. Il salue avec enthousiasme l’effet d’affaiblissement extrême du Royaume-Uni qu’aurait l’indépendance de l’Écosse, parce qu’il s’agirait de l’affaiblissement d’un des plus zélés fauteurs de trouble, de désordre et de guerre dans la séquence nihiliste et déstructurante-dissolvante actuelle.

«This year marks the 100th anniversary of the beginning of the First World War. Millions of Scots, Irish and Welsh were slaughtered in that war, sent into battle by English rulers. Many other wars have since been fought to prop up imperial Britain and give it a much-undeserved global status as is manifested by its position today on the Security Council of the United Nations.

»Britain is a warmongering, destructive entity that continually destabilizes world peace through its “special relationship” with the United States. Afghanistan, Iraq, Palestine, Pakistan, Iran, Libya, Syria, Ukraine... anywhere you care to look in the world to see people suffering from conflict or duress you will see the nefarious presence of Britain.

»There are many positive reasons for why the Scottish nation should now create its own destiny. After centuries of subjugation under the English yoke, they deserve to chart their own path of freedom. But one good reason, among others, is this: Scottish independence is a vote for peace by delivering a hammer blow to Britain's imperial pretensions and warmongering. William Wallace, Robert the Bruce, Bonnie Prince Charlie would be proud of ye!»

• Dimitri Minine, dans Strategic-Culture.org, met en parallèle, le 11 septembre 2014, l’Écosse et le Donbass, ou Novorussia. A partir de la crise ukrainienne qui est évidemment le cas spécifique et énorme qu’on sait, c’est développer d’une façon originale, novatrice et enrichissante la réflexion classique sur la poussée centrifuge qui touche de nombreux pays, en Europe et ailleurs. Cela va du cas de la Catalogne, qui a vu la semaine dernière une formidable manifestation indépendantiste avec près de deux millions de manifestants dans les rues de Barcelone, à des cas nouveaux qu’on découvre souvent avec étonnement, – comme celui tout à fait d’intéressant, de l’île d’Okinawa par rapport au Japon qu’on a signalé le 15 septembre 2014. Il est par ailleurs évident pour nous (nous le soulignons dans le texte sur le cas d’Okinawa) que toutes ces poussées centrifuges ont, implicitement ou explicitement, une dimension antiSystème manifeste parce qu’elles mettent en question ce qu’on nommait auparavant l’“ordre établi”, et ce que nous nommerions plus volontiers une structure-Système qui fait nécessairement partie du dispositif de combat par sa dynamique de surpuissance du Système. Dimitri Minine développe donc l’idée de cette poussée centrifuge sous l’étendard commun à l’Écosse et à Novorussia de la Croix de Saint-André, en en faisant remonter la cause géopolitique à la désintégration et à la déstructuration de l’URSS, – le mouvement centrifuge actuel, illustré par l’Écosse, étant une sorte d’énorme “réplique sismique” de la désintégration de l’URSS qui commence à frapper l’Occident (le bloc BAO).

«... Saying “Yes” by the voters will inspire the people of Donetsk and Lugansk. They will welcome the outcome and ask – why should we be refused the rights that other peoples have, are we different, do our children cry in some other way?

»When London agreed to the referendum, the idea of independence was supported by no more than 30%. The changes in public sentiments were neither expected, nor predicted. If it were different, perhaps the English would have done their best to prevent the event. What made influence the public opinion in such a short period of time? Has the drama of other European people making sacrifices for the ideas symbolized by the St. Andrew’s flag impacted their mindset? The link between the events in Scotland and Novorossia is only symbolic. Backed up by powerful Washington London is directly involved in activities aimed at quelling the expression of people’s free will in Novorossia. By doing so it kind of lets the Scots know that, if not the circumstances, they could be treated the same way. It only spurs the pro-independence feelings. Actually there is no difference between the happenings in Scotland and Novorossia from a legal point of view.

»In fact, the only formal argument against the self-determination of Novorossia is that the referendum is held in agreement with London while the referendum in Novorossia took place without Kiev’s consent. The Spanish diplomacy tries to take advantage of this fact as the referendum on Catalonia’s independence is slated for November 9. The Spanish government never gave its agreement on organizing the event and never said it would recognize its results. In Madrid they say the Catalonian vote should be treated the same way as the plebiscites in Crimea and Novorossia with no recognition of referendum results to follow. But if Scotland votes for independence nothing will stop the Catalonians on the way to self-determination. The stubbornness of Madrid may lead to the repetition of the events in Ukraine. The attempt to substitute the rights of people with the rights of governments challenges the international law and may lead to new conflicts.

»The energy of the collapse that hit the USSR and East Europe in the late 1980s – early 1990 was, to large extent, stimulated by London to backlash today. The West started to talk about the boomerang effect of re-Balkanization. Scotland is just a start. Wales and Northern Ireland may follow. It’s an irony of fate that Donetsk was founded by John James Hughes, a Welsh engineer and businessman. This is one more historic event linking Donetsk with Great Britain and its people.

»The chain reaction is to move far beyond the UK’s borders. In Europe the leaders of political movements struggling for autonomy status or independence are closely watching the event. Perhaps Catalonia in Spain and Flandria in Belgium are next. The support of Western capitals for the Kiev repressions does not scare them; to the contrary it makes them more adamant on achieving the aspired goal. The logic is simple: the national issue should be tackled before they are treated the same way as in Ukraine.

»The European Union will not avoid the crisis of identity. George Robertson, former NATO Secretary General (1999-2003, who is a Scot by origin, said, “A dangerous historic event might soon be upon us — with few people outside the U.K. even noticing”. According to him, if the separatist government gets its way in a referendum planned for September 18, the 300-year-old union of Scotland, England, Wales and Northern Ireland — the United States’ oldest and closest ally — will be on the road to disintegration. The rest of the country will hold a referendum on the European Union membership. There is a great chance the advocates of leaving the Union will win as Scotland is largely pro-EU. The Eurosceptics will strengthen their position in all countries. The window of opportunity for the states striving for the European Union membership to save their feeble economies will probably be closed. And the Ukraine’s prospects for European integration, which are dim enough anyway, will vanish in the hays.»

• Le dernier mot parmi nos commentateurs à Robert North, cet acharné antieuropéen (anti-UE) qui anime le site EUReferendum. North développe le cas essentiel du principe même de la souveraineté auquel est confronté un souverainiste. (Il parle plus volontiers de “nationalisme” en jugeant qu’il faut réhabiliter le concept, – mais alors, effectivement, le concept de “souverainisme” fait aussi bien l’affaire.) North montre bien l’ambiguïté du problème posé par la poussée centrifuge, notamment pour le Royaume-Uni du point de vue nationaliste/souverainiste, – car que restera-t-il du Royaume-Uni si l’Écosse devient indépendante, et si la même poussée affecte d’autres entités du royaume ? On retrouve, à l’envers, le problème posé par Cunningham plus haut. Cette fois, on observe que des nationalistes/souverainistes, dont la tendance pourrait être jugée comme antiSystème, s’affirment comme les plus fermes adversaires de l’indépendance écossaise. C’est le cas de Nigel Farage et de son parti d’extrême-droite UKIP (voir Le Monde du 13 septembre 2014). Voici l’argument de North, le 12 septembre 2014, qui combine son argument anti-indépendantiste à son opinion anti-UE.

«... And there lies an interesting dynamic. With Scotland, “on the slab”, so to speak, other European separatists are watching developments with more than academic interest. If Scotland does manage to break away, there will be plenty of other movements wanting to repeat the experience. The interesting thing here is that the growth of separatist movements is in part a reflection of the weakness of the national governments which have hitherto held together the disparate parts of their domains.

»Now enter M. Monnet, his friends and successors, who have spent lifetimes undermining nation states, all in the interest of creating their glorious supranational state. But the irony now seems to be that, rather than paving the way to a United States of Europe, weakening the nation states is lifting the lid on a wholly different can of worms. Instead of unifying states, reducing their power is having the opposite effect, fragmentation rather than unification.

»The “colleagues” might thus have to confront the daunting prospect (for them) that their great guru was wrong. Far from being the fount of all evil, nation states were (and are) the only thing standing between us and a fragmentation that, once started, will only continue. At the end of the line are the terrors of tribalism, and the Scots may find that they have unleashed forces over which they have no control. A spilt from London may not be the end of it, with the Orkney and Shetland islands to follow. That dirty word, “nationalism” may have to be rehabilitated. The nation state may be the only thing standing between us and chaos.»

Comme on le voit, la question de l’indépendance de l’Écosse soulève de très nombreux problèmes, et des plus fondamentaux, et tous avec une dimension antisystème. C’est de ce point de vue que l’on peut identifier dans cette affaire écossaise une “crise” dans le sens où nous entendons ce concept (Système versus antiSystème) ; son parcours, également, indique qu’il s’agit bien d’une “crise”, avec cette idée partie d’une façon anodine, comme un “coup” électoral sans risque des conservateurs, – une promesse de référendum pour s’attirer des voix écossaises, effectivement sans risque avec les sondages donnant alors les indépendantistes à un peu plus de 30%, – et tout cela débouchant sur le grand chambardement que l’on voit aujourd’hui, la possibilité du “dangereux événement historique” dont parle Sir George Robertson. Encore une fois comme dans nombre de crises, c’est la rapidité du phénomène qui retient l’attention, comment en deux semaines la question écossais jusqu’alors à peine commentée devient une crise fiévreuse aux multiples ramifications, chargée de tensions explosives ; encore une fois c’est la réaction brutale du Système, cause de tout le processus et paniquant brusquement devant la crise qu’il a engendrée (le “une semaine de panique dans le camp du ‘non’” mentionnée par le Guardian) en jetant dans la bataille tous ses moyens de pression les plus grossiers, qui a transformé la question écossaise-devenue-crise et une “crise fiévreuse... chargée de tensions explosives”.

La première question de commentaire qui vient sous la plume est celle du retentissement du vote écossais. En d’autres termes, et en écartant le cas du “oui” dont les effets sont évidents, la question devient de savoir si, en cas de victoire du “non”, le dossier ainsi ouvert sera simplement clos, et la crise terminée ? Notre réponse tendrait à être négative, d’abord parce que des remous sont à prévoir en Ecosse et en Angleterre même, ensuite parce que cette affaire écossaise est devenue “crise” non pas à cause du seul sort de l’Écosse, mais à cause de tout ce que le sort de l’Écosse a révélé à cette occasion. La question de l’indépendance écossaise est devenue une “crise”, et la crise s’est constituée en dépassant la question de l’indépendance écossaise pour ranimer ou électriser toutes les tensions sous-jacentes des forces centrifuges, de dévolution, etc. Nous ne sommes même pas assurés du tout, et même au contraire, de ce qu’un vote négatif réglerait, même temporairement, le problème de l’indépendance écossaise en Écosse même, et dans la situation interne du Royaume-Uni. (Sans parler de l’évidence qu’un vote positif ferait automatiquement monter la crise vers son contexte international, avec des effets immédiats de grande tension dans nombre de pays.)

Finalement, ce qu’a révélé la question écossaise et qui a fait qu’elle est devenue une crise, c’est l’existence d’une ligne de tension de plus affectant les activités du Système. Cette ligne de tension était connue en théorie, comme le sont toutes les lignes de tension créées par le Système, – et le Système ne peut créer rien d’autre que des lignes de tension, – mais l’“opérationnalisation” écossaise l’a faite sortir du plan théorique, justement, pour l’activer opérationnellement. C’est donc une nouvelle chaîne crisique qui est mise à jour, et l’on comprend alors que le phénomène dépasse évidemment l’Écosse, et même le résultat du vote de jeudi, – même si l’Écosse, quoi qu’il en soit du résultat de jeudi, doit rester à la place d’honneur.

Le Système, inévitablement surpuissant-autodestructeur

Comme d’habitude, dans cette affaire c’est le Système qui a créé lui-même le problème qui l’embarrasse. Comme d’habitude, ce sont l’incurie et l’irresponsabilité des relais du Système, en l’occurrence des partis-Système (les tories dans ce cas), qui ont conduit à l’opérationnalisation de la question de l’indépendance écossaise. Comme d’habitude, la certitude de la surpuissance mise en œuvre par le Système, tout comme cette certitude de pouvoir tenir les indépendantistes à distance grâce aux moyens du système de la communication et à la pseudo autorité/légitimité du centre londonien, ont motivé le risque pris qui est apparu comme mineur et aisément “gérable”. Comme d’habitude, ce ne fut pas le cas (pas “gérable”). Comme d’habitude, c’est le Système lui-même qui a déterré la hache de guerre, – une de plus, – qui allait créer un front antiSystème de plus.

L’interprétation s’impose d’elle-même, après que l’événement ait acquis sa dimension déstabilisante à cause de l’action du système de la communication. Ce à quoi nous assistons est la poursuite de la dynamique générale selon le grand mouvement que produit et suscite le Système, que nous identifions comme celui de la déstructuration, de la dissolution et de l’entropisation (formule dd&e). Entré d’une façon générale dans sa phase finale de surpuissance-autodestruction, le Système pousse cette dynamique dans tous les sens et dans tous les azimuts (surpuissance), créant des situations de plus en plus complexes et conduisant de plus en plus souvent cette dynamique à se retourner contre lui-même, le Système (autodestruction).

Au départ fait anodin faisant partie de la plus médiocre politique électoraliste comme on l’a vu, du moins dans l’esprit de ses promoteurs (Cameron & Cie) qui jouèrent les apprentis-sorciers complètement inconscients, l’affaire écossaise est devenue en quelques jours, depuis le premier sondage annonçant la victoire des “oui” et qui fut pris comme un symbole, une véritable crise et un facteur fondamental dans la dynamique-“dd&e”. Selon notre perception, il est très possible que ce soudain surgissement de la question écossaise soit due également à une intense préparation psychologique du fait de la crise ukrainienne. (Voir l’interprétation de Minine.) Qui dira si la question du Donbass, ou Novorussia, dont les péripéties et les affrontements furent consciemment caviardées et déformées comme peut l’être un monstre jusqu’à la nausée intellectuelle par un système de la communication du bloc BAO devenu fou, n’est pas intervenue inconsciemment, en posant dans des termes tragiques de feu et de sang la question de la détermination souveraine des peuples ? Dans ce cas, il s’agit d’une hypothèse d’une pression inconsciente jouant dans le sens de la dramatisation de la question de l’indépendance écossaise ; le Donbass, ignoré absolument du Système, jouant le rôle presque psychanalytique d’un miroir où l’Écosse peut mesurer l’importance dramatique, sinon tragique, de la question qu’elle aborde pour son propre destin dans le contexte européen actuel.

Dans ce cas, la logique impose d’aller plus loin, dans un mouvement de renforcement mutuel des crises comme on les voit faire si souvent aujourd’hui. En effet, le cas écossais, ou ce que nous nommons la “crise écossaise”, deviendrait un facteur constitutif de grande importance, d’autant que son influence se fait sentir partout dans les cas où existe un enjeu sécessionniste, dans l’épisode général de la crise d’effondrement du Système dont la conclusion constitue l’alternative à un affrontement nucléaire à propos de l’Ukraine, selon notre appréciation de la crise ukrainienne (voir le 3 mars 2014).

Cette marche vers la déstructuration-dissolution avec le but de l’entropisation (formule dd&e) conduite par le Système et exercée contre toutes les structures et contre tous les peuples, ceux-ci de moins en moins définis par les frontières nationales comme marques identitaires, et de plus en plus soumis à ces frontières nationales comme éléments d’une prison commune destructrice de l’identité selon les manipulations du Système, suscite nécessairement une réaction antiSystème qui est nécessairement du type “faire aïkido”, retournant contre le Système sa même arme déstructuration-dissolution mais ici pour éviter l’entropisation. Du point de vue dynamique, cette situation de pression du Système suscitant en résistance des attitudes de combat antiSystème est un facteur constant, et il l’est encore plus pour l’Écosse. On sait bien qu’une indépendance de l’Écosse repoussée laisse ce composant du Royaume-Uni sous la menace déstructurante et dissolvante du centre londonien, City en bandouillère, qui est l’une des principaux centres d’activisme du Système. (C’est bien une spécificité historique de l’entité britannique d’avoir ainsi projeté, dans son histoire, ces tendances déstructurantes-dissolvantes vers l’extérieur, grâce à ses pratiques commerciales et financières, dès lors que cette nation fut conduite à choisir, peut-être sans avoir réalisé tout le poids historique de ce choix, cette voie à partir de ses deux “révolutions”, celle de Cromwell et ses suites, et celle du choix de la thermodynamique en 1784-1825 [voir pour cette dernière, le Glossaire.dde du 5 novembre 2012].)

Il est évident que tout cela pose des problèmes graves à ceux-là même qui ont l’habitude de tenir très honorablement une place importante dans la lutte antiSystème ... Nous avons déjà souligné ce fait à propos de la globalisation (voir le 31 décembre 2013)... «Ce qui est apparu symboliquement et en termes de communication avec les derniers événements russes qu’on a évoqués et les appréciations qui en ont été faites, selon nous, c’est la reconnaissance que le phénomène de “contre-globalisation”, avec sa définition classique d’antagonisme de la globalisation, a pris une tout autre signification. Aujourd’hui, il faudrait donner comme définition au phénomène de “contre-globalisation” celle de l’apparition d’un phénomène de globalisation concurrent et antagoniste de la globalisation établie par le Système. Il s’agit d’une sorte de “globalisation anti-globalisation”, dont la définition doit absolument intégrer le phénomène d’antagonisme, d’affrontement, de bataille, etc.»

Il est vrai que l’argument développé par North pour justifier son opposition à l’indépendance de l’Écosse n’est pas mince : la destruction de la nation sous sa forme présente d’État-nation (le Royaume-Uni privé de sa composante écossaise) avantage les entités supranationales quelles qu’elles soient, de quelques formes qu’elles soient (organisations formelles mais aussi consensus aveugles sur des conceptions idéologiques déstructurantes et sur des “politiques” aveugles accouchées par la politique-Système)... Certes, sauf que l’argument, qui doit être compris à plein dans le cadre du bloc BAO qui est celui de l’Écosse, peut être retourné et la conséquence devenir cause : ce sont justement l’évolution et l’affaiblissement principiel des États-nation dans l’état où ils se trouvent, et notamment le Royaume-Uni, qui suscitent et confortent la formation des entités supranationales, notamment par le transfert de pouvoirs souverains par les des États-nation en déliquescence, et favorisant ainsi la destruction du principe de souveraineté qui fonde leur essence même. On pourrait poursuivre la logique de cet argument retourné jusqu’à son terme en en trouvant la justification originelle dans la question ultime, dont la réponse est évidente, de savoir ce qu’il reste aujourd’hui de l’État-nation, principalement dans le cadre du bloc BAO qui en fait un de ses arguments pour tenter de désamorcer la résistance antiSystème. C’est l’affaiblissement vertigineux de leur capacité à affirmer leur souveraineté, donc la destruction sinon l’autodestruction de leur propre souveraineté, qui pousse les soi-disant des États-nation à rechercher ces entités supranationales. Affirmer encore leur souveraineté comme s’il s’agissait d’une résistance solide au Système, c’est ignorer la fonction que ces pseudo-États-nation jouent comme alibis et faux-nez des entités supranationales qu’ils créent et alimentent en faisant croire qu’ils existent encore en tant que tels alors que les entités sont reconnues comme régulatrices et inspiratrices de ce courant de surpuissance déstructurante/dissolovante que l’on n’ose plus nommer “politique”, et sur laquelle s’alignent ces soi-disant États-nation devenant producteurs par ce fait et par procuration de déstructuration et de dissolution de tout ce qui est structurant, – y compris et d’abord la souveraineté, c'est-à-dire “leur” souveraineté quand il leur en reste.

La crise écossaise, en fait si l’indépendance est votée, en principe si elle ne l’est pas (...mais elle ne perd rien pour attendre), nous explique et nous démontre que la souveraineté en l’état où on l’avait installée est morte, et la conception principielle avec elle, et tout cela liquidé par le Système. La crise écossaise nous fait réaliser l’état d’avancement de la crise causée par le Système, et la crise du Système elle-même ; elle nous crie que le roi est nu ... Qu’on en soit, pour nombre d’esprits et de critiques qu’on ne peut soupçonner ni de noirs desseins ni de félonie, à attendre avec espoir et réjouissance le début de l’éclatement d’une des plus vieilles nations d’Europe, chargée de gloire et de grandeur, voilà qui nous fait comprendre à quelle intensité de développement se trouve aujourd’hui la crise générale du Système, avec ses effets terribles.

Manifestement, dans ce cadre de la crise ainsi créée, avec l’indépendance de l’Ecosse votée jeudi, ou bien le désir et la volonté d’indépendance si fortement manifestés dans la perception que nous en avons lors de cette campagne électorale jusqu’à jeudi, comme celle de bien d’autres communautés, provinces ou possessions dans le même état de désir d’indépendance, cette poussée explicite de déstructuration et de dissolution de forme antiSystème attaque incontestablement le Système et ses créatures et nous fait mesurer l’intensité poursuivie et toujours grandissante de la crise générale, ou crise d’effondrement du Système, et son format général et global ... Oui, sans aucun doute il faut établir un lien entre l’Écosse et Novorussia, – et aussi, entre l’Écosse et Okinawa... Il n’est pas absurde, bien entendu, d’avancer l’hypothèse que peut-être ces régions et ces communautés en quête d’indépendance possèdent la clef d’une résurgence du principe de souveraineté par leur propre exemple, par leur comportement, par leurs intentions, – enfin, par leur volonté d’indépendance.

... Et alors ? interrogera-t-on, s’agit-il d’applaudir à la fragmentation du monde que North désigne comme la route vers le chaos comme prix qui semblerait absurde d’une éventuelle résurgence du principe de souveraineté ? Mais non, il ne s’agit d’applaudir à rien de particulier (sinon à la dynamique antiSystème que cela manifeste)... Il s’agit de faire un constat, et d’observer également que ce constat, par les coups qu’ils portent à une narrative du Système (celle de l’existence d’État-nation encore souverains au sein du bloc BAO), manifeste une réelle vertu antiSystème.