L’Etat “souverain” de l’Arizona versus Washington

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Le conflit latent entre l’Etat de l’Arizona et le centre fédéral Washington D.C. a pris un tour dramatique vendredi avec la signature de la loi (SB 1070) très dure anti-immigration de l’Etat de l’Arizona, après un avertissement également très dur du président Obama qui a annoncé qu’il ferait examiner la constitutionnalité de cette loi par rapport aux droits civils. Il y a là un conflit latent entre un Etat de l’Union et le centre fédéral d’une gravité d’autant plus grande que cette loi est un enjeu électoral d'importance. Il s’agit d’un développement assez dramatique du conflit que nous signalions dans notre Bloc-Notes du 23 avril 2010.

Le Washington Times du 23 avril 2010 explique les principales péripéties de l’événement.

«Arizona Gov. Jan Brewer on Friday signed a law making it a state crime to be an illegal immigrant, just hours after President Obama criticized the measure and said the federal government would review it to see if it violates civil rights laws.

»In signing the bill, the Republican governor said she has also issued an executive order to set standards to ensure racial profiling does not take place under the new law, which goes into effect in 90 days. She said the state had to step in and protect its residents because the federal government has failed.

»“Though many people disagree, I firmly believe it represents what's best for Arizona,” the governor said as she signed the law. […]

»The Arizona law has the support of the state's two Republican senators, who said criminals among the illegal immigrant population are responsible for a marked increase in violence and crime.

»But one of the state's congressman, Rep. Raul Grijalva, a Democrat, has urged businesses to boycott Arizona in retaliation for the proposed law. He said the measure would encourage racial profiling and predicted that without some sort of penalty falling on Arizona, other states would try to follow its lead.

«Earlier in the day, at a naturalization ceremony for 24 immigrant U.S. troops at the White House, Mr. Obama blasted the proposed law, saying it represented “irresponsibility” and said he had directed his administration to examine the measure and see if it violates civil rights laws.»

Obama essaie de mettre en place une majorité au Congrès pour passer une loi générale légalisant l’immigration illégale. Mais un certain consensus qui régnait entre les deux partis il y deux et trois ans semble aujourd’hui compromis. Par exemple : «Several Republicans who led past efforts – including Sens. John McCain and Jon Kyl of Arizona, who led the 2006 and 2007 bills respectively, have said there is no consensus this year, and argue that the borders are not yet secure enough to contemplate a bigger overhaul effort including legalization.»

Notre commentaire

@PAYANT Cette phrase est d’une réelle importance, qui rapporte une remarque de la gouverneur de l’Arizona: «She said the state had to step in and protect its residents because the federal government has failed.» Il s’agit d’une accusation grave: le gouvernement central s’est montré incapable de protéger les citoyens de l’Arizona, par conséquent l’Etat de l’Arizona légifère pour se donner les moyens de les protéger lui-même.

Il s’agit de l’amorce d’un conflit exemplaire entre un Etat et le centre fédéral, et un Etat qui se juge assez “souverain” pour décider une loi très importante qui va manifestement contre le souhait du centre fédéral. Il s'agit d'un conflit exemplaire dans la mesure où le président Obama a pris position sur la loi avant que celle-ci ait été votée, qu’il l’a jugée “irresponsable” et qu’il a donné l’ordre à son administration de l’examiner dans ce sens. Si l’administration Obama juge la loi illégale, il y aura un conflit. Comment se résoudra-t-il? S’il n’y a pas d’arrangement possible, ira-t-on devant la Cour Suprême des Etats-Unis? Si la Cour Suprême approuve l’Arizona, de nombreux autres Etats suivront l’exemple de l’Arizona et le gouvernement central se trouvera complètement désavoué dans son effort actuel pour faire passer une loi d’immigration libérale, légalisant notamment tous les immigrants illégaux. Si la Cour Suprême donne tort à l’Arizona, que fera l’Arizona, en pleine période électorale, alors que la “guerre” et l’immigration font rage, que la population demande des mesures, que les élections mid-tem (ainsi que les élections des gouverneurs) ont lieu en novembre prochain? Maintiendra-t-il cette loi au mépris de la constitutionnalité fédérale?

Certes, il y a déjà eu de nombreux conflits de cette sorte, mais celui-ci est particulièrement exemplaire, – et, dirons-nous, explosif, – pour diverses raisons. On en citera principalement deux.

• La situation sur la frontière mexicaine est explosive. C’est la guerre, c’est l’immigration illégale, une zone de “non-droit” comme on dit, qui tend à devenir une sorte de territoire sous l’administration des “cartels de la drogue”, avec un pied sur le territoire US. Contre cela, Washington ne fait pratiquement rien, par rapport à ce que devrait être son devoir à cet égard, ayant par ailleurs l’essentiel de ses forces engagées dans des expéditions lointaines qui grèvent le trésor public et ne rapportent rien. Ce n’est pas la sorte de circonstances qui pousse à accepter facilement d’abandonner une loi faite pour tenter de rétablir un peu de loi et d’ordre.

• On sait que la fureur antigouvernementale est à son comble, partout aux USA. C’est dans cet état d’esprit qu’on va accueillir ce conflit, où l’on va juger aussitôt que Washington interfère dans les affaires d’un Etat “souverain”, que Washington est par ailleurs incapable de défendre. Il en sera de même de l’intervention éventuelle de la Cour Suprême, si la Cour n’est pas favorable à l’Arizona.

Dans tous les cas, ce qui est remarquable dans le cas de l’Arizona (comme dans celui de l’Oklahoma, par exemple), c’est l’implication grandissante des autorités de l’Etat dans les conflits entre les Etats et le centre washingtoniens. La poussée centrifuge, jusqu’alors surtout populaire est en train de gagner les législatures des Etats, dans une atmosphère générale très dégradée (crise économique, immigration, drogue, etc.). Elle gagne même la législature fédérale puisque les deux sénateurs de l’Arizona, dont John McCain, sont, dans cette affaire, de facto du côté de leur Etat contre Washington.

La dynamique centrifuge de dévolution ne cesse d’accélérer aux USA. Désormais, tous les prétextes sont bons pour que cette dynamique se manifeste. Nous sommes engagés dans une dynamique qui, si elle se poursuit, va passer du particulier au général; de la réalisation que tel, tel, tel problème a de meilleures chances d’être résolu si l’on passe de l’échelon fédéral à l’échelon de l’Etat (re)devenu “souverain”, à la réalisation que le passage systématique de l’échelon fédéral à l’échelon des Etats “souverain” est la condition sine qua non pour que les problèmes soient résolus. C’est la dynamique qui conduit à admettre que la considération de l’Etat de l’Union comme entité “souveraine” est finalement une solution structurelle préférable à celle de la situation actuelle de la prédominance de la structure fédérale sur le reste.


Mis en ligne le 24 avril 2010 à 14H52