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310223 mai 2009 — La crise, quelle crise? Tout est vert comme le printemps, non? Comme les “green shoots”, comme la mystique Greenspan… Quel étrange univers, pour lequel un chroniqueur de CNN.News, Jim Bolden, a trouvé une expression non moins étrange pour faire éventuellement l’affaire, pour décrire l’une des termes de l’alternative qui prétendrait la définir: “optimisme sans espoir” (“ Green shoots of recovery or hopeless optimism?”).
Le 20 mai 2009, Bolden écrit une sorte de billet d’humeur, mais d’une humeur assez désorientée, à propos des “green shoots”, – c’est-à-dire des heurs et malheurs de l’expression qui signifie à peu près “les premiers signes du printemps”, ou bien “les premières pousses” annonciatrices de la fin de la crise.
«The headline in Tuesday's Times of London stating that the "Credit crunch has ended" might have been missed during the furore over the expenses of Britain's elected officials. […] The Times says if you look at the hard data, like Libor (the rate banks lend money to each other) and the Ted spread (a banking confidence index) and the Vix (share price volatility), then confidence is returning.
»Welcome to the latest round of “Green Shoots” indices. What's your favorite green shoot? Should you rely on unemployment figures to gage this recession? Or retail sales? Or even the housing market or the stock market? Everyone is looking longingly for those pesky green shoots of recovery. The problem is there are so many different predictors of recovery. […]
»The problem with green shoots is that people can be accused of talking up the economy. The Economist has created a 'Green Shoot' index. It tracks the number of times the term appears in the newspapers. There was hardly a mention of it in 2008. The number of hits bubbled higher during the beginning of this year and absolutely soared in April. […]
»Still, the ultimate green shoot for many is nothing more than the stock market. […] Who knows if a spring frost is just around the corner?»
• Le “Green Shoots Index” que signale Bolden est publié par The Economic le 20 avril 2009, avec un graphique qui justifie le titre («Economic green shoots are appearing in the press, at least»). Il s’agit d’une enquête bien sérieuse, comme on l’est dans le monde de l’économie et de The Economist, mesurant l’emploi de l’expression “green shoots” pour figurer les signes de notre grand printemps économique, – la reprise, pour ne pas la nommer. The Economist a parcouru les articles des grands organes de presse anglo-saxons, – c’est-à-dire US-UK, on est entre gens sérieux, – le New York Times, le Wahington Post, le Wall Street Journal, Reuters, le Times de Londres, le Guardian et l’Observer, le Daily Telegraph. Dans combien d’article(s) trouve-t-on l’expression porteuse d’espoir? 1 en octobre 2008, 10 en novembre 2008, 13 en décembre 2008, 43 en janvier 2009, 41 en février 2009, 65 en mars 2009, 157 en avril, – jusqu’au 20 avril. L’affaire ne fait pas un pli, on en conviendra.
• Effectivement, l’hiver 2008-2009 n’était pas encore la saison des “green shoots” (par ailleurs, c’est l’évidence). Le 12 janvier 2009, la baronne Vadera, ci-devant “minister of Business” du gouvernement Brown, s’était aventurée à parler des “jeunes pousses vertes” du printemps, – au cœur de l’hiver! «I am seeing a few green shoots but it's a little bit too early to say exactly how they'd grow. Is this a positive straw in the wind, or should we say one swallow does not make a summer? It's too early to say.» Elle fut vertement tancée, notamment par les conservateurs, parlant du respect qu’il fallait avoir pour les gens qui perdaient leurs emplois et qu’elle n’avait pas à ainsi rameuter des lueurs d’espoir pour remonter l’estime de son gouvernement dans les sondages. BBC.News remarqua, le 14 janvier 2009:
«The remarks came on a day when UK firms announced large-scale job losses and share prices slumped by almost 5%. But Baroness Vadera defended herself, saying she had been referring to improvements in the credit market.
»On ITV News, she was asked when the UK could expect to see some “green shoots“ amid the economic downturn and replied: “It's a very uncertain world right now globally... I wouldn't want to be the one predicting it.”»
• Toute cette agitation virtualiste a déjà amené nombre de commentaires. Tout le monde n’est pas d’accord, tant s’en faut, sur l’emploi de l’expression, – il s’agit de ce point précisément, – dans l’activité pour restaurer la confiance et renverser le cours tragique de la crise. Effectivement, ce débat très sérieux porte sur ce point de savoir s’il faut ou non nous abreuver de considérations plus ou moins poétiques et printanières sur les “jeunes pousses” pour faire redémarrer l’économie – sérieusement considéré, cela. Dans Slate.com, le 17 avril 2009, Daniel Gross observait ceci, non sans humour pour les chasseur de truffes:
«Spring is the season of rebirth, so it was fitting that Ben Bernanke, chairman of the Federal Reserve Board, in mid-March told 60 Minutes that he detected “green shoots” of economic recovery. Since then, the phrase “green shoots” has sprouted and blossomed. Analysts and journalists, desperate for any sign of hope, have taken to repeating the phrase “green shoots” as a soothing mantra. Economists are now walking around, eyes fixed on the ground like French rustics hunting for truffles, searching for verdant signs of growth.»
Débat sérieux, quoi qu’il en soit, puisque débat sur la confiance. Il y a longtemps, au fond, qu’on a tranché sur la cause de la crise; ce n’est pas que la machine est détraquée au travers de ses pratiques et de ses vertiges; ce n’est pas que le système est pourri, au travers de ses banquiers et de ses bonus et Madoff divers. C’est que le citoyen faillit à sa mission sacrée; il n’a plus confiance, et l’on se demande bien pourquoi, et l’on emploiera les grands moyens pour retaper cela, – d’où les “green shoots”, l'artillerie de l'optimisme.
L’expression “green shoots of springtime” vaut bien le fameux “green leaves of summer”, – on pourrait en faire poème et musique. Il y a un rapport évident à la nature et une volonté, consciente ou inconsciente, – nous dirions plutôt “arrière-consciente”, – d’identifier l’économie à la nature du monde, de faire en sorte que l’économie devienne la nature du monde, en chassant l’autre, la chiante, la vraie nature, non sans lui emprunter ses attributs les plus attrayants… Derrière l’offensive “green shoots”, justifiée par l’argument de la nécessité de restaurer la confiance, conformément, notamment, à ce qu’est la “mission” du président de la Federal Reserve, il y a une extraordinaire démarche symbolique, voire de pure superstition et d’incantation, comme dans d’anciennes religions perdues, comme un des facteurs essentiels de restauration de la confiance. Cette image des “jeunes pousses” printanières pourrait être acceptable si, justement, elle passait inaperçue, une fois ou l’autre utilisée et rien d’autre. L’extraordinaire diffusion de l’image, comme un mot de passe pour le catéchisme général, fait effectivement penser à l’effet d’une diffusion par le biais de la psychologie, bien plus que d’un esprit d’imitation ou, encore moins certes, d’une consigne ou d’une tromperie (par “propagande”).
A cet égard, il existe une sorte de “collectivité” des psychologies plus encore qu’une psychologie collective, chez les gardiens et les guerriers du système. La construction virtualiste en quoi consiste le projet de restauration de la confiance passe beaucoup plus par le mécanisme du groupthinking que par la “propagande” elle-même. (Voir notamment notre présentation de ce phénomène le 30 septembre 2003.) Le groupthinking est une meilleure approche du virtualisme que la “propagande”, il est même le stade proche de la réalisation du virtualisme. Il est basé non sur la persuasion des uns par les autres, par répétition ou par tromperie, mais sur la conformation des uns et des autres par l’alignement des psychologies individuelles par la voie du conformisme, si forte aux USA, et constamment renforcée par la puissance de la communication.
Dans le spectacle de cette diffusion, il n’y a nulle part et à aucun moment la conscience d’une manœuvre, d’une tromperie, d’une persuasion par “propagande”; il y a une immense complicité qui va de soi, – inconsciente, sans aucun doute, ou, plus justement dit, – “arrière-consciente”, en un sens, c’est-à-dire hors de l’empire du jugement de la conscience. Lorsque The Economist présente son “index” des “jeunes pousses”, il le fait mi-figue mi-raisin, c’est-à-dire presque comme un élément objectif (l’étrange mot!) de la reprise, – avec la phrase après tout ambiguë du titre: «Economic green shoots are appearing in the press, at least.» (Phrase ambiguë parce que, après tout là encore, on pourrait accepter l’idée que cette présence de “green shoots” dans les médias est bien le premier stade de la reprise.)
(Un lecteur de The Economist [Anoutsider, le 20 avril 2009] s’en agace: «Superstition and fear must be easier than insight. Did I miss the good articles? Amusing, perhaps, to talk about media trivia, but we came to expect The Economist to offer a more incisive analysis…» D’autres discutent sérieusement de la chose, voire l’approuvent [Twith et Sir Chuy, le 20 avril 2009]: «Spring is coming or already here depending on where you live. The “green shoots” metaphor is no doubt expected to pop up more when the writers are seeing actual green shoots.» … «Green shoots, seedlings, etc. are welcomed since we need a bit of metaphorical “irrational exuberance” to motivate us to survive and hopefully begin recovery and our economic healing.»)
Toutes les analyses et commentaires sont des résultats du jugement après-coup, mais l’essentiel du mouvement affectant l’essentiel des personnes impliquées concerne la psychologie et ce que nous nommerions effectivement l’“arrière-conscience”, – mi-chemin entre inconscient et conscience, – ou, encore, ”inconscient en train de devenir conscient”. Les analyses et commentaires des croyants, convertis et autres portent sur l’efficacité ou l’inefficacité de cette affaire pour la “reprise”, et nullement sur le fondement du procédé, sur la “méthode” si l’on veut. Les psychologies ont accepté le fait que l’offensive “green shoots” est un élément de la reprise, à prendre au sérieux ou à juger dérisoire pour ses effets c’est selon, sans mettre en cause son fondement. Elles sont effectivement complices, c’est-à-dire partie prenante. Il y a une action collective, – entre les émetteurs de l’offensive “green shoots” et les récepteurs, – avec nulle part l’appréciation qu’il s’agit d’un montage de “propagande”, d’une tromperie, ou de quelque chose d'encore plus singulier. Il n’y a donc pas “tromperie” stricto sensu. On rejoint l’idée de la “mission” du directeur de la Fed.
Cela nous conduit à préciser encore ce que nous débattions avec un de nos lecteurs le 22 mai 2009, en commentaire du texte sur la “mission”. Cette affaire de conscience (“arrière-conscience”) est importante, parce qu’elle suscite effectivement la bonne foi. (“Bonne foi” ne signifie ni vérité, ni justesse, ni aucune autre valeur objective, elle signifie que celui qui l’éprouve est en accord avec sa conscience, fût-elle exécrable et calamiteuse, ou absolument la conscience d’un malade mental.) Effectivement l’attaque du système et du conformisme suscitant le virtualisme porte sur la psychologie et non sur la conscience et le jugement. Ainsi, ceux qui sont touchés et ont succombé émettent-ils des jugements à partir d’une psychologie faussée, ou déformée, mais le jugement est acceptable en toute bonne foi puisqu’on ignore que la psychologie est faussée. Ainsi croit-on absolument (“bonne foi”) à sa propre vertu, ce qui n’a rien à voir avec l’existence ou pas de cette vertu. Le conformisme et le groupthinking, la puissance des communications, l’unicité presque sacrée de l’idéologie du marché, tout cela écrasant chez les Anglo-Saxons (les américanistes), permet un rassemblement et un alignement collectif des psychologies. L’affaire des “green shoots”, engendrant la croyance à la reprise, fait partie de ces opérations spontanées que crée le système qui fabrique ontologiquement le virtualisme.
Bien entendu, cette situation est pire que toutes celles qui ont existé à cause de la puissance des facteurs constitutifs du virtualisme; elle est pire, par exemple, que le stalinisme, qui ne tenait que par l’hébétude de la pression terroriste et policière, qui est une chose très pressante mais qui ne transforme pas la psychologie d’une façon efficace, – elle rend fou, ce qui est inefficace, ou bien l’on conserve ses convictions, ce qui est évidemment dangereux; elle n’a en aucun cas l’efficacité de notre système qui crée une complicité collective. Notre système est du La Béotie notablement améliorée: c’est la complicité involontaire pour organiser pour tous la servilité psychologique volontaire vis-à-vis d’un système.
L’affaire des “green shoots” n’a rien à voir avec l’économie, en aucune façon, ni métaphorique, ni caricaturale, et tout avec l’enchaînement des psychologie. L’alternative offerte par Boulden est tranchée d’avance… Effectivement, ce système conduit au nihilisme complet, mais au nihilisme optimiste puisque le système est nécessairement, c’est-à-dire mécaniquement optimiste sur son devenir, – ou, comme dit Boulden, nous charrions l’“optimisme sans espoir”. Ce n’est pas illogique et c’est même impératif; l’optimisme est impératif (maintenir le système en marche tel qu’il marche, ce qui est son ambition infinie); l’espoir est immensément dangereux puisqu’il devrait inéluctablement conduire tel ou tel esprit à “espérer” un changement du système, voire l’élimination du système. Aujourd’hui, il va sans dire que le véritable espoir est “objectivement” pessimiste, puisqu’il passe par la nécessité de la destruction du système
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