L’étrange “revenez-y” du vrai-faux BMDE

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1028

Vendredi 9 octobre, le ministre des affaires étrangères Sergeï Lavrov a annoncé que la Russie était peu satisfaite de certaines déclarations et spéculations US à propos du nouveau système (naval) anti-missiles AEGIS qui doit remplacer le BMDE (bases en Tchéquie et en Pologne). Il en parlera, avec une certaine sévérité sans doute, avec Hillary Clinton, qui est aujourd’hui à Moscou, jusqu’à mercredi. Ce qui inquiète particulièrement Lavrov, ce sont des déclarations d’un haut fonctionnaire du Pentagone, Alexander Vershbow, qui annonçait qu’un radar pourrait être installé en Ukraine.

Selon AFP, le 9 octobre 2009: «US publication Defense News reported Thursday that Washington might consider Ukraine as part of its new anti-missile programme and had added the ex-Soviet country “to the list of possible early warning sites.”

»Defense News cited the source of the report as Alexander Vershbow, US assistant secretary of defence for international security affairs. “A statement by Alexander Vershbow was rather unexpected,” Lavrov said when asked to comment. “He is a person who's prone to extravagancies,” Lavrov added, referring to Vershbow, who is also a former US ambassador to Russia.»

L’article de Defense News, du 7 octobre 2009 présente une situation assez confuse, selon que la source soit du département d’Etat ou du Pentagone. Il est question de l’installation de plusieurs radars dans plusieurs pays, y compris en Russie d’ailleurs, et selon un plan d’ailleurs présenté par les Russes eux-mêmes. Bref, on ne sait plus très bien sur quelle voie l’on se trouve: anti-russe ou pro-russe.

Les déclarations qui ont irrité Lavrov sont celles-ci:

«The next day during a breakfast meeting with reporters, Alexander Vershbow, assistant secretary of defense for international security affairs, added Ukraine to the list of possible early warning sites. He said Ukrainian officials “have mentioned” interest in participating.

»In 2007, Russia proposed such a framework, which was rejected by the Bush administration.

»Vershbow added the administration hopes to implement facets of agreements forged “nearly 10 years ago” that have never been implemented, such as a joint threat assessment and a “joint data center.” Moscow initially responded with “euphoria” to the Obama administration's revamped European missile-defense plan, Vershbow said. Since then, he said, Russian officials have realized the new plan will put more missiles and Aegis ships in Russia's neighborhood. “I think that euphoria has faded.”»

@PAYANT Vershbow a été également ambassadeur des USA à l’OTAN et le souvenir qu’il y a laissé n’est pas vraiment celui d’un homme “prompt aux extravagances” comme le définit Lavrov – à moins que son ambassade à Moscou, qui est postérieure à celle de l’OTAN, l’ait conduit à de tels excès. Par ailleurs, ses déclarations rapportées par Defense News sont marquées par des imprécisions, voire des contradictions. De quel accord, passé il y a dix ans et jamais appliqué parle Vershbow? Pourquoi les Russes réagiraient-ils avec une telle vivacité à des dispositions qui, selon les sources US, correspondent à une proposition russe de 2007, et impliquent notamment des stations radar en Russie même, ce qui suppose la pleine coopération de la Russie et sa satisfaction du plan proposé? Pourquoi Vershbow parle-t-il de l’“euphorie” russe à l’annonce de l’abandon du BMDE initial – ce qui est loin d’être évident – qui serait en train de disparaître parce qu’ils (les Russes) réalisent qu’il y aura de nombreux missiles sur leur flanc Sud? C’était l’évidence dès lors qu’on annonçait que le nouveau système US passait à des unités navales type AEGIS, celles-ci existant de toutes les façons, quelles que soient les décisions annoncées. Les Russes auraient-ils mis près d’un mois à réaliser ce que sont les unités AEGIS, qu’ils connaissent bien et depuis longtemps? Cela signifie-t-il qu’ils vont contester les unités navales AEGIS comme devant être considérées comme des éléments d’une composante BMD (Ballistic Missile Defense) qui peuvent être déstabilisantes pour un accord sur la limitation d’un arrangement sur la limitation des armements stratégiques (START-II en négociation, que Obama veut absolument voir aboutir avant la fin de l’année)? Beaucoup de questions…

D’autre part, il ne semble pas que le cas de l’Ukraine ait été mentionné du côté du département d’Etat alors qu’il semble l’être au Pentagone, dont Vershbow occupe le poste d’adjoint au sous-secrétaire pour la politique internationale. On peut alors considérer l’hypothèse d’une poussée de la bureaucratie du Pentagone pour reprendre des “avantages” qu’elle estime unilatéralement abandonnés avec l’abandon du BMDE initial. C’est alors l’interprétation du désordre entre les différents centres de pouvoir de l’administration qu’il faut évoquer. Dans tous les cas, c’est la confusion qui en est l’effet principal, dans une affaire qui constitue pour l’instant le seul acte important de politique extérieure d’Obama, justement dans le sens de la justification du Prix Nobel de la Paix qui, pour l’instant, ne se justifie quasiment par aucun autre acte notable ou décisif. Il sera intéressant de voir ce qu’il sortira des entretiens d’Hillary Clinton à Moscou. Sans doute y aura-t-il une tentative d’apaisement de cette nouvelle tension? Une question de plus. Là-dessus on peut faire l’hypothèse que cette tentative, si elle a lieu, sera probablement à nouveau compromise par le voyage que Joe Biden doit faire en Pologne et en Tchéquie les 20 et 21 octobre pour “rassurer” les alliés qui ont vu le BMDE s’envoler; connaissant Biden comme on le connaît, on aura sans doute droit à l’une ou l’autre déclaration tonitruante qui ne manquera pas d’irriter Moscou. Et ainsi de suite?

Le moins qu’on puisse dire est que cette “nouvelle politique étrangère” d’Obama, célébrée par les Nobel, manque de tranchant et de fermeté. On y retrouve toutes les magouilles bureaucratiques US, le désordre, les manœuvres, et ainsi l’effet positif initial tend-il à se diluer une fois qu’il a été proposé.


Mis en ligne le 12 octobre 2009 à 11H29