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81021 novembre 2009 — Qui ne connaît les deux nouveaux “dirigeants” européens, le Belge Herman Van Rompuy (*) (président, ou, disons “super-président”, au moins par le salaire) et la baronne Ashton (Britannique – Haut Représentant, ou bien dira-t-on Haute Représentante – chargée du “service commun” diplomatique et des affaires extérieures et de sécurité)? Oui, on ne les connaît que trop bien, ces personnalités de compromis, effacées, sans envergue, et encore inconnues. (Connaître bien des personnalités inconnues est un privilège communicationnel de l’Europe.) Leur nomination a soulevé une vague générale de scepticisme et de déception. Notre univers communicationnel attendait quelque chose de plus “saignant”, bien que tout espoir à cet égard ait être promptement dissipé ces dernières semaines.
Parmi de multiples réactions dans ce sens, voyez par exemple The Independent du 21 novembre 2009 ou celui du Guardian, de Ian Traynor, le même 21 novembre 2009 (“l’Europe qui a choisi de devenir une “super-Suisse”). Les Britanniques pro-européens sont en général les plus sévères vis-à-vis de ces choix, sans doute parce qu’ils ont en général affaire à une considérable puissance de l’“eurosepticisme” dans leur pays et qu’il leur faut des munitions pour l’affronter; sans doute aussi parce que, sur ce seul point politique en particulier, ils sont considérablement moins hypocrites et conventionnels que les élites continentales, dont le catéchisme européen est à l’épreuve de toutes les réalités du monde, et continue à être proclamé comme fédéraliste et intégré.
En fonction du fait qu’on nous dit partout qu’il n’y aura plus de traité avant longtemps (Pierre Lellouche, Peter Ludlow), nous pouvons considérer que nous approchons, si nous n’y sommes définitivement, de la “vraie” Europe institutionnelle. Les élargissements à venir (s'il y en a – il ne faut pas désespérer) n’apporteront rien de plus, sinon d'accroître les caractères que nous mentionnons, du désordre et de l’incohésion, antinomiques d’une Europe intégrée. Cette “vraie” Europe fixe pour les temps à venir qu’on peut distinguer l’acte le décès de l’Europe fédéraliste et fixe la chose dans ce qui pourrait être informellement représentée comme une sorte de confédération très peu contraignante pour les Etats dans les domaines de la grande politique (politique étrangère, politique de sécurité). Dans l’immense désordre qui caractérise aujourd’hui les relations internationales, désordre caractérisé paradoxalement par le diktat commun de la paralysie bureaucratique et de l’illusion paralysante de la communication virtualiste, on peut avancer que cette non-Europe fédéraliste est un excellent résultat – ou disons, pour être plus réaliste, le meilleur résultat possible dans les conditions présentes. Regrettons, par compassion, qu’il attriste, voire désespère les “grands Européens” de notre temps.
Le choix de personnalités sans envergure et, surtout, l’organisation qui devrait les accompagner et d’autant plus influencer ces personnalités, favorisent d’une façon irrésistible un schéma de “l’Europe des nations”, où les nations, avec leurs poids respectifs, compteront plus que tout. Dans l’état actuel (l’Europe à 27, disparate, sans aucune unité politique possible), c’est la seule voie raisonnable possible, même si l’on n’est pas intellectuellement favorable à cette orientation.
• Il est manifeste que le couple Merkel-Sarko – bien que certains insistent sur le rôle de Merkel – a fortement pesé pour ces choix des personnalités, qui portent moins sur des questions de personnes (Blair ou pas Blair) que sur la question de leur envergure. Les deux “heureux élus” sont choisis pour leur modestie et seront priés de s’y cantonner. Très vite, les usages montreront cette orientation. Nous pourrions même dire que les usages les ont déjà précédés, depuis la présidence européenne de la France de juillet-décembre 2008. Qu’il l’ait voulu ou non, ou qu’il n’y ait aucunement réfléchi comme d’habitude (la troisième option est notre favorite), Sarkozy a rétabli, ou établi l’“Europe des nations”. Lisbonne ou pas, c’est une affaire qui marche, y compris en laissant toute leur liberté, y compris extérieure, aux nations. On en a encore un tout récent exemple avec Sarko et Lula préparant une initiative commune pour la conférence de Copenhague sur la crise climatique. Que l’on sache, le Brésil n’a rien à voir avec l’Europe.
• Cette orientation se retrouvera dans des domaines importants (la politique étrangère mais aussi la défense et les autres grands domaines internationaux), notamment avec l’aide et la pression des Britanniques, dont nous parlons beaucoup en ce sens. Cette orientation comble les vœux secrets de la France, malgré les gesticulations des Français. Dans toute cette affaire européenne, la direction française joue à front renversé sans le savoir, ou bien, dit plus crûment, se montre sans plus s’en aviser bien plus hypocrites que les Britanniques eux-mêmes, champion de la chose. Derrière le chœur parisien d’une Europe intégrée et fédéraliste, la tendance naturelle de la France est, dramatiquement et conformément à la dimension tragique de l’époque, exactement contraire. (Comme toujours apparaît le hiatus entre les élites françaises et la France avec ses tendances naturelles.) Tout doit être fait pour rétablir autant que faire se peut les nations dans leurs prérogatives, car seules les nations peuvent tenter d’avoir un certain poids dans les relations internationales. (Notre notion sur “la vertu ultime de la nation”.) Le raisonnement est juste par défaut : les institutions ont déjà amplement prouvé leur paralysie bureaucratique et leur impuissance dans le piège communicationnel de la place prise par le “moralisme” bienpensant dans la politique. Les Britanniques œuvrent dans ce sens de la prérogative des nations depuis toujours, et particulièrement à l’avantage non dit ni réalisé de la France depuis 2005 (référendum de mai 2005) et l’échec populaire de l’Europe intégrée.
• Nous sommes toujours surpris par ces commentaires qui envisagent l’Europe selon une entité envisageant de figurer dans des relations internationales normales – qui aura le leadership, comment conduire telle ou telle relation avec tel ou tel dans les dix ans à venir, comment préparer le prochain quart de siècle, etc. – alors que nous sommes tous soumis à une terrifiante épée de Damoclès dont la manifestation doit se mesurer dans le très court terme si pas dans l’immédiat, et demande une infinie souplesse d’adaptation que l’Europe ne peut avoir. Toutes les considérations qu’on peut faire sont d’une futilité extrême si elles ne sont soumises à une variable absolument fondamentale: les événements eschatologiques qui nous pressent, c’est-à-dire la structure crisique qui caractérise notre vie internationale et peut à tout moment déclencher une nouvelle explosion de crise systémique. (Nouvelle crise financière, effondrement économique, crise de l’une ou l’autre matière première, crise afghane se développant en une crise majeure à l’intérieur du système occidentaliste, etc.) Cette variable colossale est aujourd’hui le fait majeur, omniprésent, écrasant de la vie internationale, et si nous la qualifions d’“eschatologique” c’est simplement parce qu’elle est en-dehors de nos capacités de prévision et de contrôle, qu’elle nous échappe absolument – définition temporelle de l’eschatologie. Dans ce cas qui est la chose principale à prendre en compte, l’organisation où les nations ont une autonomie acceptable et la souplesse à mesure, comme dans la combinaison européenne qui s’établit, est la meilleure solution, ou disons la moins mauvaise. Ce n’est d’ailleurs pas une autre raison qui a déterminé le tournant de la présidence française avec l’affirmation de “l’Europe des nations”, ce qui réduit le rôle décisif de Sarko, en 2008, à la prise en compte de cette réalité. Par contre, ce fut une chance décisive, une coïncidence presque miraculeuse, que la France ait assuré la présidence dans cette période de crise systémique majeure, puisqu’avec son poids et sa tradition automatiquement interprétée et conduite dans ce sens, elle a pu assurer et verrouiller dans la période le précédent de ce rôle central des nations dans le schéma européen. L’expérience a montré la coopération des grandes nations européennes dans de telles circonstances, qui sont les seules circonstances à prendre en compte aujourd’hui d’une façon sérieuse. (Nous disons coopération et non entente intégrée. Nous avons la fâcheuse habitude de confondre les deux. La coopération est un principe de réalisme politique et il est bon qu’il soit ainsi appliquée, montrant la bonne marche d’une “Europe des nations”, avec le choix laissé aux uns et aux autres de marquer leurs différences puis, éventuellement, d’évoluer selon les circonstances, avec dans le meilleur des cas la coopération, avec dans tous les cas la coordination assurée. L’entente intégrée est une hypothèse utopique correspondant au diktat de l’intégration, qui mène souvent à la contrainte lorsqu’elle est appliquée, avec toutes les frustrations qui vont avec; elle serait la marque mortelle d’une Europe intégrée parce qu’elle conduirait, par les résistances cachées et inévitables produites par ces contraintes, au désordre de la paralysie. La coopération permet des politiques éventuellement coordonnées ou communes, l’entente intégrée est une contrainte souvent insupportable.) Il serait bon d’observer aujourd’hui où mène le modèle fédéral intégré dans des temps de crise, qui fut notre “modèle” vénéré et sacré, avec le fonctionnement du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique, oscillant entre paralysie et impuissance.
• En fonction du lourd passé européen et des tromperies diverses (référendum kidnappé, traité de Lisbonne, etc.), cette Europe-là, présentée hier avec ses nouveaux “leaders” (!), est la moins mauvaise des choses dans le pire des mondes. On fait avec ce qu’on a, et ceux qui font sont à mesure de ces piètres conditions.
(*) Euh... Petit rajout quelques heures plus tard, après l'audition de quelques journaux parlés et télévisés en France, apocalyptiques à ce sujet... Il nous semble, d'après nos oreilles imprudentes qui s'aventurent parfois dans notre pays d'adoption que le nom du nouveau Président d'Europe pourrait se dire, en français quoiqu'en pure phonétique: Vanne Rome-peuille. Essayez, vous verrez, les Belges comprendront de qui vous parlez.
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