L'Europe et son avenir incertain

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Dans l’emportement tragique de l’automne 2008 apparaissent d’ores et déjà des spéculations pour le début de l’année 2009, dans la perspective d’une crise qui commence à entrer dans le domaine périlleux pour la stabilité politique de l’“économie réelle”. William Pfaff met en évidence, dans un article daté du 16 octobre, le changement considérable effectué entre l’été et cet automne, du point de vue de la perception du leadership occidental.

Pfaff rappelle l’inexistence US durant la crise géorgienne, puis ce même effacement face à la crise financière, avec cette image dérisoire d’un Bush faisant sa déclaration quotidienne comme le “coucou” d’une horloge, sans que personne ne lui prête attention… «Treasury Secretary Henry Paulson, recently of Goldman Sachs, appeared to have been placed in charge of the U.S. government. […] Congressional insurrection stopped that. […] The Federal Reserve Chairman seemed out of the loop. President Bush (I believe it was Gail Collins of the New York Times who said this first) popped out of the White House once a day, as from a cuckoo-clock, to make an announcement no one paid attention to.»

Le résultat, observe Pfaff, est que l’Europe décida de se passer du leadership US. La chose fut prestement expédiée. «In these circumstances, some Europeans seem to have decided that the postwar era of American leadership is over. British Prime Minister Gordon Brown temporarily nationalized British banks, took control of them, fired some of their executives, and refinanced them. Nicolas Sarkozy immediately invited Brown (not a member of the Eurogroup), Angela Merkel, and the other European chiefs who are Eurogroup members, to Paris to agree to more or less the same policy, thus creating the framework for a (hitherto unthinkable) European economic government.»

Mais les choses vont vite. Cette nouvelle situation est elle-même mise en question par les perspectives d’incertitude dues au fonctionnement normal des institutions, d’ailleurs tant en Europe qu’aux USA. (Il s’agit d’une nouvelle présidence UE et de l’élection présidentielle US.)

«The factor of uncertainty in Europe is that in January the Czech Republic takes over the EU presidency, and the Czech president and prime minister dislike the European Union.

»Some have suggested that the EU somehow contrive to keep Sarkozy on, with him and Merkel in charge. Perhaps the Irish could be persuaded to take back their veto of a European constitution so that a permanent president could be elected before January. But that is unlikely. At least a year of leaderless Euro-American drift seems ahead.»

La spéculation centrale est de savoir si les événements, et notamment le développement de la crise économique, permettront une telle perspective. Cette interrogation vaut essentiellement pour l’Europe, où vont se poser conjointement et d’une manière antagoniste les questions de la continuité du pouvoir et de la forme de l’organisation du pouvoir. Il est vrai que la présidence de l’UE a acquis une grande importance durant la crise; il est vrai qu’elle risque de se trouver devant une crise d’autorité et de représentativité à partir du 1er janvier 2009. Les deux faits ont une cause unique: l’importance de la présidence UE existe aujourd’hui parce que cette présidence est assurée par une des grandes nations fondatrices, avec un président qui joue sans restriction sur cette position; les difficultés possibles de la présidence de l’UE à partir du 1er janvier 2009 viendront de ce que la succession se fera dans les pires conditions de contraste possibles, passant à un petit pays (la Tchéquie), nouvellement membre de l’UE, avec un Premier ministre peu connu et de convictions très “eurosceptique” (et son président à mesure), avec une politique nationale largement discréditée par une orientation pro-américaniste bien connue.

La prévision qui est d’ores et déjà faite de cette circonstance très difficile tend à rajouter une perspective supplémentaire de crise avant même que la chose soit réalisée. La probabilité est très grande de voir mise en lumière d’une façon explosive la faiblesse dramatique des conceptions et des mécanismes européens et leur absence complète de légitimité. Si la crise générale (financière et économique) se poursuit et s’aggrave, des circonstances explosives peuvent rapidement apparaître à nouveau. Les grands pays européens n’accepteraient pas une direction réduite, soit en capacités, soit en conceptions ou les deux à la fois. L’urgence est là, avec des dirigeants (Sarkozy, Brown, Merkel) qui ont appris cet automne que l’urgence requiert impérativement des réactions et des décisions très rapides. Dans certaines circonstances, des hypothèses d’insurrection par rapport aux normes institutionnelles de fonctionnement de l’Europe ne peuvent être écartées, notamment les grands pays européens décidant d’agir ensemble, hors des canaux de la présidence de l’UE, si cette présidence ne pouvait ou ne voulait pas réagir comme ces pays le veulent. Le schéma qui apparaîtrait constituerait nécessairement une rupture des normes institutionnelles. Après un automne où l’on voit combien l’“Europe des nations” tient un rôle essentiel sinon exclusif aux dépens d’une l’Europe institutionnelle inexistante, on pourrait voir une situation où une insurrection des nations contre l’Europe institutionnelle achèverait de fixer le sort de l’Europe telle qu’elle est actuellement constituée.


Mis en ligne le 20 octobre 2008 à 06H12