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14321er mars 2011 — Commençons d’abord ce récit par un contre pied, puisqu’il s’agit de citer une éblouissante analyse d’un “Européen”, – Britannique, certes, conservateur original, mais en l’occurrence plus européen qu’une brochette de commissaires européens, de Président français (Sarko et ses clones), de ministres en exercice pour se faire pardonner leurs vacances et d’intellectuels Rive Gauche en poste de vigilance contre le racisme et la terreur. Ce Britannique est David Oborne, qui œuvre notamment au Daily Telegraph et signe une chronique intitulée «How will America handle the fall of its Middle East empire?», ce 24 février 2011. Appréciez la forme de la question : il n’est pas question de savoir “si” et “quand”, mais “comment” (“How”). Cela signifie que la Chute est en cours.
Oborne commence par nous rafraîchir la mémoire sur le phénomène des “chutes d’Empires”. Quand elle commence, la chose va vite. L’“Empire US” n’échappe pas à la règle, depuis qu’il a reçu deux énormes coups de boutoir, – la chute du système financier, le 15 septembre 2008, et l’“enchaînement crisique” commencé en décembre 2010 en Tunisie. En effet, cet événement extraordinaire, cette “chaîne crisique”, signale également, selon Oborne, et fort justement à notre sens, selon une analyse qui ne craint pas d’aller à l’essentiel, l’effondrement de la poutre centrale de l’“empire” américaniste.
«…America’s global interests are under threat on a scale never before seen. Since 1956, when Secretary of State John Foster Dulles pulled the plug on Britain and France over Suez, the Arab world has been a US domain. At first, there were promises that it would tolerate independence and self-determination. But this did not last long; America chose to govern through brutal and corrupt dictators, supplied with arms, military training and advice from Washington.
»The momentous importance of the last few weeks is that this profitable, though morally bankrupt, arrangement appears to be coming to an end. One of the choicest ironies of the bloody and macabre death throes of the regime in Libya is that Colonel Gaddafi would have been wiser to have stayed out of the US sphere of influence. When he joined forces with George Bush and Tony Blair five years ago, the ageing dictator was leaping on to a bandwagon that was about to grind to a halt.»
La réaction américaniste a été pathétique, ou, plus simplement, à mesure des moyens et capacités du monstre. La cause en est que les USA sont enfermés, entre autres travers et faiblesses conjoncturels, dans les contradictions de leur psychologie rigide et autodestructrice (le côté négatif de leur psychologie de l’inculpabilité) et qu’en temps de crise cet enfermement accélère le processus et conduit à une situation dramatique d’affaiblissement ; leur réactions dans cette sorte de situation (la chaîne crisique depuis décembre 2010) ne peut qu’être pathétiques, en conformation logique avec leurs réactions effectivement “à mesure de [leurs] moyens et capacités”. Ils ont enfourché l’argument éculé de la “démocratisation” qui ne suscite plus que des haussements d’épaule. Le résultat est écrit d’avance, qui est celui de l’accélération du mouvement, et qui prolonge alors la question de la réaction des USA jusque dans des perspectives de paroxysme de leur crise.
«The great question is whether America will take its diminished status gracefully, or whether it will lash out, as empires in trouble are historically prone to do. Here the White House response gives cause for concern. American insensitivity is well demonstrated in the case of Raymond Davis, the CIA man who shot dead two Pakistanis in Lahore. Hillary Clinton is trying to bully Pakistan into awarding Davis diplomatic immunity. This is incredible behaviour, which shows that the US continues to regard itself as above the law. Were President Zardari, already seen by his fellow countrymen as a pro-American stooge, to comply, his government would almost certainly fall.
»Or take President Obama’s decision last week to veto the UN Security Council resolution condemning Israeli settlements. Even America itself accepts that these settlements are illegal. At a time when the Middle East is already mutinous, this course of action looks mad.
»The biggest problem is that America wants democracy, but only on its own terms…»
Oborne termine en soulevant une question fort intéressante. Il rappelle qu’avant l’“empire” souterrain par la corruption et l’influence des USA sur la région du Moyen-Orient, il y eut l’empire “à ciel ouvert” des puissances européennes, France et Royaume-Uni. Cette question devient alors, à partir du constat que ces nations européennes sont naturellement désignées pour tenter de réparer les dégâts, notamment en tentant d’établir des liens nouveaux et fructueux avec ces pays arabes changés, de savoir si elles pourraient effectivement jouer ce rôle. Oborne répond naturellement pour le Royaume-Uni : l’essentiel pour lui, pour espérer quelque efficacité dans cette tâche essentielle, c’est d’abord de rompre les liens de sujétion et de proximité avec les USA. C'est dire que sa réponse est décourageante.
«This is where the British, who have deep historical connections with the region, and whose own loss of empire is still within living memory, ought to be able to offer wise and practical advice. So far the Prime Minister, a neophyte in foreign affairs, has not done so. His regional tour of Middle Eastern capitals with a caravan of arms dealers made sense only in terms of the broken settlement of the last 50 years. His speeches might have been scripted by Tony Blair a decade ago, with the identical evasions and hypocrisies. There was no acknowledgment of the great paradigm shift in global politics.
«The links between the US and British defence, security and foreign policy establishments are so close that perhaps it is no longer possible for any British government to act independently. When challenged, our ministers always say that we use our influence “behind the scenes” with American allies, rather than challenge them in the open. But this, too, is a failed tactic. I am told, for example, that William Hague tried hard to persuade Hillary Clinton not to veto last week’s Security Council resolution, but was ignored. It is time we became a much more candid friend, because the world is changing faster than we know.»
On observera qu’en même temps qu’Oborne publiait son article, un incident, signalé par Haaretz et répercuté par le Guardian (le 25 février 2011), montrait toutes les ambiguïtés et contradictions de la position européenne : à la fois ses intérêts dans la région, sa frustration vis-à-vis d’une situation où elle n’agit pas et n’a guère d’influence, sa tendance naturelle à tout de même avoir une position de puissance par rapport aux pays de la région, – notamment, et exceptionnellement, Israël dans ce cas. Il ne s’agit pas de l’Europe, “face à” Israël, mais d’Angela Merkel, la chancelière allemande, répondant à un appel du Premier ministre israélien Netanyahou. On peut tout de même interpréter qu’en cette matière, la dirigeante allemande exprime effectivement une position ressentie par nombre de dirigeants européens. Il s’agit donc d’un très vif accrochage, Merkel répondant sèchement, sinon avec colère, aux reproches de Netanyahou faits à l’Allemagne parce que ce pays a voté contre Israël et pour une résolution condamnant la politique inique d’Israël dans la question des implantations. Sans doute Netanyahou a-t-il évoqué la grande ombre de l’Holocauste, puisqu’il semble qu’il s’agisse là du principal argument d’Israël pour sa politique en 2011, argument d’ailleurs unanimement applaudi comme singulièrement pertinent.
«The Israeli prime minister telephoned Merkel on Monday to say he was disappointed that Germany had voted for a UN security council resolution condemning settlements that was vetoed by the US. According to a German official quoted by Haaretz, Merkel was furious. “How dare you?” she said. “You are the one who has disappointed us. You haven't made a single step to advance peace.”
»A spokesman for the Israeli prime minister said he could not confirm the report.
»The quoted comments reflect growing impatience in Europe with the impasse in the Israeli-Palestinian talks and a belief that Israel is stalling or impeding progress. With the exception of the US last Friday's resolution was backed by all the security council members including Britain, Germany and France…»
Les deux textes, bien que l’un soit une analyse et l’autre une anecdote, nous disent la même chose. L’Europe, que ce soit au travers de ses composants ou par elle-même, si “elle-même” a un sens avec l’UE et cet immense chaos qu’est sa nouvelle organisation diplomatique, est à la fois dans une situation où il est évident qu’elle devrait agir et où il est évident qu’elle ne peut agir. La colère de Merkel est faite toute de rancœur et de frustration de ne pouvoir avoir plus d’influence sur un Netanyahou, et l’analyse d’Oborne nous dit que l’Europe devrait avoir une “politique arabe” mais qu’elle n’en a pas, qu’elle est trop paralysée pour espérer en avoir une, qu’elle n’a guère les moyens d’en avoir une...
(On observera que l’expression “politique arabe” fait partie du bagage gaulliste de la politique extérieure mise en œuvre par la France dans les années 1960. La chose n’est plus qu’un vieux souvenir, ayant succombé sous les diverses politiques des présidents qui suivirent, sous les sarcasmes des salons parisiens et éclairés, sous l’assurance que l’existence de l’Europe, avec sa prochaine “grande politique”, dispensait les Etats de poursuivre de si dispendieuses et irréalistes gageures. On mesure le chemin parcouru…)
Le texte d’Oborne est, en substance, impitoyable dans sa dénonciation de la politique d’alignement du Royaume-Uni sur les USA. Chaque jour qui passe, chaque crise qui éclate, éclaire, derrière les discours pompeux, la vanité de cette étrange “fausse bonne idée” stratégique née essentiellement de l’esprit aveuglé par la passion d’un homme, de Winston Churchill en l’occurrence. (Lequel trouva quelques laquais dans l’âme, pour, à partir de 1956, parfaire l’emprisonnement britannique dans l’illusion de la puissance par asservissement de soi-même, et par procuration espérée comme une habileté dissimulée.) Au reste, cette étrange politique a complètement favorisé le New Labour, par ailleurs pénétré jusqu’à l’os par la CIA (voyez ce texte du 21 janvier 2011). Elle a permis le développement de la tendance “libérale-interventionniste” passionnément promue par Tony Blair et qui s’est révélée absolument catastrophique, en accentuant la sujétion britannique aux USA dans les pires conditions d’une politique inique ; elle a permis en même temps une utilisation intense des techniques de la communication, jusqu’au virtualisme, pour tenter un temps de dissimuler cette catastrophe. (Oborne est un spécialiste de cette dernière question et il a documenté et furieusement dénoncé les techniques et les manipulations du New Labour.) Oborne ne peut que constater la triste réalité “‘opérationnelle” et psychologique : le Royaume-Uni est enchaîné aux USA et, à moins d’une rupture majeure, ne peut que mesurer avec nostalgie, pour les plus lucides, son impuissance et sa décadence.
La France, elle, n’est enchaînée à personne, c’est bien connu. Depuis de Gaulle (et même avant, par des moyens indirects), la France dispose d’une solide souveraineté sur ses moyens et sur ses actes. Ces réalités subsistent aujourd’hui mais elles ne sont plus d’aucune aide, ni même d’utilité. Pour illustrer ce diagnostic, nous disons, nous, que c’est une ironie supplémentaire, une super-“choicest irony” que cette remarque de Oborne, qui la qualifie de «[o]ne of the choicest ironies» et qu’il applique à Kadhafi, aille finalement mieux encore à Sarkozy et à la France de Sarkozy qui se sont précipités dans les bras américanistes au moment où l’Amérique ne valait plus rien, – tribut d’une fascination exercée par l’artefact le plus complètement perverti par la matière sur l’intelligence réputée la plus subtile (la française) du monde américaniste-occidentaliste… «One of the choicest ironies of the bloody and macabre death throes of the regime in Libya is that Colonel Gaddafi would have been wiser to have stayed out of the US sphere of influence. When he joined forces with George Bush and Tony Blair five years ago, the ageing dictator was leaping on to a bandwagon that was about to grind to a halt.»
La France connaît une crise morale et une crise psychologique dont il y a peu de précédent dans son histoire pourtant chargée à cet égard. En intensité de la démission de son esprit, en proclamation de sa perversion, essentiellement dans le chef de sa direction politique et de ses élites, la France de 2011 ressemble, par l’état de cet esprit, à la France vaincue de 1871 ou de 1940 pour les cas les plus récents, – avec en moins l’explication et la cause évidentes de la défaite militaire catastrophique, de l’invasion et de la soumission forcée par les armes, – et l’on ne voit guère que puisse venir un Renan ou un de Gaulle... Cette démission et cette perversion des élites françaises répondent à une soumission capitale, sinon exclusive et dans tous les cas volontaire, aux tendances les plus déstructurantes que colporte l’américanisme en tant que représentation de l’“idéal de puissance” et du Système, c’est-à-dire au bout du compte la soumission au “déchaînement de la matière”. Il existe aujourd’hui à Paris un “parti de l’étranger” plus fort que jamais, mais moins soumis à une influence étrangère (dito, les USA) qu’à la perversion et à la déstructuration totales du monde que sont l’“idéal de puissance” et le Système né du “déchaînement de la matière” ; ce “parti de l’étranger” papote hystériquement à propos d’explications de la crise du monde en s’ébrouant dans l’anecdote, la sensiblerie et les mondanités polémiques, assimilant la problématique de la chaîne crisique actuelle à des débats hautement moraux sur les déplacements vacanciers de tel ou tel(le) ministre. (Combien de commentateurs parisiens sont aujourd’hui capables d’oser faire une analyse comme celle que fait Oborne ?) Dans ce paysage, Sarko n’est qu’un acolyte, un stéréotype des temps courants et le porte-drapeau d’un étendard tristement en berne. Il résulte de cette situation que les moyens et l’influence naturelle de la France en tant qu’entité souveraine et historiquement inspiratrice sont paralysés par cette crise morale et cette paralysie complète de la psychologie. (Cela est un constat de circonstance et, selon les circonstances justement, l’essence naturelle de la France comme “entité souveraine et historiquement inspiratrice”, qui représente la pérennité de la chose, pourrait à nouveau se manifester et se manifestera sans aucun doute.)
…Passons rapidement sur l’Allemagne, dont la chancelière est l’héroïne de l’anecdote démonstratrice de son impuissance, rapportée ci-dessus. L’Allemagne, vaste corps sans souveraineté, sans légitimité nationale depuis sa défaite de 1945 qui confirma le transfert de l’“idéal de puissance” effectué d’elle-même vers les USA en 1918, ne peut avoir de politique extérieure ; elle n’en a pas comme le démontre la frustration d’Angela Merkel face au maître-chanteur et gangster-Netanyahou. De ce point de vue, qui fait l’essentiel des choses, l’Allemagne est le reflet le plus juste et le plus acceptable de l’Europe elle-même. En effet, cette chute des nations, – les trois plus grandes nations européennes, – dans la paralysie, l’impotence et l’impuissance de leurs politiques extérieures n’est pas une disparition de l’Etat-nation au profit d’une UE supranationale. C’est plutôt le contraire : on dirait que la paralysie, l’impotence et l’impuissance ont envahi toutes les autorités, de la nation à l’hypothèse de la supranationalité, qui auraient pu prétendre à une affirmation quelconque de politique extérieure.
Etrange supranationalité dans ce jeu de “lose-lose”… La dérive supranationale qui n’ose dire son nom, bien entendu, comme si elle avait honte de sa médiocrité dont elle perçoit vaguement le poids, qui est un enfant bâtard de la globalisation dans laquelle toutes ces autorités et directions politiques se sont précipitées, – la dérive supranationale, donc, débouche elle-même sur notre trio de vertus postmodernistes : paralysie, impotence, impuissance. Nous avons donc le verdict de cette tentative : la supranationalité, qui est la suppression des identités existantes (nationales dans ce cas, comme elles pourraient être autres), ne conduit nullement par sa prépondérance à l’affirmation d’une nouvelle identité mais à la suppression du concept fondamental de l’identité. Aujourd’hui, la politique extérieure de l’UE (Lady Ashton) vis-à-vis du formidable phénomène de la chaine crisique du Maghreb au Moyen-Orient consiste en un exercice de comptabilité : comment répartir l’aide financière à ces pays dont on clame qu’ils se démocratisent ? La politique extérieure de l’UE consiste donc, pour l’instant, à une enquête pour trouver des récipiendaires “démocratiques” de cette aide, notamment des partis “démocratiques” en formation ou sortant des contraintes dictatoriales, pour que tous nos sous n’aillent pas aux seules directions politiques nationales, encore bien incertaines, sorties de ces “révolutions”. Politique de comptable qui croit à la vertu des chiffres, d’épicier prétendant à la vertu du politique…
Quel bilan catastrophique, observera-t-on, quel jugement pessimiste, quel manque d’aménité pour le grand projet européen… Mais non, rien de pareil ne se trouve dans notre jugement, dont on sait bien qu’il ne fait que restituer une réalité écrasante, pour rendre compte de la vérité de la situation. Il faut placer cette vérité dans son contexte, qui est celui d’un considérable bouleversement, – bouleversement absolument sans précédent, au point qu’il doit être qualifié de métahistorique encore plus que d’historique.
Aujourd’hui, et cela approximativement depuis le courant de l’année 2010, tous les jugements des situations politiques doivent être faits en fonction du phénomène d’“eschatologisation” des activités humaines, notamment des crises touchant ces activités humaines. La situation européenne est, politiquement, stratégiquement et diplomatiquement, dramatique dans sa bassesse et son désordre. Pour autant, cela ne signifie pas la condamnation de la seule Europe et seulement d’elle, ou sa relégation parmi les acteurs sans importance par rapport aux autres qui resteraient très influents, une perte décisive de poids politique et autre, un recul terrible dans les affaires internationales par rapport aux autres, etc. ; plus précisément, ces fonctions et ces positions relatives n’ont plus ni l’importance ni la forme qu’on leur connaissait, et elles n’expriment plus les situations réelles ni la vérité des situations…
L’Europe n’est pas une exception catastrophique sortie d’un concert globalisé qui interprèterait à l’unisson une œuvre harmonieuse mais une puissance perdue comme les autres dans une cacophonie effectivement globalisée, emportée par une situation eschatologique où elle ne peut avoir aucune maîtrise, où aucune puissance ne peut prétendre avoir la moindre maîtrise puisque ce flux dépend de forces qui sont supérieures aux affaires humaines courantes. L’absence confondante de l’Europe au Moyen-Orient n’est pas vraiment plus dramatique que l’impuissance également confondante des USA alors que c’est l’empire des USA qui se défait, comme le note Oborne ; et, d’une certaine façon, elle n’est pas plus dramatique que l’indifférence préoccupée des Russes et l’éloignement inquiet des Chinois. Quant aux conséquences à craindre, qui, selon certains jugements, impliqueraient plus l’Europe que les autres (notamment, pour les questions d’immigration et autres) et lui feraient obligation de réagir, là aussi une mise en perspective dans la vérité des conditions métahistoriques que nous connaissons conduit à tempérer, voire à rejeter ce jugement. Les USA risquent dans cette affaire leur contrôle du cœur pétrolier du monde et rien moins que leur “empire” (voir Oborne), tandis que “le modèle égyptien” vient jusqu’au cœur du pays, à Madison, dans le Wisconsin, inspirer un vent de fronde. Les Russes et les Chinois, eux, craignent des répercussions sur leurs situations intérieures, sur leurs stabilités fondamentales. Aucune de ces puissances n’a rien à envier aux autres, et chacune doit affronter les conséquences du “tout métahistorique” qui balaie le monde.
Cela n’est certainement pas observé pour pouvoir tisser, in extremis et a contrario, quelque couronne à l’Europe en reconnaissant que son infortune ne lui est pas propre et que sa responsabilité en est atténuée. Il nous semble que les jugements fondamentaux ne concernent plus, aujourd’hui, les différents acteurs (les puissances) de ce qui fut in illo tempore le jeu géopolitique, voir le Grand Jeu géopolitique. De plus en plus, à mesure que la Grande Crise terminale enfle et exhale sa fureur, le jugement se détache de ces “acteurs” parce qu’ils le sont de moins en moins, acteurs ; spectateurs intéressés mais sans disposition à la lucidité, spectateurs contraints sans aucun doute et accablés du plus grand désarroi, d’une évolution bouleversante qui s’exprime en termes de systèmes et de fondements métahistoriques, à laquelle ils ne peuvent prendre part qu’en y cédant de toutes les façons possibles. Ainsi la responsabilité européenne a glissé peu à peu, – en fait, en nombre d’années, très rapidement, – de l’incapacité et de l’impuissance spécifiques à la marginalisation et à l'exclusion des grandes affaires du monde, position générale imposée à toutes les entités humaines organisées et comptables du Système, et compromises avec lui. La seule participation humaine aux événements en cours qui puisse être notée et notable se déroule au niveau des psychologies qui ne sont pas comptables des autorités politiques discréditées, répercutant les grands courants événementiels et les “interprétant” dans le sens de la déstructuration du système, – comme c’est le cas, bien sûr, dans l’enchaînement crisique déclenché en décembre 2010 ; dans ce cas, ce sont les peuples qui tiennent un rôle et nullement les directions politiques qui ne semblent plus exister que pour être renversées. Chris Hedges, Prix Pulitzer et ancien du New York Times, contributeur de Truthdig.org, restitue bien (le 28 février 2011) les termes de la nouvelle situation en termes d’action politique, en écrivant ceci, – où l’on voit qu’il n’y a plus de rôle que pour les sapiens des initiatives populaires contre “la machine” (le Système, certes), et plus rien pour les directions politiques et leurs élites :
«We will not stop the war in Afghanistan and Iraq, we will not end this slaughter of innocents, unless we are willing to rise up as have state workers in Wisconsin and citizens on the streets of Arab capitals. Repeated and sustained acts of civil disobedience are the only weapons that remain to us. Our political system is as broken and dysfunctional as that once presided over in Egypt by Hosni Mubarak. We must be willing to accept personal discomfort, to put our bodies in the way of the machine, if we hope to expose the lies of war and blunt the abuse by corporate profiteers…»
Le spectacle épouvantable de ces puissances européennes sans capacité d’action, ni même de réaction, est désormais un spectacle répandu, qui se retrouve un peu partout, avec des variantes différentes. La critique qu’on est amené à en faire, et que nous faisons naturellement, ne peut plus servir pour aujourd’hui où tout espoir de redressement est infondé et, surtout, complètement inopportun. Il faut laisser faire (d’ailleurs, guère de choix à ce propos) le processus dominant qui est celui de la Chute, car la Chute est, pour ces pays, pour notre civilisation, une nécessité thérapeutique aussi bien que métaphysique, une façon absolument nécessaire et inéluctable de se débarrasser du Système. Il n’importe de savoir pourquoi et dans quelles conditions se fait cette Chute que pour conserver pour plus tard quelques enseignements qui relèvent plus des enseignements d’une Tradition qui serait retrouvée que des circonstances politiques et politiciennes d’un temps qui ne peut être que bas puisqu’il est justement celui de la Chute.
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