Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
945Sans aucun doute, les Russes montrent une habileté consommée dans la partie qui se joue autour du traité START-II. On le voit avec ces déclarations du chef du comité de la Douma pour les relations internationales, Konstantin Kossatchev, en voyage d’information et d’influence à Washington avec une délégation. (Les députés russes doivent rencontrer leurs collègues du Congrès, puis visiter le département d’Etat et le Pentagone pour parler de START-II.)
Sans surprise, Kossatchev indique que le “lien” entre les anti-missiles (ABM) et les missiles stratégiques offensifs doit être inscrit dans le traité et constitue désormais le dernier obstacle, – mais obstacle essentiel pour les Russes, – pour la bonne réalisation du traité START-II. (Ce n'est qu'une confirmation de la position très dure des Russes suite aux vaticinations des anti-missiles US en Europe depuis près de dix ans.)
Kossatchev a fait des déclarations par téléphone à Novosti, le 24 février 2010.
«L'interdépendance de la défense antimissile (ABM) et des armements offensifs stratégiques est la question clé de la mise au point du nouveau traité sur la réduction de ces derniers (START), a estimé mercredi à RIA Novosti le chef du comité de la Douma pour les relations internationales, Konstantin Kossatchev. 3Le lien entre le (futur) traité START et la défense antimissile a toujours été la question clé dans les accords russo-américains en matière de contrôle des armements”, a souligné par téléphone le parlementaire russe en visite à Washington au sein d'une délégation représentative de la Douma. […]
»Selon le parlementaire, “si le lien entre START et ABM n'est pas entériné de façon exhaustive dans le traité, en voie de préparation, sur la réduction des armements stratégiques, cela créera automatiquement des obstacles à sa future ratification par la Douma”.»
PAYANT On se rappelle l’exigence mise sur la table par Medvedev pour START-II (voir notre Bloc-Notes du 18 janvier 2010. Il s’agissait de garantir la ratification simultanée du traité par la Douma et le Congrès, manœuvre russe pour ne pas se retrouver dans le cas de SALT-II, d’un traité paraphé par les deux président US et secrétaire général du PC de l'URSS de l’époque (Carter et Brejnev), promptement “ratifié” par les instances démocratiques bien connues de l’URSS et jamais ratifié par le Congrès. L’exigence mettait Obama dans l’obligation de “vendre” son traité au Congrès presto subito et garantissait la Russie de ne pas se retrouver dans une situation où elle aurait appliqué le traité, et les USA pas. (En même temps, l’initiative mettait en évidence la piètre opinion que les Russes commençaient à avoir d’Obama et de son autorité, – mais ce n’est pas ici le propos.)
Mais voici que les Russes retournent la situation et font d’une même situation transposée en Russie un avantage pour eux-mêmes. Le député Kossatchev annonce, le plus démocratiquement du monde, disons comme un membre éminent du Sénat des Etats-Unis, que même si Medvedev-Poutine acceptent un traité START-II où ne figurerait pas le “lien” entre les armes offensives stratégiques et les ABM, il n’est nullement assuré, non, il n’est plus du tout assuré que la Douma le ratifiera. C’est retourner contre les USA une arme dont les USA se servirent longtemps auprès de l’URSS comme auprès de leurs alliés: dans des négociations d’exécutif à exécutif sur des documents soumis à ratification ou au contrôle du Congrès, arguer des pressions et des réticences du Congrès pour obtenir de leurs partenaires en négociation des concessions supplémentaires.
…En effet, il est difficile de penser que, dans un Etat aussi centralisé que la Russie, avec une forte conscience de ses intérêts de sécurité nationale, il n’y ait pas eu consultation et concertation tactique entre la direction politique et la Douma. Les deux parties jouent donc la complicité constructive, comme firent les USA pendant des décennies. Medvedev-Poutine vont pouvoir dire à Obama: “faites des concessions sur le ‘lien’ armes offensives-ABM pour satisfaire notre Douma, sans quoi la ratification n’aura pas lieu”. Et si l’exécutif Medvedev-Poutine juge intéressant, pour des raisons politiques, de parapher un traité START-II même si elle n’a pas toute satisfaction sur le “lien”, la Douma peut toujours intervenir réellement et faire durer la ratification jusqu’à l’indéfini des temps.
La question est de savoir qui a le plus besoin de START-II. Pour l’instant et jusqu’à nouvel ordre, notamment pour une question de prestige et d’autorité d’une présidence en train de couler corps et bien, c’est manifestement Obama qui est le plus intéressé. Du coup, la manœuvre russe a tout son sens, et elle pourrait bien effectivement conduire à une concession US sur le “lien”, alors que la question fait l’objet d’un débat féroce à Washington, jusqu’à des démentis d’un jour à l’autre dans la même maison.
Les Russes sont en voie de devenir les meilleurs connaisseurs possibles de la situation washingtonienne, en plus nullement handicapés par leur fascination par le modèle. Les Européens ont, pendant des décennies, subi ce calvaire du “chantage au Congrès” qui les obligeait à faire des concessions à la partie US, simplement par révérence pour les vertus de la démocratie US qui leur signifie que la séparation des pouvoirs implique qu’il y a plusieurs pouvoirs, au moins deux, à convaincre à Washington, – et des concessions à faire pour l’un et pour l’autre, ce qui signifie le double de concessions pour Washington. Les Russes savent bien ce qu’il en est précisément, et ce qu’il faut penser des arrangements washingtoniens. Ils reprennent le truc à leur avantage, avec, en plus, le luxe de se présenter eux-mêmes comme tellement démocrates qu’il est normal que la Douma ait son mot à dire, en toute indépendance.
Mis en ligne le 24 février 2010 à 14H00