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145525 novembre 2008 — Pour CNN.News, Obama a présenté hier son “équipe de crise économique” («Obama names economic crisis team», – titre présentant en première page le texte intérieur). C’est le mot “crise”, rajouté par CNN.News au titre officiel qui a son intérêt ici. Pour le Times aujourd’hui, « Barack Obama effectively took control of the US economy – two months before he takes office – by declaring that his plan to confront the financial crisis “starts today”». Les “marchés” ont salué dans l’euphorie cette nomination, – non, finalement, il y a erreur, – c’est le “plan de sauvetage” de Citigroup, grotesque à force d’être pharaonique ($305 milliards!), qu’ils saluaient ainsi…
Tout cela vous donne un air de pouvoir se croire soudain rassuré. Il y a quelqu’un à la barre, – et quel personnage, quel président! Avant de l’être, président, nul doute qu’il sera exceptionnel. Qu’importe, certes, si les “mesures” annoncées par Obama sont théoriques, et si l’action ne commencera que «le 20 janvier 2009 en fin d’après-midi (“starting the afternoon of January 20…”)». Au reste, qu’est-ce que Obama pouvait faire d’autre qu’agir vite, en attendant d’agir vraiment? Cet intermède annonçant le temps de l’action suggère certaines réflexions, pour changer des exclamations où perce sans vergogne ni retenue l’irrépressible fascination pour l’American dream, – de cette sorte: quelle chose exceptionnelle et unique de voir un président élu au cœur d’une crise en pleine accélération, et qu’il n’a nullement prévue, montrant avec résolution qu’il entend gouverner! On en oublierait que cette paralysie contre laquelle Obama semble résolu à se battre tient simplement aux dispositions constitutionnelles et extraordinaires d’irresponsabilité de l’American dream, que cette crise inattendue et cruelle tient au système imposé à toutes forces, et qui a mille fois démontré ses vices extravagants, par l’American dream.
N’oublions pas tout cela et poursuivons.
Ce qui nous arrête précisément, c’est un texte d’analyse de George Friedman, de Stratfor.com. Le texte, daté du 24 novembre, est en accès ouvert. Il nous présente un curieux mélange. L’entame est à la gloire paradoxale de la puissance US, le corps à la gloire d’Obama qui ne devrait pas changer grand’chose de la politique actuelle et rassembler un soutien important de l’establishment sur cette politique continuée, la fin appuyée sur le constat somme toute quasi-“maistrien” que le président n’a finalement guère de pouvoir et qu’il n’agit que selon ce que l’Histoire lui permet de faire.
Voici un extrait du début qui est une sorte de paradoxal chant de louanges à la gloire de l’exceptionnalité US, – paradoxal, parce que, finalement, au plus attristant des propos qui est celui de la profonde crise US, – paradoxal, parce qu’il nous est asséné que la crise du système américaniste montre que le monde est “américano-centrique”, comme si cela restaurait en un sens la puissance US: «One thing the financial crisis has demonstrated is that the world is very much America-centric, in fact and not just in theory. When the United States runs into trouble, so does the rest of the globe. It follows then that the U.S. response to the problem affects the rest of the world as well. Therefore, Obama’s plans are in many ways more important to countries around the world than whatever their own governments might be planning.»
La conclusion, elle, vient donc après cette paradoxale réaffirmation de la puissance US, et l’affirmation de l’habileté et de la conformité d’Obama, pour le voir poursuivre la politique classique de l’establishment américaniste, celle qui est cause du déclin de l’Amérique, – un petit peu comme si rien ne s’était passé, comme si la gloire US se poursuivait; et, soudain, l’affirmation que le président, après tout, n’importe pas, ni la politique qu’il entend faire, c’est-à-dire en l’occurrence celle de l’establishment américaniste; en effet, observe Friedman, c’est l’Histoire qui décide…
«Instead, the most important issue facing Obama is one on which he really had no position during his campaign: how to deal with the economic crisis. His solution, which has begun to emerge over the last two weeks, is a massive stimulus package as an addition — not an alternative — to the financial bailout the Bush administration crafted. This new stimulus package is not intended to deal with the financial crisis but with the recession, and it is a classic Democratic strategy designed to generate economic activity through federal programs. What is not clear is where this leaves Obama’s tax policy. We suspect, some recent suggestions by his aides not withstanding, that he will have a tax cut for middle- and lower-income individuals while increasing tax rates on higher income brackets in order to try to limit deficits.
»What is fascinating to see is how the policies Obama advocated during the campaign have become relatively unimportant, while the issues he will have to deal with as president really were not discussed in the campaign until September, and then without any clear insight as to his intentions. One point we have made repeatedly is that a presidential candidate’s positions during a campaign matter relatively little, because there is only a minimal connection between the issues a president thinks he will face in office and the ones that he actually has to deal with. George W. Bush thought he would be dealing primarily with domestic politics, but his presidency turned out to be all about the U.S.-jihadist war, something he never anticipated. Obama began his campaign by strongly opposing the Iraq war — something that has now be come far less important than the financial crisis, which he didn’t anticipate dealing with at all.
»So, regardless of what Obama might have thought his presidency would look like, it is being shaped not by his wishes, but by his response to external factors. He must increase his political base — and he will do that by reassuring skeptical Democrats that he can work with Hillary Clinton, and by showing soft McCain supporters that he is not as radical as they thought. Each of Obama’s appointments is designed to increase his base of political support, because he has little choice if he wants to accomplish anything else.
»As for policies, they come and go. As George W. Bush demonstrated, an inflexible president is a failed president. He can call it principle, but if his principles result in failure, he will be judged by his failure and not by his principles. Obama has clearly learned this lesson. He understands that a president can’t pursue his principles if he has lost the ability to govern. To keep that ability, he must build his coalition. Then he must deal with the unexpected. And later, if he is lucky, he can return to his principles, if there is time for it, and if those principles have any relevance to what is going on around him. History makes presidents. Presidents rarely make history.»
C’est un texte d’analyse curieux et révélateur à la fois, que celui-ci de Friedman. D’abord, une précision qui le mettra en perspective, qui en situera la temporalité très précise. Ce que dit Friedman est vrai depuis quelques temps (depuis GW, en 2000?): «One point we have made repeatedly is that a presidential candidate’s positions during a campaign matter relatively little, because there is only a minimal connection between the issues a president thinks he will face in office and the ones that he actually has to deal with.»… Pour ce qui précéda, c’est fort discutable, sinon tout à fait. Les exemples ne manquent pas: Eisenhower fut élu en 1952 sur la question de la paix en Corée, et c’est ce qui l’occupa jusqu’en 1954; JFK fut élu sur un anticommunisme virulent, et c’est effectivement une relance de l’hostilité à l’URSS et aux autres pays communistes (Cuba), et une relance de la production militaire qui marquèrent ses trois années de présidence; Nixon fut élu sur la question de “la paix au Vietnam” et cela occupa sa présidence jusqu’en 1972; Reagan fut élu en 1980 sur une relance de la Guerre froide, et c’est ce qu’il fit jusqu’au paroxysme des euromissiles (novembre 1983) d'abord, jusqu' à la venue de Gorbatchev (mars 1985) ensuite. (Friedman confond peut-être les promesses électorales sur tel dossier, qui ne sont pas tenues, avec le dossier qui occupe la campagne électorale; le dossier de la campagne, lui, était in illo tempore, ce qui occupait le président lorsqu’il venait au pouvoir, généralement avec oubli des promesses trop contraignantes; le président maîtrisait son agenda du temps où l’Amérique était splendide, et c’est ce qui n’est plus aujourd’hui où Obama s'occupe du dossier que lui impose l'Histoire.)
La situation que décrit Friedman, c’est celle, disons, d’une “Amérique nouvelle”, c’est-à-dire en déclin accéléré. C’est la situation où l’Amérique ne contrôle plus son destin, où l’Amérique est le jouet, ou l’outil de l’Histoire. Nous aurions pu croire, et pourrions croire encore si nous étions de bonne composition, en nous en tenant au fil des affirmations américanistes diverses depuis l’origine, que l’Amérique se moque de l’Histoire parce que c’est elle qui fait l’Histoire. On inventa même le virtualisme pour continuer à y croire. (Propos d’un officiel de la Maison-Blanche, de 2002, recueillis par Ron Suskind et rapportés en octobre 2004 : «We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that reality – judiciously, as you will – we'll act again, creating other new realities, which you can study too, and that's how things will sort out. We're history’s actors… and you, all of you, will be left to just study what we do.»)
Friedman nous dit que c’est fini, cela. A cet égard, son texte est étrange, ou significatif c’est selon. A partir de l’exaltation paradoxale de la puissance de l’Amérique (“quand l’Amérique va très mal, le monde va très mal”, – ce qui est incontestable), à partir d’une sorte d’hagiographie réaliste, politically correct et récupératrice d’Obama (il va s’aligner sur la politique classique de l’américanisme, il va tout faire pour cela, avec une habileté consommée, cet homme exceptionnel), Friedman nous offre la conclusion paradoxale que tout cela est finalement assez vain puisque «History makes presidents». (Notez bien : il ne dit pas “Americanism makes Presidents».)
Cette évolution du texte, et cette analyse peut-être involontaire de Friedman, est une précieuse indication. L’homme est paradoxal puisque c’est un fervent, un zélé partisan de l’américanisme et de la puissance de l’américanisme, mais avec assez d’une intelligence cultivée pour parfois reconnaître l’existence de forces transcendante qui n'ont rien d'américaniste comme celle de la Nation, c’est-à-dire de l’Histoire (voir son texte sur Soljenitsyne). L’intérêt du cas présent, c’est qu’il confronte, involontairement n’en doutons pas, les deux aspects. L’intérêt du cas présent, c’est qu’il va vraiment à l’essentiel, et le paradoxe contenu dans le texte (exaltation implicite de l’Amérique, de son système et de son nouveau président, pour admettre le déclin de l’Amérique et sa soumission à l’Histoire) correspond finalement à une situation réelle. C’est une prise de conscience implicite que, en un sens, l’Amérique ne suffit plus. L’Histoire resurgie, puissante, indomptable, transcendante, trace désormais la voie et l'Amérique doit s'y soumettre, comme les autres, mais si totalement étrangère à cette humilité nécessaire qu'elle risque de ne pas s'en relever.
Obama n’a pas venu venir la crise? Personne, à Washington, ne l’a vue venir, – ni Friedman d’ailleurs; personne n’a deviné son ampleur, sa force déstabilisatrice, son effet extraordinaire sur la population, son enchaînement catastrophique. C’est déjà l’Histoire intervenue avec toute sa force. Lorsque Friedman dit que la majorité des électeurs a voté pour Obama parce que c’était Obama, là encore il se trompe. («The first and largest comprises those who were won over by his persona; they supported Obama because of who he was, rather than because of any particular policy position or because of his ideology in anything more than a general sensé.») Obama a été élu parce qu’il n’était pas McCain, qu’il n’était pas républicain, (peut-être, paradoxalement, parce qu’il est Noir), – donc parce qu’il se détachait le plus des deux de la bande au pouvoir tenue justement pour responsable de la crise. Donc, il a été élu par la crise, par les effets de la crise sur l’humeur du public, humeur alternant angoisse affreuse et colère déchainée. En ce sens, oui, Obama a été élu par l’Histoire, pas par les USA. Obama est un outil de l’Histoire, – l’intérêt étant de savoir jusqu’où il sera l’outil de l’Histoire.
… Car là se trouve l’ultime erreur d’une analyse biaisée par le sentiment, qui finit par une conclusion si juste. Si Obama est élu parce qu’il est un outil de l’Histoire, toutes les mesures rassurantes qu’il prend, rassemblant des soutiens, rassurant l’establishment, pèsent bien peu de choses par rapport à son destin possible, selon ce que l’Histoire imposera à ce destin. L’establishment, c’est l’Amérique contrôlant son destin, ce que Friedman nous annonce qui n’est plus. Les “précautions” prises par Obama, comme les thèmes initiaux de sa campagne, lorsqu’il mit une sourdine à ses premières velléités réformistes, pèseront d’un bien faible poids si l’Histoire poursuit son œuvre bienfaisante de déstabilisation du système. Obama devra alors faire avec, et Friedman idem. En un mot, Friedman nous invite involontairement à avoir plus que jamais l’œil sur l’hypothèse “American Gorbatchev”…
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