L’hypothèse d’une d’attaque contre Moby Dick

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L’hypothèse d’une d’attaque contre Moby Dick

4 mars 2009 — Le président Obama se trouve, avec son budget pharaonique ($3.600 milliards) et un déficit qui ne l’est pas moins ($1.750), engagé dans une aventure qui commence à ressembler à une guerre, qui pourrait apparaître comme une rébellion (par rapport aux règles émollientes et paralysantes du système).

Il faut considérer plusieurs points, décrits sommairement mais suffisamment pour donner une mesure des choses importantes qui caractérisent cette “aventure”.

• On l’a vu (notre F&C du 2 mars ), ce budget est perçu comme un acte politique fondamental. Avec lui, Obama ne fait pas seulement que de partir en guerre contre la crise, il part dans une guerre réformiste des relations sociales et économiques de la société US. Ce budget est un acte politique, prolongeant décisivement sa fonction normale, économique et sociale, et de gestion des affaires publiques. D’un côté, il représente une contrainte pour Obama; d’autre part, une orientation de sa politique, une “prise de position”, un engagement politique.

• Les perspectives budgétaires (jusqu’en 2013) présentées par Obama relèvent d’une doctrine d’inspiration Disneyworld. Elles n’ont aucun rapport avec l’avenir prévisible, ni sans doute avec l’avenir réel selon ce qu’on peut en voir puisque celui-ci se modifie au jour le jour, à mesure de l’accumulation des catastrophes, dans le sens de l’aggravation. Cette prévision, c’est de la simple, et belle et bonne politique politicienne. L’ami Robert Reich, qui applaudit grandement au budget d’Obama, ne mâche pas ses mots, dans sa chronique du 23 février. «The President's message on fiscal responsibility – that he'll cut the current one by half by the end of his first term – is smart politics right now, but it may be dumb politics by November of 2012, and doesn't make much economic sense regardless. We're in a deepening recession, in case you hadn't noticed. […] Halving the budget deficit by 2012 is a nice goal but it has little to do with the economic challenge we now face.»

• Les républicains ont encaissé le coup du budget et commencent à en mesurer la force. Ils croient découvrir le vrai visage de Barack Obama. C’est l’ennemi libéral (progressiste, sens politique US du terme) dans toute son horreur qui réapparaît, une sorte d’insupportable mélange FDR-Clinton. C’est l’homme qui trahit Reagan après avoir assuré (durant la campagne électorale) qu’il en assumait le legs malgré que Reagan fût républicain. BHO est désormais perçu comme l’homme qui veut renverser plus d’un tiers de siècle (depuis les années 1970 et le mémorandum Powell) de “progrès” systémique de l’américanisme, et un retour à et une continuation de plus d’un tiers de siècle de “rétrogradation” libérale/progressiste de FDR à LBJ.

Remarquez qu’à cette occasion, on ne parle plus de la crise, sinon dans la mesure où elle est de bon usage pour des accusations et des menaces. De ce point de vue, l’Amérique se trouve dans un déchirement politicien et idéologique à la fois, qui est moins apaisé qu’exacerbé par la crise. C’est la marque des régimes de puissance en décadence rapide, cette tendance de la “montée aux extrêmes”, cette division partisane, surtout à l’heure des grands dangers. C’est finalement l’orientation prise par Washington avec le nouveau président; Obama espérait une situation de bipartisanship, d’“union nationale” mais le débat sur le “plan de stimulation” l’a convaincu de changer de cap; sa réponse, c’est son budget, qui est un budget de combat, un “budget partisan”, – «[f]inally a progressive budget», dit Robert Reich, qui s’y connaît. C’est dans ce cadre de tensions internes qu’Obama va devoir manœuvrer effectivement pour imposer sa nouvelle politique, dans une tension politique grandissante.

Les conditions budgétaires sont effectivement pressantes, avec ce budget mammouth de $3.600 milliards. Ivan Eland, de l’Independent Institue (droite libérale classique) observe, le 28 février sur Antiwar.com, les conditions possibles d’une évolution qui confronterait Obama à la nécessité d’une réduction dans certains postes du budget fédéral:

«Taking a lesson from George W. Bush – and many presidents before him – Obama is using a crisis to justify doing other unrelated things. Bush used the tragedy of 9/11 to dupe the nation into an unrelated, unneeded, disastrous, and costly invasion of Iraq. Obama is using the economic meltdown to attempt to achieve expansion of government involvement in health, education, and energy. The $787 billion stimulus package plus all of this extra spending will bring the federal budget to $3.6 trillion in 2010.

»The problem is that with the economic stagnation, which slows down the government's tax intake, and fighting two simultaneous and expensive foreign wars, the federal government shockingly can afford only two out of every three dollars it spends. This leaves a whopping $1.2 trillion deficit in 2010 (with Obama's stimulus package and Bush's bank bail out, the deficit in 2009 is an even more humongous $1.75 trillion). Add to this Obama's overly optimistic economic forecast (common among presidents, who usually want to make the federal budget projections look better than they are) and upcoming entitlement crisis in which the Social Security and Medicare systems become insolvent, which make Obama's promise to eventually halve the post-World War II record deficits (even bigger than Reagan's red ink) difficult.

»To reduce the deficit, in 2009 standing at an amazing 12 percent of GDP, Obama will need to look to the non-entitlement portion of the budget, which is called the discretionary spending. The Social Security, Medicare, and Medicaid entitlement programs are examples of the government on autopilot – and are very difficult to reduce.»

Si l’on cite Eland, c’est parce qu’il développe ensuite une suggestion pour trouver un moyen de réduire le déficit, selon une approche qui est désormais évoquée avec insistance à Washington, dans des milieux d’experts de gauche ou de diverses tendances droitistes étrangères à la politique expansionniste type-Bush. Eland observe donc évidemment que la seule possibilité de réductions budgétaires conséquentes concerne le budget de la défense. Il cite alors la suggestion du député démocrate Barney Frank, qu’on a déjà rencontrée le 24/30 octobre 2008: «During the George W. Bush years, even after the Cold War had long ended, national defense spending ballooned a whopping 78 percent. Recently, Congressman Barney Frank (D-Mass.) made the bold proposal to cut defense spending 25 percent.» Suit un détail des réductions envisageables pour atteindre à ce volume de 25%.

Un autre texte, plus général, vient confirmer qu’effectivement, cette sorte de démarche est courante aujourd’hui à Washington. Même s’il s’agit de milieux plutôt en marge des centres officiels, ils n’en représentent pas moins des courants de pensée non négligeables. Ce qu’il faut noter surtout est qu’il s’agit de milieux très opposés à la politique belliciste. En temps normal (dans les “temps bushistes”), leurs commentaires n’étaient qu’une critique de la politique officielle, sans espoir qu’elle soit modifiée. S’ils commentent aujourd’hui dans le sens de la définition d’une alternative, en général en très grands détails, c’est qu’ils mesurent qu’effectivement la situation présentent des opportunités à cet égard, du côté de l’administration Obama, et que cette administration est à la recherche d’orientation concrètes et précises, éventuellement radicales. C’est ce que suggère le texte de Philip Giraldi, ce 3 mars sur Antiwar.com. Giraldi signale aussitôt: «President Barack Obama is reportedly reviewing America's involvement in various conflicts overseas as well as its domestic defenses.» Il passe en revue ensuite tous les domaines de la sécurité nationale et les décisions que devrait prendre Obama pour conduire un désengagement de la politique belliciste et expansionniste. Il y a un passage sur le budget de la défense, où Giraldi suggère une réduction d’un tiers, – dans le même esprit qu’Eland:

«The U.S. defense budget is 40 percent of the world's total for military expenditures, even though there is no real enemy to fight. By eliminating “wars of choice” and removing bases around the globe, the Pentagon budget could be pared down from its projected $663 billion for 2010 by at least a third to $440 billion. We don't need three more infantry divisions, as we will not be looking around for someone to fight, nor the F-22 fighter, as no one can challenge the U.S. in the air, and we surely don't need more carrier groups, as Washington already has the world's only blue-water navy.»

Conditions “favorables”

Le cas de Moby Dick est bien connu. Pour ce qui le concerne, deux crises systémiques l’affectent. La première, c’est la crise générale, qui affecte tout le monde; la seconde, c’est la sienne propre, la crise monstrueuse du Pentagone. L’idée, voire l’hypothèse d’une réduction radicale du budget de la défense doit être considérée à la lumière de ces deux crises, chacune dans sa spécificité.

La caractéristique extraordinaire du Pentagone à l’ombre du budget FY2010 ($536 milliards hors des dépenses de “guerre”, $663 milliards avec) que va présenter dans un mois l’administration Obama, c’est de disposer d’une augmentation remarquable dans ces temps difficiles (près de 5% par rapport à FY2009 pour le budget de fonctionnement qui nous intéresse) et de voir nombre de ses plus grands programmes qui seront affectés par des réductions également remarquables (par exemple, sans doute $3,2 milliards sur les $8,6 milliards originellement prévus pour le JSF). Ce qui signifie finalement que la philosophie du Pentagone aujourd’hui, toutes choses égales par ailleurs, est que plus il y a de l’argent, plus les choses continuent à aller plus mal; le rapport entre les augmentations budgétaires normales et les augmentations des coûts a perdu son caractère d’équivalence qui a régné, bon an mal an, avant 9/11. Un budget qui reste à un niveau convenable d’augmentation ne résout plus rien, et la crise continue à s’aggraver en dépit de l’augmentation. Plus aucune procédure normale ne résout quoi que ce soit avec le Pentagone; dans ce cas, la dynamique en cours qui accroît la disparité entraîne une aggravation à mesure de la situation.

C’est cela que l’administration Obama devrait rapidement découvrir, si elle n’est en train de le découvrir. Cela se fait dans le contexte général d’affrontement bipartisan qu’on a vu plus haut, avec les questions autour du budget. Dans ce contexte, effectivement, il est probable que l’administration Obama va être pressée par ses soutiens naturels de tenir ses engagements (principalement dépenses sociales, environnement, etc.) et conduite par son hostilité vis-à-vis des républicains à le faire effectivement; d’autre part, elle va être d’autant plus pressée, par les événements qui devraient produire une situation générale plus grave qu’annoncée, de chercher effectivement à réduire son déficit. Le jugement d’Eland est alors d’autant plus opportun : «Obama will need to look to the non-entitlement portion of the budget, which is called the discretionary spending. […] More than half of the discretionary budget is defense spending (slightly less than $700 billion per year), making it a big and deserving target for cuts.»

Dans ces conditions, et considérant la situation désespérée du Pentagone, – effectivement, pourquoi ne pas effectuer des réductions radicales, de l’ordre évoquée plus haut (25%-33%)? Cette proposition conduit à considérer que l’hypothèse d’une réduction radicale n’est pas, n’est plus si absurde, alors qu'elle était jusqu'alors, dans le climat régnant à l'époque Bush, extrêmement farfelue. L’argument est le suivant, appuyé sur deux considérations :

• D’une part, certes, l’argument général du déficit, qui fournit une rhétorique de l’importance nationale de telles réductions, en plein cœur de la crise, et réduit notablement l’impact des attaques probables, classiques dans ce cas, contre des décisions de réduction du Pentagone.

• D’autre part, l’argument que des réductions de programme sont effectivement effectuées même lorsque le budget augmente ; dès lors, pourquoi ne pas accentuer le choc d’une attaque contre la situation d’impuissance du Pentagone avec de véritables réductions budgétaires qui accentueront certes les réductions de programmes, mais alors que l’effet négatif est d’ores et déjà enregistré, – tout cela, tout en réduisant le déficit? C’est l’argument d’une thérapie de choc, d’autant plus valable que les effets négatifs (réduction des programmes) existent d’ores et déjà avec le budget actuel.

Certains événements, – dont l’attitude d’Obama dans l’affaire du budget, – montrent qu’Obama ne déteste pas, ou bien accepte la nécessité d’attaques frontales et dramatiques contre certains domaines de la situation de crise de l’appareil et du système. Les événements poussent à cela, notamment les crises, – car, et c’est le facteur le plus important, nous avons de plus en la confirmation que ce sont les événements qui dictent les politiques aujourd’hui, bien plus que le contraire. De ce point de vue, une attaque frontale contre Moby Dick serait autant la conséquence de la pression des événements que de l’intention des principaux acteurs, mais avec, dans ce cas, un lien évident de cause (“pression des événements“) à effet (“intention des principaux acteurs”).

Cette hypothèse d’une attaque frontale contre le Pentagone, qui pourrait être entreprise si elle avait lieu dès la fin de cette année avec la QDR (Quadriennal Defense Review) qui propose une programmation pour les quatre années à venir, nous semble, comme on l’a proposé plus haut, une hypothèse qu'il faut songer à envisager sérieusement. Un signe plus précis encore du climat général, à notre sens, est l’article de deux hyper-réformateurs, Wilnslow Wheeler et Pierre Sprey, dans American Conservative en date du 9 mars, repris sur le site CDI le 3 mars. (Voici une situation politique indubitable, à notre sens. Les “réformateurs” sont aujourd’hui très présents partout, alors qu’ils étaient jusqu’alors ostracisés. Leurs analyses et leurs thèses ont le vent en poupe.)

Jusqu’à maintenant Wheeler-Sprey étaient uniformément critiques des autorités diverses en place, notamment de Gates, y compris dans l’administration Obama. Aujourd’hui, le ton change; on les découvre plutôt poussant Gates à agir dans le sens de certaines choses qu’il a dites, impliquant par là qu’ils en approuvent le principe et, surtout, qu’ils semblent considérer qu’une action radicale est effectivement possible, dans les conditions et avec l’équipe en place.

«In his farewell article in last fall’s Foreign Affairs and in his welcome-back testimony to the House and Senate in January, Gates decried a defense budget riddled with “baroque” and irrelevant weapons at unaffordable cost. He warned, “the spigot of defense funding opened by 9/11 is closing.” This is important, perhaps prophetic, rhetoric. But if, like Greenspan’s “irrational exuberance,” Gates’s ringing words remain untainted by action, they will simply mask festering problems. If, on the other hand, he decides to act, his first task must be to control the root of the evil, the money. […]

»We’ve had 45 years of reform initiatives, and each has fizzled. We’ll know that the Obama administration has snipped this unbroken string of failures when Secretary Gates translates his rhetoric into actions that change the money flow. And there’s no better place to start than by axing a few of these Pentagon budget-busters—his own included.»

…La possibilité d’une puissante attaque contre le Pentagone, d’une crise majeure en forme d’affrontement entre l’exécutif et le centre principal de la puissance bureaucratique US, nous paraît désormais possible; selon certaines pression de la crise et de perte de contrôle de certains éléments de la situation, dans certaines circonstances générales de crise qui sont évidemment très possibles, cette puissance attaque nous parait même inéluctable, à partir des conditions d’affrontement d’ores et déjà esquissés. C’est un cas politique d’une extrême importance parce que, justement, Moby Dick est le centre de la puissance expansionniste et inspiratrice de l’américanisme. Les conséquences seraient incalculables, également et notablement, hors du contrôle de ceux-là même qui auraient lancé l’attaque.