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113117 décembre 2009 — Le Premier ministre turc Erdogan a effectué une visite aux USA il y a une dizaine de jours. Cette visite était censée ramener une certaine sérénité dans les liens entre les deux pays. Il y a eu une rencontre Erdogan-Obama, qui a sauvé la face mais qui n’a donné lieu à aucun communiqué commun, signe au moins de l’absence d’une proximité chaleureuse de deux pays qui se disent encore, plus ou moins, “alliés stratégiques”. Erdogan a fait ici ou là quelques déclarations, visant à rassurer ses interlocuteurs US, ou des auditoires sélectionnés, mais sans vraiment rassurer. Lui-même, d’ailleurs, ne semble pas s’être épuisé à la tâche, se contentant de ce qu’on nommerait un “minimum syndical”.
Quelques jours après cette visite apparaît un élément, qui n’est pas vraiment nouveau mais qui est significatif, à propos des relations entre les USA et la Turquie, telles qu’elles se sont révélées à l’occasion de cette visite. Dans The Washington Note du 14 décembre 2009, Ben Katcher reproduit un document publié par le Weekly Standard. Il s’agit d’une lettre de dix sénateurs US à l’ambassadeur de Turquie, exprimant leur préoccupation de la politique turque vis-à-vis d’Israël.
«Last Monday - the same day that Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan arrived in Washington to meet with President Obama – ten United States senators wrote the letter below to Turkey's Ambassador to the United States Nabi Sensoy – expressing concern about the recent deterioration of relations between Turkey and Israel. (Sensoy has since resigned, but that is another story)
»The senators can hardly be faulted for raising this issue. The United States has a clear interest in constructive Turkish-Israeli relations, particularly since Turkey has served as an effective mediator between Israel and Syria and is the Muslim country with the most significant history of positive relations with Israel.»
Katcher prend nettement position pour cette intervention des sénateurs, estimant effectivement que la restauration de liens amicaux entre la Turquie et Israël est un point essentiel – omettant de préciser qu’une telle restauration impliquerait pour la Turquie un alignement sur la politique d’un gouvernement israélien totalement paranoïaque concernant la question de l’Iran et avec la politique qu’on sait vis-à-vis des Palestiniens et le reste. Katcher semble estimer que la Turquie est seule, ou dans tous les cas principale responsable de la distension des liens avec Israël; il cite l’affaire de l’annulation d’un exercice aérien turc auquel Israël devait participer. Les réactions des lecteurs de The Washington Note, site qui se montre en ce moment plus souvent pro-israélien qu’à son tour, sont d’ailleurs assez furieuses.
L’un des lecteurs rapporte ce détail (détail, really?), qui n’est pas sans intérêt… «How the hell can you throw together a post like that without mentioning the REASON that Turkey has given for excluding Israel from the Anatolian Eagle exercise? (See http://www.politicaltheatrics.net/?p=1275, “Turkey To Israel: Cross Our Airspace To Bomb Iran & We Will Respond Like An Earthquake”)»
Puis ceci, qui est une traduction en anglais du texte cité par le lecteur, texte initialement en arabe:
«Turkish Prime Minister Tayyip Erdogan stated that if Israel crossed over into Turkey’s airspace in order to bomb Iran then their answer to Israel shall be like that of an “earthquake“.
»Erdogan’s response was due to a question, in an interview with Lebanese newspaper “Al Safir”, over information indicating that Israel had violated Turkish airspace in the process of spying against Iran. Erdogan continued,saying that certainly “the information [stating that Israel was using their airspace to spy on Iran] is incorrect,” but he stated that, “if Israel did so, they will receive a response equal to that of an earthquake.”»
Ces différents épisodes montrent combien la politique US vis-à-vis de la Turquie, à mesure qu’elle se complique, est de plus en plus influencée par les relations des USA avec Israël, combien l’interférence d’Israël dans les rapports entre les USA et la Turquie est grande dans ce cas. Cela confirme cette appréciation que nous faisions le 13 novembre 2009:
«[Les relations de la Turquie avec Israël] prennent une allure de plus en plus émotionnelle et commencent à sembler constituer une attaque indirecte contre les USA, à cause des liens stratégiques entre les USA et Israël. Dans tous les cas, ainsi seraient inclinés à en juger certains experts du Pentagone selon l’idée, exprimée par une source européenne au Secrétariat Général de l’UE, qu’“au-delà d’Israël, les Turcs commencent à influer de façon négative sur les relations des USA avec Israël parce que, malgré l’insistance d’Israël, Washington n’arrive pas à modifier l’attitude des Turcs”. Le jugement paranoïaque des Israéliens joue dans ce cas un rôle fondamental, en grossissant considérablement le cas et en l’introduisant dans la problématique USA-Israël.»
@PAYANT Il ne fait nul doute que le très-puissant lobby israélien (AIPAC) est en action à Washington et obtient les résultats qu’on connaît. On a déjà tout dit sur l’ignominie de cette chose (AIPAC) et sur le caractère infâme de ce système de lobbying, y compris à Washington, notamment à l’occasion de l’affaire Freeman. C’est l’infamie washingtonienne as usual, mais certes dans ce qu’elle a de plus sordide et de plus obtus, que tout le monde dénonce et dont nul ne parvient à se débarrasser, ni même ne semble y songer.
En attendant, le résultat est nul et étonnamment stérile, notamment dans ses effets sur la politique de la Turquie. Erdogan n’a pas apprécié l’intervention des sénateurs et, comme l’a montré un des lecteurs du texte de Ben Katcher, il avait de bonnes raisons d’agir de cette façon. Il n’est pas impossible que nous ayons un de ces mois prochains un incident aérien majeur entre la Turquie et des avions israéliens violant l’espace aérien turc, avec comme premier résultat de rendre l’armée turque encore plus anti-israélienne qu’elle n’est devenue. (L’armée turque qui fut pourtant le principal relais en Turquie de l’influence US, par conséquent en faveur des intérêts israéliens pour cette situation passée. Pour ce qui est de l’habileté politique, on peut envisager mieux.) Tout cela venant après les bruits d’un complot contre Erdogan monté avec l’aide du Mossad, on se doute combien la lettre des dix pompeux parlementaires du Sénat des USA arrosés d’argent par l’AIPAC aura d’effets sur la politique turque.
…Il n’est pas dit, au reste, que les Israéliens, s’ils poursuivaient leur chemin paranoïaque concernant l’Iran et tentaient quelque chose du point de vue opérationnel, ne trouveraient pas sur leur chemins, dans certaines circonstances, la Turquie elle-même, exactement comme le laisse entendre Erdogan. (Peut-être un jour la Turquie demandera-t-elle qu’on fasse jouer l’Article 5 pour demander à ses collègues de l’OTAN de venir à son aide contre les incursions israéliennes? Rions un peu…) Arriver à un tel résultat lorsqu’on sait ce qu’étaient la situation dans la région il y 10 ans, et notamment les liens entre Israël et la Turquie, nous donne une bonne mesure des effets de l’hystérie habillée en morale postmoderniste et militariste dans les domaines de la politique et de la stratégie. Passons.
C’est un curieux système. Tout le monde connaît l’influence monstrueuse d’Israël sur les USA. Une bonne majorité des juifs américains, en général de tendance politique libérale (plutôt de gauche), s’en plaignent mezzo voce en critiquant, mezzo voce toujours, la politique obsessionnelle de Netanyahou sur différents fronts. Puis il suffit que le même Netanyahou agite un document sur l’Holocauste à la tribune de l’ONU et cite une version complètement faussaire d’un discours du président iranien sur la soi-disant élimination de la surface de la terre d’Israël avec une bombe nucléaire qui n’existe pas, alors qu’Israël en a plus de 200 et viole régulièrement l’espace aérien turc pour ne rien dire de l’espace aérien iranien et certains autres, pour que tout le monde entre en transe et s’aligne sur les consignes d’AIPAC. On y verra probablement un complot, et le plus classique du genre; nous y verrions plutôt un complet autisme de la pensée et une atonie de la volonté qui sont aujourd’hui les caractéristiques de l’attitude américaniste et occidentaliste, particulièrement lorsqu’il s’agit d’Israël. Notre sentiment est que, derrière toutes les explications habituelles, la véritable vertu d’Israël, avec son succès dans son rôle d’influence appuyée sur le terrorisme moraliste de la repentance, est de satisfaire parfaitement le système de l’américanisme en s’imposant comme celui de ses appendices qui a une politique encore plus nihiliste et impuissante que la sienne. Ce sentiment ressemble à celui que certains ressentirent pour GW Bush et sa politique de force en noir et blanc.
L’intérêt est moins de s’exclamer à ce propos que d’observer les résultats à cet égard, dans la réalité politique et stratégique. Ils sont consternants. A ce jeu étrange du lobbying constamment réussi de l’AIPAC, tous les acteurs concernés par ce lobbying sont perdants. A quoi sert-il à Israël de lancer des actions provocatrices contre la Turquie, qui rendent encore plus exécrables des relations avec la Turquie qui était, lorsqu’elles étaient bonnes, son principal atout dans la région? A quoi sert-il, aux USA de suivre aveuglément Israël dans cette affaire, en s’aliénant, aux profits de pays comme l’Iran et la Russie, un pays qui lui est aussi stratégiquement essentiel que la Turquie? Tout ça pour quoi? Les pompeux sénateurs arrosés par l’AIPAC, on les comprend; mais les autres, notamment ceux qui font la politique US, et qui ont déjà largement montré, dans les premiers mois de 2009, qu’ils comprenaient le caractère fallacieux et faussaire, sinon cruel et illégal, de la politique du gouvernement Netanyahou, que ce soit vis-à-vis des Palestiniens comme vis-à-vis de l’Iran?
Les explications habituelles (complot, corruption, même “le terrorisme de la repentance”) ne suffisent plus. Il y a véritablement une attraction occidentale pour le nihilisme et toutes les narratives qu’il permet de débiter. Cela est d’autant plus vrai que l’appréciation, selon les explications habituelles (complot, corruption, même “le terrorisme de la repentance”) se heurtent à la réalité de l’ambiguïté d’une soi-disant allégeance des USA à Israël. Dans nombre de domaines, notamment le domaine militaire, c’est Israël qui fait allégeance au Pentagone. L’expertise militaire israélienne a été complètement infectée par l’américanisme depuis un quart de siècle et cela explique la déculottée de Tsahal à l’été 2006, face au Hezbollah. L’affaire JSF, où Israël est pressé de jouer au cobaye d’un fer à repasser invendable pour enrichir les publicités de Lockheed Martin est un autre aspect de la chose. Au prix où Israël est sommé d’acheter le JSF ($145 millions l’exemplaire), c’est l’essentiel du budget militaire israélien qui va passer dans ce monstre dans les années qui viennent. Même si l’argent vient en partie de l’aide US, il n’empêche que le résultat brut serait un désarmement non pas structurel mais quasiment schizophrénique de l’armée israélienne. (La seule chance d’Israël à cet égard est que le programme JSF s’effondre avant qu’Israël n'ait cédé aux pressions US, ce qui est en bonne voie.)
Quoi qu’il en soit, sur cette voie la Turquie est en train de prendre une place de plus en plus considérable, de devenir l’acteur central du Moyen-Orient, à mesure que l’axe stratégique et l’importance de cette région sont de plus en plus réorientés vers le Nord et le Nord-Est, en liaison avec le Caucase et la Russie. Bientôt, toute la problématique de la région sera changée, et l’intérêt stratégique d’Israël réduit à un îlot de plus en plus anachronique, tandis que le Pentagone continuera à lui faire essayer ses dernières merveilles technologiques qui ont pour fonction principale de faire exploser son propre budget – une façon comme une autre de montrer que, dans cette époque de folie, la tradition existe encore.
Il n’est pas de cas plus attristant que celui des relations d’Israël avec les USA, et avec l’Occident-qui-suit en général, où le jugement sur la politique qui les caractérisent puisse être résumé par des mots aussi triviaux que “stupidité”, “bêtise”, “aveuglement”, etc. Après tout, on comprend que l’UE hésite tant à accepter la Turquie dans son sein. Un pays avec une politique intelligente, cela ferait désordre.
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