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1269Tous les bloggeurs angoissés de la parano-sphère sioniste nous prédisaient l’apocalypse à l’approche de la visite d’Ahmadinejad au Liban. “Coup d’Etat” du Hezbollah supposé être une simple tentacule iranienne au Pays du Cèdre ; jet de pierre du président iranien potentiellement déclencheur de guerre : tous les délires y sont passés dans la foulée des offensives diplomatiques de Tel-Aviv et Washington pour faire annuler une visite jugée “provocatrice” et “déstabilisatrice”. Au Liban même, la discorde avait atteint des sommets sous l’impulsion du bloc pro-occidental de l’inénarrable premier ministre Hariri. Et puis ? Et puis rien.
Ahmadinejad est venu, il a été reçu triomphalement ; il a délivré ses messages habituels sur la toxicité de l’entité sioniste et de son parrain américain ; il a appelé à l’unité au Pays du Cèdre ; il a signé avec le Liban 16 accords et protocoles d’entente en vertu desquels les deux pays développeront les relations bilatérales dans des domaines aussi variés que l'agriculture, l'énergie, le pétrole et le gaz, le commerce et l'artisanat, le tourisme, l'éducation, la santé, l'environnement, les médias, les communications ou la technologie informatique. Bref, il s’est agit d’une visite présidentielle sans véritables fausses notes. Point. Ce faisant, Téhéran cherche à confirmer une stature de puissance régional incontournable qu’il revendique et avec laquelle, et c’est là sans doute le principal message qu’il voulait faire passer à l’adresse de l’Occident, il va falloir composer.
Enfermé dans sa bulle, Washington a bien sûr déploré les “gestes provocateurs” du président iranien. Et malgré les appels au meurtre d’un député de la Knesset, Israël a dû quant à lui se contenter d’un lâcher de ballons qui se voulait spectaculaire au moment où M. Ahmadinejad s’exprimait à 4km de là, mais qu’un coup de vent descendant a repoussé très symboliquement vers l’intérieur des terres occupées.
Au final, l’escale d’Ahmadinejad au Liban est une opération réussie. Reste que l’affrontement avec l’Occident à de beaux jours devant lui. La machine de propagande US-raélienne tourne à plein régime depuis des années sur tous les fronts. On nous rejoue bien sûr la saga des ADM irakiennes en version nucléaire ; on multiplie arbitrairement les sanctions occidentalo-onusiennes ; et la diabolisation de Mahmoud Ahmandinejad a pris de telles proportions que l’on s’étonne pour ainsi dire désormais de ne pas distinguer l’ombre de quelques cornes ou queue fourchue mal dissimulées lors de ses apparitions.
Pourtant, malgré cette offensive généralisée pour lui peindre une petite moustache noire sous le nez, l’insupportable Ahmadinejad reste imperturbable, arrogant à l’extrême, ne cherchant même pas à calmer ses détracteurs, jetant de l’huile sur le feu à la moindre occasion en cultivant toutes les ambiguïtés possibles dans ses diatribes contre Washington et Tel Aviv. Ainsi, même lorsqu’on affirme de manière mensongère qu’il a déclaré vouloir “rayer Israël de la carte”, il ne daigne même pas démentir. (Une des premières dépêches AFP sur la visite du président iranien au Liban Sud commençait d’ailleurs ainsi : «Mahmoud Ahmadinejad, qui prône la destruction d'Israël, se retrouvera jeudi à quelques kilomètres de l'Etat hébreu…»)
Bref, au-delà de toute cette agitation, de cette excitation, il faut bien reconnaître que la capacité de résistance de l’Iran face à la curée témoigne d’une réelle puissance et même, grâce aux ratages de la politique américaine au Moyen-Orient, d’une irrésistible montée en puissance.
L’Iran est en effet en train de s’imposer comme un acteur majeur, incontournable de la région. Notamment au travers d’un chiisme persécuté (1) durant un millénaire et renaissant aujourd’hui, l’Iran dispose d’une influence indéniable dans ce fameux croissant chiite qui va de l’Afghanistan (minorité Hazaras) au Sud-Liban, en passant par l’Iran, l’Irak (désormais gouvernée par les chiites grâce à l’intervention américaine…) et la Syrie alaouite.
Mais l’ascension de l’Iran profite aussi d’un mouvement bien plus ample qui concerne d’autres puissances tentées de s’émanciper de la tutelle occidentale. L’ancien conseiller de Solana au Secrétariat Général de l’UE, Alistair Crooke a très bien cerné les bouleversements d’équilibre en cours. Il stigmatise ainsi dans son analyse l’effacement rapide des acteurs traditionnels du Moyen-Orient, tels qu’Israël ou les vieux pays arabes achetés dès l’origine par les USA comme l’Egypte, la Jordanie ou l’Arabie Saoudite, et cela au profit du «northern tier», composé de la Syrie, de la Turquie, de l’Iran et du Qatar, éventuellement avec le Liban et l’Irak, tous hostiles à l'influence US à des degrés divers. L’hostilité US à l’Iran obéit donc à la tentative de contenir ou d’inverser ce basculement à l’œuvre pour maintenir intacte l’influence américano-occidentale dans la région.
Quant à l’hostilité israélienne, évacuons d’emblée la fable sur la volonté supposée de l’Iran de détruire Israël comme justificatif. Téhéran sait parfaitement que des milliers de têtes nucléaires occidentales et israéliennes lui tomberaient dessus au premier frémissement du genre. En vérité, l’hostilité israélienne vis-à-vis de l’Iran obéit pour partie à la paranoïa avérée d’un pays à la santé mentale vacillante, mais surtout à sa volonté d’être et de rester la seule puissance économique performante et le seul gendarme nucléaire de la région. Or la guerre fait partie des moyens utilisés par l’Etat juif pour maintenir coûte que coûte ce leadership économique. On l’a vu par exemple en 2006 avec la destruction systématique, et sans aucun but militaire à proprement parler, des infrastructures économiques du Liban (son activisme au cœur de l’administration neocon US pour la guerre en Irak obéissait à la même logique).
Même si son chiisme inquiète (2), l’Iran est avant tout une puissance pragmatique. Et Téhéran réclame aujourd’hui la reconnaissance d’un statut de puissance régionale majeure qu’il veut incarner. Elle sait que l’influence de l’Occident décline, que plus de 5 milliards d’habitants de cette planète au moins ne supportent tout simplement plus sa politique des deux poids-deux mesures, son indignation sélective concernant les violations des droits de l’homme, la vacuité de sa narrative , la brutalité économique de sa domination, ses vertueuses boucheries de masse. Comme le démontre Jean Ziegler dans son livre «La haine de l’Occident», la colère contre l’Occident a pris le dessus sur la peur de l’Occident. Et c’est aussi cette absence de peur qu’incarne aujourd’hui en quelque sorte le président iranien, cette absence de soumission, qui panique les élites occidentales.
Sauf à choisir l’option d’une guerre par ailleurs au-dessus de ses moyens, l’Occident va donc devoir composer, négocier pour sauver ce qui peut l’être de son influence dans la région avec, comme principal défi, de brider l’entité sioniste pour ne pas être entraîné par elle dans un conflit potentiellement dévastateur et, surtout, perdu d’avance. Face au constat d’échec des pressions occidentales, on sait qu’une partie au moins de l’appareil étasunien négocie déjà en sous-main avec l’Iran. Pour preuve : le maintien au pouvoir de Maliki en Irak n’a pu se faire que grâce aux efforts conjoints de l’Iran et… des USA, au grand dam de l’Arabie Saoudite, alliée pourtant historique de Washington, qui soutenait son adversaire. Comme quoi, au-delà des vociférations hystériques, il y a peut-être place pour la raison.
Pierre Vaudan
(1) Rappelons que dans son Grand Oeuvre de colonisation mercantile et idéologique de la planète, l'Occident s’est en effet toujours appuyé sur la Sunna dans les pays du plateau arabo-musulman. Car le chiisme a toujours été regardé avec méfiance du fait qu'il s'agit d'une religion potentiellement “révolutionnaire”.
(2) Comme le souligne François Thual dans sa «Géopolique du chiisme: « Vivre dans l'attente du retour de l'Imam en luttant contre l'injustice sur cette terre est, très globalement, le programme de cette religion dans son aspect profane». Et, de fait, à l'inverse du sunnisme dont la doctrine préconise d'obéir au prince, fusse-t-il corrompu, puisqu’on ne saurait présumer du jugement final de Dieu sur le bonhomme, le chiisme ne fait pas de compromis avec le prince si celui-ci est perverti et préconise alors le renversement de l'ordre établi. La pire des hérésies pour l'Occident qui, pouvoir de marchands comme la Sunna, veut bien traiter avec n'importe quel prince, tortionnaire, dictateur ou despote on s'en fout, pourvu qu'il ait le même Dieu que nous, la Grande Calculette donc.
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