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597Voici un texte à la fois inattendu et significatif. Il est inattendu parce qu’il est publié par le Washington Times, en général favorable au Tea Party et qu'il présente ce phénomène non sans une certaine appréhension ; il est significatif parce qu’il marque bien l’obsession qu’est en train de devenir aux USA Tea Party, présenté ici dans son option la plus radicale et présenté également (sans aucune intention propagandiste mais plutôt inconsciemment) comme un courant proche d’être irrésistible. Pourtant, Tea Party est loin, très loin d’être organisé et présent dans les élections en tant que tel jusqu’à présenter une force justement irrésistible, d'un point de vue politique classique.
Il s’agit d’une analyse de Patrice Hill, dans le Washington Times du 20 octobre 2010, d’une enquête de sondage réalisée par Bloomberg.News, au sein de Tea Party. La ligne générale dégagée, la ligne fondamentale et unificatrice de Tea Party, c’est la réduction radicale des dépenses du gouvernement fédéral, jusqu’à parvenir à un équilibre du budget. Les positions des membres de Tea Party sont féroces contre les dépenses du gouvernement, la politique de la Federal Reserve, – avec, sur ce dernier point, une majorité favorable à sa suppression («The Bloomberg poll found, in fact, that a majority of tea party supporters would like to abolish the Fed»). Les résultats de l’enquête sont soumis à l’appréciation d’économistes, dont certains craignent qu’un tel programme pourrait causer la pire dépression de l’histoire des Etats-Unis, tandis que d’autres approuvent un programme d’une telle radicalité, – montrant que les positions se radicalisent également dans cette branche de l’expertise habituellement plus mesurée dans ses différences.
«But while applauding their budget-cutting zeal, economists are divided over whether their prescription is good medicine for a weak economy. Some say it's reminiscent of President Hoover's drive to balance the budget during the Great Depression — and would backfire this time as well. […]
»“The tea party's demands to balance the budget and reduce the federal deficit aren't merely misguided, but dangerous, and would cause the worst depression in history,” said Warren Mosler, a former investment manager and monetary policy expert who describes himself as a former tea party Democrat.
»“I have been, and continue to be, a strong supporter of the core tea party values of lower taxes, limited government, competitive market solutions, and a return to personal responsibility,” he said. “However, their proposals to balance the budget are the same suicidal policies that caused six horrible depressions in the U.S. over the past 200 years.” […]
»“Contrary to popular belief, we can reduce spending without endangering the republic,” said Jerry Jasinowski, economist and former president of the National Association of Manufacturers, suggesting Congress start with unnecessary weapons systems and pork-barrel projects.
»He said the tea party's “revulsion against the spending binge” in Washington has hit a chord with the public. “You can argue all night that the spending is necessary to avert an economic meltdown or keep the nation safe, but no one really believes that,” he said. “What they do believe is a vast sea of debt must be repaid.”
»The truth is, Mr. Jasinowski said, the tea party agenda poses a threat to both parties. “Their message strikes to the heart of what Washington does best: squander money,” he said. “It is perhaps the one thing that is truly bipartisan.”»
Ce texte est extrêmement intéressant par sa tonalité, parce qu’il exprime d’une certaine façon l’empire extraordinaire, sous la forme d’une influence psychologique irrésistible, que Tea Party est en train d’établir sur le système politique, alors qu’il ne représente nullement, ni une majorité, ni une organisation pouvant justifier un tel empire. Mais ce qui caractérise principalement Tea Party aujourd’hui, ou l’image de Tea Party, se décompose en deux points… C’est d’abord son extraordinaire extrémisme sur cette question des dépenses publiques (voir aussi le Progress Report de ce 21 octobre 2010 pour un détail des mesures qui pourraient naître de cette politique) ; quand on réalise la profondeur et la puissance formidable que constituerait ce programme dans sa complète potentialité, on est conduit à conclure qu’il s’agirait d’une voie vers la déstructuration du pays dans son ensemble, d’abord par simple disparition, par anémie, du gouvernement central (par ailleurs déjà dévoré par le service de la dette). Ensuite, pour compléter le cas extraordinaire que constitue Tea Party, c’est le deuxième point que constitue la réalisation que ce mouvement, avec le programme théorique dont il est porteur, avec ce qu’il peut y avoir de théoriquement le plus extrémiste (car on en vient à penser que Tea Party est moins extrémiste que la façon dont il est de plus en plus représenté) : Tea Party semble constituer une sorte d’objet de fascination pour une Amérique plongée dans la crise psychologique la plus folle qu’on puisse imaginer.
Tea Party devient ainsi une sorte d’épouvantail à la mesure d’un pays qui est un continent, qui entretient une conception unique du monde et une force d’influence sans précédent, et un épouvantail qui jouerait aussi le rôle d’exorciste de la crise folle qui met ce pays-continent, cette conception et cette influence en lambeaux. La perception, la mesure même de sa puissance, ne répondent plus à aucune logique statistique, politique ou autre. Tea Party est le spectre d’une Amérique qui n’existe plus ou d’une Amérique qui n’a jamais existé que dans l’un ou l’autre pli de l’American Dream ; en même temps, Tea Party est l’archétype de ce que devrait être l’Amérique selon ses principes radicaux originels et, par conséquent, le seul modèle qui puisse être envisagé, qui semble avoir assez de force pour briser le cycle infernal de la crise. Tea Party n’existe pas tel qu'il est perçu et il est peut-être une mystification, mais tout se passe comme s’il existait pourtant aux dimensions qu’on dit. Comme Tea Party n’est rien de véritablement important en soi du point de vue politique classique, rien d’une substance vraiment identifiable, cette obsession de lui qui domine la campagne électorale devient un facteur essentiel qui n’a plus de réel lien avec ce qu’est véritablement Tea Party. Mais c'en est au point où l'on ferait l'hypothèse que Tea Party pourrait lui-même succomber à sa propre influence, et se radicaliser encore par rapport à ce qu'il est, pour correspondre à l'image que l'inconscient psychologique US a fait de lui.
En un sens, on pourrait dire : qu’importent les élections et leurs résultats parce que l’obsession Tea Party est en train de dépasser Tea Party et emmènera l’Amérique sur la voie de Tea Party. (Sur les élections elles-mêmes, il faut signaler un article du Daily Telegraph de ce 22 octobre 2010, où le journal britannique pronostique un “ouragan” Tea Party sur Washington, décrivant des candidats soutenus par Tea Party ou se ralliant à Tea Party, qui répondraient complètement aux consignes, ou consignes supposées du mouvement, et seraient capables de complètement déstructurer, à l’avantage de Tea Party, le fonctionnement du Congrès. Le Telegraph estime que Tea Party formera un “bloc” d’au moins 100 élus, qui répondront aux consignes de Tea Party et se conduiront de facto comme membres d’un troisième parti : «According to analysts, there are 138 Republicans with Tea Party links running for Congress, 129 vying for seats in the House of Representatives and nine in the Senate.» Ces prévisions rejoignent celles qui ont déjà été enregistrées, – voir notre Bloc-Notes du 16 octobre 2010.)
Quelles sont les perspectives dans ce climat ? Si effectivement Tea Party intervient dans les structures législatives d’une façon marquantes, les conséquences seraient évidemment radicales et ne pourraient être acceptés par les groupes opposés à ces tendances. Dans la mesure où le gouvernement central serait encore plus paralysé qu’il n’est aujourd’hui, où le Congrès serait devenu “ingouvernable” et totalement polarisé, la logique de la déstructuration effective du pays serait en marche, – c’est-à-dire la division, la parcellisation, dans un pays dont on sait que la faiblesse fondamentale est justement cette absence d’unité et de cohésion organiques à cause de l’existence des Etats de l’Union et de l’absence d’un Etat central de caractère régalien.
Mis en ligne le 22 octobre 2010 à 05H46