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100212 juin 2010 — Depuis 24 heures, les relations entre les USA et le Royaume-Uni, un peu moins “special relationships” qu’à l’habitude, ont pris un tour un peu délicat. BP, soutenu par la sacro-sainte City, a lancé une offensive décidée auprès du gouvernement Cameron-Clegg pour avoir son soutien face aux attaques de plus en plus violentes contre lui aux USA, – à cause de la catastrophe de la station Deepwater Horizon. Le “oil spill” progresse et se transforme en une catastrophe environnementale et économique majeure, peut-être la pire crise multiforme (mélangeant des domaines très différents à partir d’une catastrophe systémique issue de la confrontation entre technologie et environnement) qu’ait connue le monde depuis que cette sorte d’événement peut être envisagé dans tous ses composants et ses effets. Ainsi essaime-t-elle dans tous les sens, d’une façon absolument incontrôlable, exposant la logique déstructurante interne des crises majeures qui sont happées dans la logique du système après en avoir montré les tares.
La presse britannique, elle, est brutalement lancée sur la piste d’une éventuelle crise des “special relationships” tandis que les dirigeants britanniques sont précipités dans la tourmente.
• The Independent du 12 juin 2010 écrit :
«As scientists served cruel notice that more than twice as much crude oil than previously thought may have been leaking from the sea bed in the Gulf of Mexico, the BP oil crisis was threatening last night to overwhelm the so-called “special relationship” between Britain and the United States.
»David Cameron will telephone President Barack Obama this morning in a risky attempt to heal the rift. He is unlikely to find a sympathetic ear, however. Mr Obama will offer no apologies for his harsh treatment of BP. Any whining by British political leaders – or by BP – will not be well received, White House aides indicated.
»Rather, anger at BP in the United States is intensifying. Scientists with the US Geological Survey said they were raising drastically their top estimate of the volume of oil that was escaping prior to the current siphoning effort to 40,000 barrels a day, twice its previous high estimate. Thad Allen, the US point man on the response, said BP would not be ready to collect that quantity of oil at least until mid-July. “This is a nightmare that keeps getting worse every week,” said Michael Brune, executive director of the Sierra Club, America's most influential environmental lobby group…»
• Le Times de Londres (le 12 juin 2010) indique les conditions où BP, avec son président qui apparaît sur le devant de la scène parce qu’il est en train de risquer sa carrière s’il ne réagit pas plus qu’il n’a fait jusqu’ici, est intervenu auprès du gouvernement. (Ce président, le curieusement suédois, globalisation oblige, Carl-Henric Svanberg.) BP est vraiment un gros morceau, que le gouvernement UK ne peut pas ne pas défendre … «In a dramatic day for the company, its chairman, Carl-Henric Svanberg, met the Chancellor George Osborne and spoke by phone with David Cameron to discuss the Gulf of Mexico spill. Aides said that the meeting, which came hours before the Prime Minister was due to discuss the disaster with President Obama today, had been “constructive”. A spokesman said that Mr Cameron was frustrated and concerned about the spill but threw his weight behind BP, “an economically important company”.»
• Du côté UK, il y a deux voix, qui sont celles des deux compères de la coalition. Cameron est conciliant, le libéral démocrate Clegg le semble juste un peu moins, selon la présentation qu’on fait de ses déclarations. Le Daily Telegraph met l’accent, ce 12 juin 2010, sur le côté “musclé” d’une intervention de Clegg… «Nick Clegg suggested that Barack Obama was engaged in a “tit for tat diplomatic spat” by employing anti-British rhetoric over the BP oil disaster. The Deputy Prime Minister made his remarks after the US president declared earlier this week that he was looking for “some ass to kick” following BP’s persistent failure to plug the Gulf of Mexico oil leak. […]
»Business leaders have criticised the Prime Minister’s failure to demand that Mr Obama tone down his antagonistic statements. The president has described the company as “British Petroleum,” a name it has not used for years.
»Asked about Mr Obama’s suggestion that he would like to be able to sack Mr Hayward, Mr Clegg said: “I don’t frankly think we will reach a solution to stopping release of oil into the ocean any quicker by allowing this to spiral into a tit for tat political diplomatic spat. “I’m not going to start intervening in a debate which clearly risks descending into megaphone diplomacy.” His words, during an official visit to Madrid, highlighted the continuing reticence of Mr Cameron over what has come to be seen as the first test of the “special relationship” of the Coalition….»
• Reste la voix du “bon sens” bien de notre temps. Elle vient de l’Américain Michael Tomasky, chroniqueur au Guardian, ce 11 juin 2010. Tomasky est un libéral un peu neocon, très globalisant, l’esprit plein de “valeurs” universelles et postmodernistes, très persuadé que l’alliance UK-USA est le pilier de la civilisation dont chaque jour nous montre la florissante réussite. Tomasky ne croit pas à un sentiment anti-anglais aux USA parce que, comme chaque sait, British Petroleum (souligné dans la voix du président africain-américain Obama) n’est nullement British, mais international. Par conséquent, rien d’anti-britannique là-dedans.
«I take it the problem, which I confess my jaded ears hadn't even registered, is that Obama keeps saying “British Petroleum” instead of BP. The conservative Canadian-American commentator David Frum, surveying the UK's conservative press, espies “an attempt to mobilise American nationalism against Britain in order to evade political blame for the disaster”. Well, I suppose that could be. We have established in the past – the slighting of Gordon Brown, the removal of a Churchill bust from the Oval Office – that Obama seems not to be an Anglophile. I want to stipulate that I'm totally guessing here, but I suspect this diffidence (if it's real, which we don't really know) has something to do with the fact that Obama's roots are Kenyan. Which country colonised Kenya? Ah. This is the kind of thing that happens when white Anglo-Saxon hegemony is interrupted and you let people into the club whose forebears saw history from the other side. Deal with it.
»But really. This is mostly a rightwing talking point, just another item in an endless list of grievances that begins with accusations of Hitlerism and runs to the idea that he can't put together two sentences without a teleprompter. Obama may have mixed feelings about the UK, but he surely doesn't hate it. And there is no broad anti-British sentiment in the US. There is anti-BP sentiment. And well there ought to be….»
@PAYANT Cet aspect de la crise, aspect purement politique sur le fond, ne cesse de mastiquer sa maturation depuis des semaines. Le “bon sens” de Tomasky n’y peut rien parce que c’est un “bon sens” postmoderniste qui tient la globalisation comme un fait de nature alors qu’il s’agit d’une construction du type usine à gaz qui n’a laissé aucune marque dans la psychologie, sinon celle d’accentuer notre pathologie générale. BP serait-il détenu à 150% par les Iraniens, les Nord-Coréens et les Vénézuéliens (50% chacun) que cette société continuerait à “sonner” britannique, à cause de l’histoire, de la tradition, du nom. Le système en général ne change rien à la perception instinctive et le système de la communication se charge, à contre-sens des intérêts du système général, d’exacerber cette perception rien qu’en la véhiculant, même s’il la véhicule en disant qu’elle est infondée (ce qui, au reste, est loin, très loin d’être le cas général).
Par conséquent, crise USA-UK il y a, et tant pis pour Tomasky. Et crise singulière, surtout du côté UK. On y voit le comble d’un Premier ministre conservateur attaqué par la City ultra-conservatrice et pro-américaniste pour se montrer trop conciliant avec les USA, et l’autre comble de la droite nationaliste atlantiste et pro-américaniste proclamer la défense des intérêts nationaux britanniques, – mais nullement contre l’Europe, comme à l’habitude, mais contre l’hypocrisie US et son président de plus en plus suspect de n’être pas blanc comme neige (une image). Tout cela pour BP, qui, paraît-il, dixit Tomasky, n’a rien de britannique. Tant pis pour la globalisation qui, aujourd’hui et pour l’occasion, importe fort peu à la City, chantre du libéralisme extrémiste et globalisant mais protectrice du “British” de BP contre les cousins anglo-saxons devenus pour l’occasion les créatures grossières de la sous-culture d’Outre-Arlantique. Nick Clegg, le libéral-démocrate qui dénonça la guerre contre l’Irak, est à peu près aussi modéré que Cameron mais ne résiste pas à la tentation de glisser l’une ou l’autre pique anti-Obama, ce qui lui vaut les applaudissements implicites du Daily Telegraph, le quotidien néoconservateur “à-la-british” qui soutint avec enthousiasme la guerre blairiste contre l’Irak. Même une chatte aussi douée que Sherlock Holmes aurait du mal à retrouver ses petits divers.
Tout cela n’est qu’une comédie de plus engendrée par l’immense désordre de la crise du système de l’idéal de puissance, crise née, pour la phase de la structure crisique qui nous arrête ici, au fond du Golfe du Mexique pour nous démontrer les dévastations d’un système qui est capable de détruire avec autant d’alacrité l’environnement naturel du monde que les arrangements artificiels de son idéologie planétaire et hyper-libérale. Cela ne signifie pas un renversement d’alliance, cela signifie que le désordre continue à progresser.
Du côté US, BHO est piégé dans ses habituelles contradictions. Ses partisans le pressent d’exprimer une colère qui changerait de son tempérament retenu et plairait à l’électeur, et il exprime son humeur avec tout l’éclat possible de la frustration contre BP, surtout pas contre le système de l’américanisme. Pourtant BP, qui n’est pas britannique, fait parfaitement partie du bloc américaniste-occidentaliste et de la globalisation qui va avec. D’ailleurs, les adversaires de BHO lui reprochent de ne pas réagir dans le bon sens qui serait d'accélérer les forages en haute mer et par très grande profondeur, pour résorber le chômage, et puisqu’il est par ailleurs prouvé que rien n’est prêt pour contenir une catastrophe dans cette sorte d’activité si risquée. D’ailleurs (suite), d’autres “amis” de BHO, CNN en l’occurrence, lui conseille a contrario (le 8 juin 2010) de ne pas trop montrer sa colère parce que le “Angry Black Man” risque d’effrayer l’électeur blanc de peau, qui n’est pas raciste comme l’on sait (il a élu BHO), mais tout de même… Même un philosophe postmoderniste aurait du mal à boucler son prochain best-seller à la gloire de la civilisation américaniste-occidentaliste et de la globalisation qui va avec.
Ce n’est pas de la politique, c’est de la bouillie pour les chats, même type-Sherlock Holmes. Il n’empêche, cela ajoute une nouvelle dimension de désordre et de tension dans cette crise colossale, qui ne cesse de mettre à vif les nerfs des citoyens américains. Il y a en effet une dimension psychologique de grande émotion, de colère et d’angoisse, y compris chez les commentateurs du système, pourtant habitués aux tensions de l’information, qui ont été sur place et qui en reviennent révulsés et bouleversés par le spectacle apocalyptique de la catastrophe de cette mer superbe devenue une marée opaque et huileuse. (Voir et lire les réactions d’un James Carville ou d’une Rachel Maddow.)
Tout cela ne fait qu’accentuer l’angoisse en général inconsciente et inexprimée mais qui affleure en ce moment avec une force extraordinaire, à mesure des forces de destruction que ce système en folie déclenche sans pouvoir les contrôler, et dont on découvre les effets de destruction du monde. Les effets de ces émotions profondes, au niveau politique comme entre USA et UK, sont fortement renforcés d’une telle charge émotionnelle. La raison utilisée pour justifier et protéger les arrangements à l’intérieur du système, pour conserver l’ordre existant qui montre tant de vertus, a bien du mal à ne pas céder à ces pressions de la psychologie.
Par conséquent, on ne doit rien prévoir de vraiment dramatique entre USA et UK à cet égard, sauf ce qui peut échapper au contrôle des uns et des autres. Cela laisse pas mal de champ pour les aventures impromptues.
On ne peut qu’être à la fois admiratif (en connaisseur, sans joie particulière) et stupéfait devant la vigueur et l’imagination de cette crise colossale, qui évolue comme si elle avait sa propre autonomie, qui semble suivre une tactique d’aggravation systématique en multipliant contrepieds et surprises, qui trouve à chaque instant un nouveau thème pour lancer un nouvel axe de crise, chaque axe ne remplaçant pas le précédent mais s’y rajoutant. Tous les aspects du système sont ainsi passés en revue et précipités dans une crise qui lui est propre. Toutes ces crises sont ajoutées les unes aux autres, constituant une structure crisique elle-même, qui vient s’insérer dans la structure crisique générale, comme une nouvelle branche d’un arbre qui a bien d’autres branches, et cette nouvelle branche générant de son côté diverses autres branches qui lui sont propres.
Le point le plus remarquable est qu’il devient impossible de trouver un coupable, un responsable, une victime qui ne soit que cela, – sinon, aux deux bouts de cette chaine catastrophique, la victime générale qu’est l’environnement de notre univers et la nature saccagée, et le coupable général du choix de l’exploitation des ressources naturelles du monde pour satisfaire notre choix initial de la thermodynamique pour développer une civilisation de puissance et une économie de force. Entre ces deux pôles métahistoriques évidents, un amoncellement d’acteurs divers, à la fois innocents et responsables, à la fois coupables et irresponsables, chacun étant le bouc émissaire de l’autre, chacun articulant des arguments contradictoires dont aucun n’est pourtant contestable.
Le Big Oil est responsable mais qui le favorise depuis toujours sinon la puissance publique qui le dénonce aujourd’hui et entend avoir son scalp, ou à tout le moins le scalp de l’un de ses membres, pour remporter les élections de novembre prochain ? Les habitants de la Louisiane et les vacanciers de la Floride sont les victimes mais qui, sinon eux, élisent des hommes politiques qui reçoivent des prébendes du Big Oil et font partie des plus gloutons utilisateurs de pétrole de la planète? La globalisation répudie avec fureur le nationalisme et le chauvinisme mais que font aujourd’hui ces partisans inconditionnels de la globalisation que sont la City et Washington D.C. sinon de faire assaut de nationalisme et de chauvinisme ? Et ainsi de suite, dans un tourbillon où il n’y a plus ni queue ni tête, où il n’y a plus ni commencement ni fin, où le système de la communication élaboré pour protéger d’une image conquérante et vertueuse le système du technologisme qui pousse à fond le mythe de l’“or noir” est aujourd’hui le principal véhicule des dénonciations de ce système du technologisme et de l’exploitation de l’“or noir”.
“A perfect storm” avait dit certains, pour qualifier cette crise tapie par 1.500 mètres au fond du Golfe du Mexique. La tempête a mis du temps à crever la surface mais elle est effectivement proche d’être “parfaite”. Et elle va durer encore des mois et des mois, et peut-être plus si BP rate ses épuisantes opérations de colmatage. D’ailleurs, y réussirait-il, BP, que plus personne ne le croirait, tant BP nous a baladés jusqu’ici, avec l’active complicité de Washington D.C., de la City et du système de la communication, tous ceux-là qui s’entredéchirent à belles dents. “Discorde chez l’ennemi” ? Sans aucun doute, mais une discorde qui commence à ressembler à un désordre du crépuscule d’une illusion qui avait la prétention de remplacer l’Histoire, pour être Histoire elle-même.