L’ombre de Kadhafi

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La thèse-Système classique est que la mort de Kadhafi constitue un point d’orgue triomphal pour une campagne, notamment orchestrée avec maestria par l’OTAN. N’insistons pas sur l’ignominie évidente de cette appréciation, qui n’a rien à voir, ni avec Kadhafi, ni avec ses crimes extrêmement supposés, ni avec les affaires libyennes et la campagne qui fut organisée depuis mars dernier. D’une façon plus fondamentale, ce jugement concerne la chute accélérée du bloc BAO et de ses organismes d’exécution qui entraîne avec elle toutes les notions de “valeurs”, fussent-elles perverties comme elles le sont par le Système, pour servir de faux nez au Système. L’OTAN n’est même plus un faux nez, comme elle le fut pendant un demi-siècle. Elle est devenue, visage découvert, un système anthropomorphique d’exécution de basses œuvres, un système anthropomorphique d’“exécutions organisées” comme on dit “crime organisée”. La Libye lui sera donc fatale, comme son avenir devrait le montrer. Toute la vertu de l’OTAN était dans le mot “organisation”, et l’Organisation est destinée à tanguer désormais comme un bateau ivre en cours de désorganisation accélérée, à mesure que ses membres les plus puissants s’enfoncent dans des troubles civils profonds, – les USA en tête, et à une vitesse tout à fait remarquable.

Bien à propos avec la mort de Kadhafi, Russia Today dresse (ce 20 octobre 2011) un bilan des pertes civiles de tous ordres causées directement ou indirectement par l’action de l’OTAN. On sait que l’OTAN fut engagée en Libye pour protéger les civils et faire cesser les “crimes humanitaires” qui y étaient prétendument causés (voir à nouveau la référence déjà indiquée, concernant le film La guerre humanitaire). Voici un extrait du texte de RT.

«However, the largest single incident came on August 9, when the government reported that 85 people had been killed in a NATO airstrike on Majar, a village some 90 miles east of Tripoli. Speaking after the attack, the alliance’s commander in Libya, Lieutenant General Charles Bouchard, told Agence France-Presse (AFP), “I can assure you that there (were not) 85 civilians present, but I cannot assure you that there were none at all.” However, Bouchard’s ambiguity does not appear to be a mistake. Speaking with McClatchy news service, NATO spokesman Col. Roland Lavoie said, “NATO does not have any troops on the ground in Libya and consequently no reliable method to verify the civilian casualty allegations.”

»But while NATO can claim to deny everything it can’t confirm, the inability or unwillingness to count civilian deaths cuts both ways. In a telephone call to Reuters on September 19, Moussa Ibrahim, a spokesman for the deposed Libyan leader, claimed that “in the last 17 days, more than 2,000 residents of the city of Sirte were killed in NATO air strikes.”

»However true his assertion might be, with hospitals, commanders on both sides of the conflict and local officials forming the basis for most of the casualty reports, the world might never get a clear picture of what exactly happened in the eight-month civil war that ended with the killing of Muammar Gaddafi on Thursday.

»Perhaps more critically, a nation which had a remarkably high standard of living prior to the conflict now faces a potentially massive humanitarian crisis. Speaking with RT earlier this week, former MI5 agent Annie Machon claimed NATO’s intervention has plunged Libya back into the Stone Age. “They’ve had free education, free health, they could study abroad. When they got married they got a certain amount of money. So they were rather the envy of many other citizens of African countries. Now, of course, since NATO’s humanitarian intervention the infrastructure of their country has been bombed back to the Stone Age. They will not have the same quality of life. Women probably will not have the same degree of emancipation under any new transitional government. The national wealth is probably going to be siphoned off by Western corporations. Perhaps the standard of living in Libya might have been slightly higher than it perhaps is now in America and the UK with the recession,” she said.

Maintenant, la mort, ou l’“exécution” de Kadhafi. Laissons à d’autres le développement de la thèse-Système triomphante et voyons celui de la thèse critique, que nous irons chercher, conscient des délices des contradictions à l’intérieur du Système, sur le site DEBKAFiles, que l’on sait proche du Mossad israélien. Tout comme l’a fait officieusement la direction israélienne, DEBKAFiles n’a pas cessé de soutenir la faction Kadhafi dans cette affaire libyenne. Son commentaire de la mort de Kadhafi continue bien entendu dans ce sens, en affichant une version extrêmement critique, notamment dans ses prévisions des effets sur la situation en Libye. (Voir DEBKAFiles, le 20 octobre 2011.)

Le site rapporte les trois versions possibles de la mort de Kadhafi, lors d’un déplacement en convoi, pour retraiter de Sirte : blessé aux deux jambes lors d’une attaque, quittant tant bien que mal le lieu de l’attaque puis se tirant une balle dans la tête pour ne pas être fait prisonnier ; victime d’une attaque aérienne de l’OTAN ; blessé aux jambes et achevé par les rebelles. Dans tous les cas, estime DEBKAFiles, il s’agit, aux yeux de nombre d’opinions publiques arabes, d’une mort héroïque, au combat, avec tout le potentiel de sympathie que cela suppose.

Il semble qu’un film diffusé par une station télévisée arabe entérine la troisième version (Kadhafi assassiné par les rebelles). The Independent signale, le 19 octobre 2011, que Amnesty a demandé une enquête sur la mort de Kadhafi. Le ministre britannique des affaires étrangères Hague a admis cette version et ne lui a pas vraiment trouvé de vice détestable, jugeant au contraire que c’était un bon départ pour la démocratie libyenne et radieuse, – confirmant en cela l’esprit de la croisade rapidement défini ci-dessus, avec le rôle de l’OTAN. Voici la leçon de morale démocratique et expéditive du ministre : «We would have preferred him to be able to face justice at the International Criminal Court or in a Libyan court for his crimes. We don't approve of extra-judicial killings. At the same time we are not going to mourn him – this and the fall of Sirte and Bani Walid is a major opportunity for Libya to be able to move on to what they've fought for all this year, into a free and democratic future.»

Le site israélien DEBKAFiles juge d’une façon générale que la mort de Kadhafi, dans les conditions qu’on devine même si l’on n’est pas assuré de toutes les précisions, aura des répercutions très défavorables, notamment sur la situation en Libye.

«Qaddafi's death may end NATO's military campaign in Libya, but it is far from ending the Libyan war. The barbaric treatment of his body in Misrata is a shocking omen of the bloody conflict to come. […] For the rebel forces, Qaddafi's capture or death is a major psychological and political triumph. However, Libya remains bitterly polarized between pro- and anti-Qaddafi factions with scores of rival militias and hundreds of tribes at each other's throats. Qaddafi's demise rather than promoting unity and ending the conflict could trigger wider civil bloodshed.»

Il faut observer que ces prévisions rencontrent certaines opinions pessimistes dont nous nous étions faits l’écho, bien sûr, bien avant qu’il soit question de la mort effective de Kadhafi. Dans ce cas, ces sources étaient d’origine européenne, et même des instritutions européennes, c’est-à-dire des sources en théorie favorables aux rebelles et hostiles à Kadfhafi. Nous écrivions ainsi, le 8 octobre 2011 :

«La situation intérieure, du point de vue politique, entre les différentes tendances “rebelles”, est extrêmement fluide et incertaine. L’un des thèmes favoris de la propagande BAO (franco-britannique et otanienne) était qu’une fois la résistance des kadhafistes vaincue, voire Kadhafi neutralisé d’une façon ou d’une autre, la situation politique se stabiliserait et le processus de “reconstruction” se mettrait en route. Selon les sources citées, c’est exactement le contraire qu’on risque de connaître : les combats maintenant encore une certaine unité opérationnelle de façade, on pourrait craindre des affrontements internes très violents lorsqu’ils seront terminés. Ainsi le colonel Kadhafi reste-t-il utile à son pays puisque sa résistance semble être le facteur qui empêche encore de sombrer définitivement dans le chaos... Les divisions se manifestent de façons diverses, y compris à l’intérieur des différentes factions. Par exemple, si certaines autorités du CNT, des ministres et leurs proches essentiellement, sont à Tripoli, une partie importante de leurs bureaucraties, avec d’autres dirigeants, est restée à Benghazi. L’on y distingue la formation subreptice d’un véritable centre de pouvoir concurrent, avec la possibilité d’éventuellement créer à Benghazi un pouvoir formel concurrent du CNT lui-même.»

De toutes les façons, l’affaire libyenne s’achève pour sa phase active à propos de Kadhafi, par le “triomphe” habituel du bloc BAO dans le montage faussaire, l’assassinat et les pertes civiles aveugles, la déstructuration du pays lui-même dans le mode désormais coutumier de la contre-civilisation. Comme dans tous les cas précédents, on peut certainement monter un dossier bien peu favorable du régime abattu, mais on dispose au moins d’une certitude absolu qui est que les nouvelles conditions seront pires que les précédentes. De toutes les façons, l’OTAN et le bloc BAO peuvent effectivcement savourer leur victoire-Système et en faire durer le goût le plus longtemps possible, car c’est la dernière campagne de cette sorte qu’ils s’offriront au nom de leur contre-civilisation.

Le bloc BAO n’est plus qu’un bloc décrépit, dont l’effondrement se poursuit à un rythlme roboratif, et dans de nombreux domaines, – pas seulement l’économie et les finances, qui sont la crise de prédilection que toutes leurs directions politiques ont toujours cru pouvoir maîtriser. Désormais, les situations intérieures européennes et américanistes sont d’une gravité similaire, et évoluent parallèlement dans leurs chutes. Les moyens se raréfient à une rapidité extraordinaire et les changements politiques qui se manifesteront l’année prochaine, à l’occasion d’élections importantes (notamment en France et aux USA), entérineront sous les coups de boutoir de la crise l’effacement accéléré des capacités militaires expansionnistes, autant que la volonté de les effectuer, avec en plus un blocage décisif des pays émergents (notamment du bloc BRICS) contre de telles entreprises. La campagne de Libye a marqué le chant du cygne des prétentions universalistes du bloc BAO, qui tient désormais le rôle leader de la crise d’effondrement du Système. Le chant du cygne était à mesure de la valeur profonde de cette entreprise, qui est passé du faux masque de la civilisation (la contre civilisation) à l’entreprise de criminalité organisée internationale.


Mis en ligne le 21 octobre 2011 à 01H18