L’omelette norvégienne du JSF, avec cassage d’œufs garanti

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L’affaire de la commande de 48 JSF par la Norvège, annoncée avec à-propos le 20 novembre dernier et commentée diversement depuis, commence à provoquer des vagues, ou à casser des œufs c’est selon. Il est probable que ce n’est qu’un début, tant cette affaire est à classer dans les initiatives d’urgence imposées par les pressions US pour tenter de renforcer le dossier du programme JSF qui entre dans les eaux agitées, – là aussi, – de la transition vers une administration Obama.

Le principal remous est un communiqué de SAAB, le candidat suédois malheureux du JSF avec son Gripen JAS39 Nouvelle génération (NG), en date du 10 décembre. Les précisions données par SAAB, qui a été informé le 4 décembre par la partie norvégienne des conditions de la sélection du JSF et de l’élimination du Gripen NG, reflètent une profonde incompréhension, parfois proche de la stupéfaction. On résumera la chose par le constat fait par SAAB pour résumer l’évaluation faite par les Norvégiens du Gripen NG, qu’il semblerait parfois, et même souvent, très souvent, qu’il s’agit “d’un autre avion” («The arguments put forward seemed to have very little, or no, establishment in the preceding procurement process. It sounded like the description of another aircraft.»). Pour résumer le propos, SAAB estime que l’évaluation norvégienne de l’estimation des coûts du GripenNG comprend 20% de faits fournis par SAAB, le reste étant sorti de l’imagination de l’équipe Norvège-JSF, – car effectivement il semble que la Norvège et le JSF aient travaillé en équipe, avec l’excellent esprit qui va avec. («It is Saab's assessment that only 20% of the Norwegian evaluation committee's cost estimates are based on the facts presented.»)

On trouve d’autres perles dans la communiqué de SAAB, qui exsude l’incomparable stupéfaction éprouvée par les Suédois devant les techniques utilisées et les démarches suivies.

• Par exemple, cette remarque que si la Suède avait offert, gratuit, cadeau, les 48 Gripen NG à la Norvège, le choix de la Norvège, selon les calculs fournis par les Norvégiens sur le coût total d’emploi et d’utilisation de l’avion, aurait été encore favorable au JSF. («If the estimates are correct it would be cheaper for Norway to obtain JSF, even if Sweden would have developed and given 48 Gripen Next Generation (NG) as a gift to Norway. It should be unreasonable.»)

• Il y a d’autres gâteries diverses, mentionnées précisément par SAAB; il s’agit d’initiatives arbitraires de l’équipe norvégienne de sélection, qui dépend de la force aérienne royale norvégienne; la consommation des Gripen NG a été augmentée arbitrairement, le calcul du coût d’emploi a été porté à 35 années d’emploi au lieu de 25, comme spécifié, les pertes d’attrition ont été évalué à 24 avions sur 48 en 35 ans, ce qui ne correspond à aucune donnée statistique de SAAB…

«The number of aircraft has been changed from 48 to 58 and the operational life cycle has been extended from 25 to 35 years. These are two entirely decisive new conditions for the calculation. That these calculations to a large extent have been conducted without dialogue is most unusual and has Contributed to an incorrect picture of the alternatives. […] Our estimated value of fuel consumption is based on experience from 120,000 flight hours with Gripen. Even though the Norwegian specification requirements or seeks lowered fuel consumption, the evaluation committee chooses to raise the values we have provided, adding further additional costs. […] The cost for replacing aircraft is part of the estimation, with the assumption that almost half of the aircraft fleet will crash in 35 years. This is completely unfounded if applied to Gripen's statistics. This also adds further billions to the calculation.»

Auparavant, le 6 décembre, le site defense-aerospace.com de Giovanni de Brigandi avait obtenu des précisions de différentes sources, norvégiennes et US notamment, sur le prix que les Norvégiens auront (auraient) à payer en 2014, quand le contrat sera signé. Ces chiffres ont également une tonalité très surréaliste, sinon caoutchouteuse, à l’image des montres que Salvador Dali avait l’habitude de peindre.

Un exemple parmi divers autres des étranges inconsistances chewing-gumesques (autre qualificatif possible) de l’évaluation du prix du JSF:

«For example, the $2.57 billion figure widely quoted as the cost of the 48 aircraft is wrong because it is based on the wrong exchange rate. Maj. Jarle Ramskjaer, head of information for the Norway’s Project Future Combat Aircraft Capability office, told defense-aerospace.com Dec. 2 that Lockheed Martin’s price is based on a January 2008 exchange rate.

»Using this rate (5.5 Norwegian kroner to the dollar), the JSF’s 18 billion kroner cost works out to $3.27 billion, or $68.12 million per aircraft, substantially higher than the $54 million (wrongly based on Nov. 2008 exchange rates) unit price that was widely reported.»

Le prix véritable du JSF serait de $68,1 millions par unité? Nous dirions que c'est le prix par mauvais temps, le prix par beau temps, pour les vacances, restant de $54 millions. Qu'importe, d'ailleurs. On verra lorsqu’il sera bien temps de voir. En attendant, le prix du JSF de l’USAF à la même époque de la signature du contrat avec la Norvège (FY2013 pour le Pentagone) est officiellement présenté par le Pentagone à $107,8 millions par unité. Comme nous l’avons toujours dit, le Pentagone et Lockheed Martin favorisent les pays étrangers contre les intérêts US.

Enfin, reprenons notre souffle. Cette pantalonnade norvégienne, du type “on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs”, est un peu trop grotesque pour ne pas être vraie. Elle signale un cas massif de panique caractérisée, qui affecte évidemment le camp JSF comprenant la partie du Pentagone impliquée et Lockheed Martin. Le JSF vit désormais dans le très court terme et en état de siège. L’essentiel est de faire durer et de faire croire, pendant quelques mois, que le programme se déroule bien et avec succès, et qu’il implique des pays étrangers comme prévu, au prix prévu et à la satisfaction de tous. Les stratèges PR de Lockheed Martin et du JSF Office au Pentagone ne calculent effectivement qu’à quelques mois et rien de plus, parce qu’ils n’ont qu’une seule préoccupation pour l’instant: imposer le JSF dans la planification de l’administration Obama sans condition agaçante (comme une revue du programme). Pour cela, il faut, d’un côté, se débarrasser du F-22, de l’autre s’assurer de quelques commandes bidon qui n’ont besoin de tenir, elles aussi, que quelques mois, un peu plus d’un an, en l’état. L’essentiel est de présenter l’apparence d’un programme JSF flambant neuf pour imposer son inclusion dans la programmation de l’administration Obama. Au-delà, c’est l’inconnu, mais l’équipe du programme JSF se fout de l’au-delà et elle n'a jamais été présentée à l'inconnu; elle est bien assez occupée à contenir pour les deux prochains trimestres les divers scandales qui caractérisent ledit programme.

Le marché avec la Norvège ne tiendra effectivement que ce laps de temps, un ou deux ans au maximum, d’ici à ce que l’équipe qui a fait la sélection ait disparu et que les premières réalités des conditions d’acquisition se précisent pour le gouvernement en place, et éventuellement le Parlement. Cette chose (dito, le programme JSF) est le fidèle miroir de la situation américaniste et de l’état des relations transatlantiques, où il faut placer l’affaire, ainsi que des pratiques industrielles et bureaucratiques diverses. Le personnel norvégien correspondant, notamment les divers généraux qui vont bien, appartiennent de toutes les façons à la connexion USA-OTAN, ce qui suffit à répondre d’une vieille fidélité, dans tous les cas pour les mois qui viennent.

Sérieusement, – il importe de noter l’intensité du climat qui pousse à de telles pratiques. Cette intensité monte à mesure que se précisent les pressions pour des réformes, voire une “pause stratégique” pour passer en revue les grands programmes et la planification du Pentagone. Si le JSF était soumis à une telle revue, pratiquée par des auditeurs indépendants comme le GAO et le Congressional Budget Office, l’énorme pétard exploserait sous nos yeux ébahis.


Mis en ligne le 12 décembre 2008 à 13H00