L’étrange duo Poutine-BHO

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L’étrange duo Poutine-BHO

Le 15 avril, le conseiller à la sécurité nationale du président Obazma, Thomas Donilon, apportait à Poutine une lettre personnelle du président US. Le président russe va répondre incessamment à cette lettre, annonce Russia Today le 15 mai 2013, et la réponse sera apportée à Washington, pour être remise en mains propres à Obama par le conseiller pour les questions de sécurité nationale du président poutine, Nikolaï Patrouchev, le 20 mai. Le texte cité ne s’en tient certainement pas à cette nouvelle d’assez peu d’intérêt en elle-même, sinon pour détailler la réciprocité minutieuse donnée à cet échange.

Le texte rapporte en effet les révélations de Kommersant sur le contenu de la lettre d’Obama à Poutine, y ajoutant certains commentaires reflétant l’état d’esprit de la direction russe.

«The exact content of the personal message from Obama to Putin remains secret, but Russia’s Kommersant daily has learnt the main topics of the letter. The central idea... [...] is that the two great states should not waste time on insignificant quarrels and concentrate on global issues. That is why the letter does not even mention such troubling matters as the Magnitsky List, Russia’s so-called Foreign Agents law and the matters of Russian citizens jailed in the US on controversial accusations. Instead, Washington proposes that Moscow focuses on managing strategic issues and the Obama administration is full of determination to reach a number of breakthrough agreements this year.

»Reportedly, Obama proposes to sign a mutual legally binding agreement that would make American and Russian missile defenses transparent to each other to ensure that the countries are not planning aggressive moves against each other. According to Interfax, Obama can sign such agreement without approval from Congress, but that would make the document highly time-sensitive: it would be valid as long as Barack Obama remains in office – and not a minute longer.

»The American president also proposed further denuclearization of the US and Russia, following the Measures to Further Reduction and Limitation of Strategic Offensive Arms treaty signed on 8 April, 2010, by Obama and then-President Dmitry Medvedev. Obama’s letter also contains some sort of proposals aimed at strengthening economic ties between Washington and Moscow. The Obama administration proposed to establish a new consultation body on a ‘US vice-president – Russian PM’ level to achieve this economic objective, Kommersant reported.»

La proposition d’Obama, c’est-à-dire l’“esprit” de la chose puisqu’il y a en fait plusieurs volets et objets spécifiques dans la proposition, est remarquable d’originalité. Elle reflète parfaitement une situation elle-même remarquablement originale : la totale paralysie du président dans certains domaines, pour établir des décisions engageant réellement les USA. Son affirmation qu’il faut laisser de côté les “querelles insignifiantes” pour se concentrer sur les problèmes fondamentaux est complètement juste dans l’absolu de la théorie, et complètement fausse dans la réalité des relations entre les deux puissances. L’époque que nous vivons, qui est celle de la toute puissance du système de la communication, de la crise d’effondrement du Système, du déploiement de nouvelles techniques antagonistes comme l’“agression douce”, cette époque-là est faite quasi entièrement de ces “querelles insignifiantes” qui règlent tout ... Nous avons largement observé ce problème, cette nouvelle sorte de relations, que ce soit spécifiquement entre les USA et la Russie (voir le 22 janvier 2013 et le 4 février 2013), que ce soit d’une façon plus générale, avec l’autre exemple de la Russie et de l’Allemagne (voir le 8 avril 2013).

En fait, les “querelles insignifiantes” conduisent Obama à proposer à Poutine une sorte de “marché personnel”, basé essentiellement sur la confiance personnelle entre deux hommes. D’une part, bien sûr, il y a la limitation dans le temps qui constitue en soi un problème inédit, d’ailleurs bardé lui-même d’impondérables. (Notamment celui-ci : que va devenir la position d’Obama à Washington si les scandales qui s’abattent sur lui, – on nomme déjà cela Scandalgate, – se développent et prennent l’allure d’un fardeau et d’une menace insupportables, sorte de “néo-Watergate” ?) D’autre part, il y a la question de savoir si Obama aura assez de pouvoir pour imposer aux bureaucraties concernées les mesures de régulation et de contraintes qu’il propose, et notamment la transparence sur les programmes de missiles antimissile.

Quoi qu’il en soit, on observera que les conditions que propose Obama rencontrent, “dans l’esprit” également, ce que disent in fine ou ce que pensent les Russes lorsqu’ils disent à leurs interlocuteurs US “nous n’avons pas confiance en vous” (voir le 8 mai 2013). Finalement, c’est aux mêmes qui paralysent Obama, qui alimentent les “querelles insignifiantes”, que les Russes s’adressent. La question, pour les Russes, est de savoir ce qu’Obama lui-même peut contre ces gens-là, si Obama lui-même ne fait pas partie de “ces gens-là”, alimentant ces “querelles insignifiantes” à certains moments ... On en conclura que les deux hommes (Poutine et Obama) ont besoin de se rencontrer, de se parler, pour tenter de clarifier cet aspect de leurs relations. Dans ce sens et parlant de l’au-delà de cette proposition de BHO, Russia Today livre quelques spéculations sur la ou les rencontres prévue(s) entre Poutine et Obama.

»Whether or not the exchange of personal letters between the two presidents becomes lost in the labyrinth of mutual distrust between the two countries remains to be seen.

»The first round of negotiations is set to take place in June at the G8 summit in Northern Ireland. Moscow suggested that President Obama might visit Russia on a special visit, but Washington initially turned the proposal down, scheduling another round to take place on the sidelines of the G20 summit in St. Petersburg in September. Still, there is a possibility that the most principal issues will be finalized at the bilateral meeting of two presidents in Moscow – if President Obama agrees to come to the Russian capital two days ahead of the G20 summit.»

Cette affaire du (des) sommet(s) Poutine-Obama est particulièrement nébuleuse et insaisissable, elle aussi, et cela témoignant parfaitement de la tension existante autour des relations Russie-USA, et existante éventuellement, aux USA même, autour de la position d’Obama vis-à-vis de Poutine. (Écrire cela, ce n’est pas parler de la tension dans les relations Russie-USA, mais bien autour, de la part essentiellement de ceux qui voudraient les contrecarrer, et c’est rejoindre la préoccupation qu’Obama exprime dans sa lettre.) Alors que les observations de RT semblent montrer un Obama réticent ou fuyant pour rencontrer Poutine, certaines interventions officielles de la Maison-Blanche ont montré le contraire. Ainsi ce compte-rendu officiel de la Maison-Blanche, du 29 avril 2013, présentant dans des termes particulièrement roboratifs un second coup de téléphone personnel d’Obama à Poutine depuis l’attaque de Boston du 15 avril, et mentionnant pour la première fois publiquement la possibilité d’un deuxième sommet bilatéral en septembre, après le probable sommet en marge de la réunion du G-8 en juin.

«President Obama spoke by phone today with President Putin of Russia to convey his condolences on the tragic hospital fire outside of Moscow that killed dozens last week, and to reiterate his appreciation for the close cooperation that the United States has received from Russia on the Boston marathon attack. The two Leaders discussed cooperation on counterterrorism and security issues going forward, including with respect to the 2014 Olympics in Sochi. President Obama and President Putin reviewed the situation in Syria, with President Obama underscoring concern over Syrian chemical weapons. The Presidents agreed to stay in close consultation and instructed Secretary Kerry and Foreign Minister Lavrov to continue discussions on Syria. Finally, both Presidents noted that they look forward to meeting in person in June at the time of the G-8 meeting in Northern Ireland and again in September for a bilateral Summit in Russia.»

Cet ensemble de nouvelles souvent incertaines et difficilement catégorisables rend une image assez originale des relations entre Obama et Poutine, et de la position d’Obama dans ce domaine bien particulier. Alors que sur d’autres terrains, il apparaît tout-puissant à la tête de son administration, ou bien cherchant à tout prix et parfois avec habileté des compromis avec les autres centres de pouvoir, ou encore effectuant des manœuvres dans le champ de la communication et de la sécurité pour renforcer le Système dans un sens arbitraire, il semble dans ce cas complètement isolé et comme tenté de mener une diplomatie “parallèle” hors des processus habituels du Système (on n’irait pas jusqu’à qualifier cette hypothèse d’antiSystème pour ce qui est de la politique envisagée, mais certainement dans la forme).

On observera pourtant qu’il ne s’agit certainement pas d’une innovation dans l’histoire de la présidence US, surtout dans son histoire moderne. Kennedy en 1962-1963 avec Krouchtchev, Nixon durant l’essentiel de ses mandats, avec les Soviétiques et avec les Chinois, Bush père en 1989-1990 avec Gorbatchev, exercèrent d’une façon ou l’autre, pour le meilleur ou pour le pire selon les avis, une telle diplomatie “parallèle”. Dans ces divers cas des présidents cités, il s’agissait essentiellement de court-circuiter leurs propres bureaucraties et certains centres de pouvoir associés, trop lents à intervenir ou (le plus souvent) hostiles aux politiques projetées. Cet exercice n’est éventuellement pas sans péril ; selon les versions et les opinions des uns ou des autres, ces politiques de Kennedy et de Nixon sont pour quelque chose dans leurs propres destins tragiques, l’un conclu par la mort, l’autre par la démission. Bien que d’une veine similaire, le cas Obama est bien plus complexe. D’une part, la situation générale est complètement différente, infiniment plus complexe que dans tous les cas évoqués, et la situation des USA est caractérisée par un état crisique profond, avec de nombreux foyers de crise. D’autre part, Obama cherche une voie autonome non seulement aux dépens de sa diplomatie, mais d’une façon générale aux dépens de tous les autres centres de pouvoir de Washington et au moment où sa position politique personnelle est en train de devenir très fragile (de ce point de vue, le cas de Nixon est le plus proche du sien, mais avec plus ou moins d’intensité selon les domaines). Sa démarche, – également comme dans le cas de Nixon dans sa période du Watergate, – ressemble également à une certaine recherche d’une aide extérieure ou dans tous les cas d’un appui, mais d’une façon également très complexe. En effet, dans d’autres domaines que ceux évoqués dans sa lettre à Poutine, Obama appuie souvent des politiques qui irritent les Russes, ou qui sont franchement antagonistes de la Russie, et des politiques qui alimentent les fameuses “querelles insignifiantes” (qui ne le sont pas du tout). Le cas le plus remarquable est la nomination début 2011, de l’ambassadeur McFaul à Moscou, considérée comme une initiative spécifique d’Obama à très forte signification si l’on considère l’autonomie d’action et l’autorité dont dispose McFaul. (Michael McFaul est considéré depuis plusieurs années comme une influence directe pour “durcir” Obama dans un sens antirusse, et l’on sait le rôle perturbateur qu’il a joué vis-à-vis des autorités russes, depuis sa nomination à Moscou.) On se demande évidemment quel rôle et quelle position sont réservés à McFaul dans le schéma d'accords directs qu'Obama proposer à Poutine.

Ainsi Obama est-il finalement plus insaisissable que jamais pour Poutine, malgré les audaces de sa proposition, malgré la possible solitude de sa position comme on pourrait la considérer dans les circonstances exposées. Curieusement, ou bien d’une façon révélatrice c’est selon, la fameuse phrase de Churchill pour définir le pouvoir soviétique (russe), en 1939 («It is a riddle, wrapped in a mystery, inside an enigma...») s’adresserait aujourd’hui au pouvoir américaniste avec le président Obama. Mais Churchill terminait : «... but perhaps there is a key. That key is Russian national interest.» Cela [l’intérêt national des USA] comme clef de compréhension est absolument improbable dans le cas US, sinon hors de toute possibilité, tant ce pouvoir est fractionné en centre d’intérêts spécifiques et souvent antagonistes, et tant il est totalement sous la coupe du Système, avec les retombées de contrainte évidentes sur Obama lui-même. Bref, la clef se nommerait plutôt, du point de vue d’une considération rationnelle des relations internationales comme les affectionne le pouvoir russe : “désordre”.

Selon un point de vue purement opérationnel, l’initiative originale d’Obama n’a fait qu’épaissir le manteau de mystère et l’opacité de l’énigme qui enrobe la devinette. Pour comprendre la chose, certes, il est nécessaire d’abandonner la stricte approche rationnelle et le “point de vue opérationnel pur”, pour intégrer d’autres facteurs tels que l’intuition et l’un ou l’autre jeu de hasard ... Il sera évidemment intéressant d’observer quelle réponse Poutine va donner à Obama.


Mis en ligne le 17 mai 2013 à 12H32