L’Ukraine, entre désastre économique et direction-guignol

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L’Ukraine, entre désastre économique et direction-guignol

Un intéressant article est publié le 18 août 2014 par OilPrice.com et relayé le 19 août 2014 par RussiaList.com. Il est écrit par un industriel US, Robert Bensh, de la firme Pelicourt LLC spécialisée dans le domaine de l’énergie et travaillant actuellement sur les ressources ukrainiennes. On sait que l’une des thèses favorites de la crise ukrainienne est l’activisme US pour déclencher cette crise, pour s’approprier l’essentiel des ressources énergétiques du pays. Bensh rapporte des nouvelles particulièrement préoccupantes de ce point de vue, – autant pour la situation ukrainienne elle-même que pour les perspectives d’exploitation de l’énergie (gaz) dans le pays.

• Du point de vue de la situation économique du pays, Bensh prévoit une catastrophe économique très rapidement, à cause d’abord des hostilités dans le Donbass qui affectent gravement l’économie du pays. On voit qu’on se trouve là dans une perspective conjoncturelle venant s’ajouter aux perspectives structurelles, également très pessimistes, du fait de l’imposition de diverses mesures d’austérité par le FMI et l’UE.

«The Ukrainian military’s showdown with separatists in the industrial east has forced coal mines to severely cut production or close down entirely. This has led to an electricity crisis that can only be staunched by cutting domestic production along with exports to Europe, Crimea, and Belarus — or worse, getting more imports from Russia. In the coal centers of Ukraine’s industrial east-Luhansk and Donetsk-fighting has forced the full closure of an estimated 50 percent of coal mines, while overall coal production has fallen 22 percent over the same period last year. Key industry sources say they will potentially run out of coal in less than three weeks.

»For Ukraine, the second largest producer of coal in Europe, this will have a devastating impact on the energy sector, which is in a state of emergency, unable to get coal to thermal power plants that provide some 40 percent of the entire country’s electricity. In the wider energy picture, the halt of coal production sets Ukraine back a decade. The plan was to rely more on coal in order to reduce dependence on Russian natural gas. [...]

»... Now [Ukraine] will have to increase imports of fuel to make up for the loss. But even then, the destruction of supply routes makes this challenging. Not only have coal supply routes been destroyed in the conflict, but other critical infrastructure has taken a hit as well, threatening other industries. Across the board, Ukraine’s industrial heartland is reeling from cut-off supply and shipping chains that threaten to destroy as much as 5 percent of Ukraine’s gross domestic product in the second half of this year.»

• Un autre aspect particulièrement préoccupant pour les “investisseurs” étrangers, et surtout US, se trouve dans le comportement de la direction ukrainienne, et particulièrement par le biais des lois que vote le pouvoir exécutif au sein de la Rada. De nouvelles taxes qui viennent d’être votées sont perçues comme extrêmement préoccupantes (Bensh note dans son texte : «Full disclosure: my firm, Pelicourt LLC, is the majority shareholder of Ukraine’s third-largest gas producer, Cub Energy, and I have advised the U.S. and Canadian governments on the potential harm the new tax will cause.»)

Ce qui est tout à fait remarquable dans la description que fait Bensh, c’est l’attitude incohérente des législateurs ukrainiens, qui votent des lois se contredisant, s'annulant les unes les autres. Le mot d’ordre en Ukraine, et dans ce cas à Kiev, semble être  : désordre, désordre, désordre...

«But the new reality has insiders wondering how Ukraine will produce more of its own natural gas, after the implementation earlier this month of an amended tax code that targets private gas producers with a tax so high that they will significantly reduce production through the end of the year and beyond that is anyone’s guess. [...] [...O]observers can be forgiven their confusion over various measures Kiev has taken since the intensification of the conflict. Indeed, the signals coming out of Kiev have been mixed, at best.

»While parliament has passed a bill allowing for sanctions against Russia, the state-run Naftogaz leadership has been quick to point out that we probably shouldn’t expect sanctions against Russian gas giant Gazprom, and the new bill doesn’t implement sanctions of any kind – it simply makes it legal to slap sanctions on Russian individuals should Kiev decide to do so. Another paper tiger.

»Parliament has also adopted a bill approving the joint-venture lease of Ukraine’s gas-transit facilities with Western firms. At the same time, however, Kiev passed a new amendment to the tax code that doubles taxes for private gas producers and promises to keep Western investors as far away from Ukraine as they can get.

»Each move is designed to negate the other. The economy is being destroyed, yet Kiev is itself destroying any chance of bringing in Western investment to prop it up. Western firms are invited to invest in Ukraine, while at the same time Ukraine makes a mockery of transparency and ensures that the investment climate is suddenly even less attractive than it was two weeks ago. Lip service is paid to developing more resources to build energy independence, but a new tax doubles costs for private producers who will stop producing and pick up stakes.»

Le spectacle est donc édifiant, à partir d’une source dite “de terrain”, préoccupée des réalités ukrainiennes plus que de la guerre des narrative et du triomphe des idéologies. L’Ukraine type-Kiev se présente, sans surprise à dire vrai, comme une descente dans le désordre à partir d’une situation déjà notablement bouleversée, désordre accélérée par les entreprises radicales de liquidation et de remise au pas des parties russophones, selon une tactique évidemment inspirée de l’américanisme qu’on qualifierait de carpet-shelling, – version terrestre du carpet-bombing, comme on s’en doute. On ne sait si la “guerre du Donbass” donnera les résultats politiques et ethniques attendus, mais en attendant, justement, elle donne le résultat d’un saccage des infrastructures et de l’activité économique qui résonne dans tout le pays.

La cerise sur le gâteau, c’est la “direction” politique, avec les dirigeants cooptés par la CIA, des hyperlibéraux aux néonazis préoccupés de leurs avantages divers, les oligarques habités d’ambitions politiques et maniant les bataillons dans le Donbass, et enfin la Rada si glorifiée lors du triomphe de Maidan et dont les pugilats courants débouchent sur des lois en cascades qui s’annulent et se contredisent. Si l’on veut, c’est une nouvelle version de l’aventure libyenne, en plus structurée avec les innombrables manipulations et manigances des divers groupes et agences américanistes et otaniens, et cette structuration permettant d’obtenir plus de désordre encore. L’incompétence affichée de la classe politique dirigeante ukrainienne, avec la corruption courante passée au dopage de la vertu américaniste-occidentaliste, devrait établir une nouvelle référence du domaine, confortant ainsi parfaitement l’analyse de Dimitri Orlov.

Voilà donc encore une vaste théorie confrontée à la réalité du désordre. La thèse majoritaire pour expliquer l’entreprise américaniste en Ukraine a été et reste sans doute celle du pillage de l’énergie, passant notamment par les mirifiques perspectives de gaz de schiste et autres, tout cela dans un écrin hyperlibéral fait sur mesure. La réalité que nous livre monsieur Bensh peut se résumer, elle, à cette expression : paper tiger... Le tigre rugissant de l’hyperlibéralisme que promet d’être l’Ukraine, selon la narrative du Système, qui s’avérerait n’être qu’un “tigre de papier”. Mao doit bien rire dans sa tombe, qui l’avait bien deviné... Depuis près d’un quart de siècle, le mot d’ordre du “désordre créateur” ne cesse de résonner dans les analyses et les éditoriaux des guerriers de l’hyperlibéralisme. On pourrait peut-être envisager une simple variante, qui a le mérite de la simplicité, sinon de l’évidence : le désordre destructeur. Démonstration par Kiev, et la chose est conclue.


Mis en ligne le 20 août 2014 à 08H23