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105811 juillet 2009 — Finalement, BHO a eu tout de même sa surprise, en proposant au G8 un sommet sur la question nucléaire, en mars 2010 à Washington. Selon l’approche intellectuelle qu’on adopte, le sommet est un projet qui doit aborder le problème gravissime de la prolifération des armes nucléaires vers des agents incontrôlables, – terroristes, organisations criminelles, etc. avec en plus les “Etats-voyous” selon les normes occidentalistes; ou bien, c’est un projet qui conduit à l’appréciation des possibilités de dénucléarisation, affectant dans ce cas également les puissances nucléaires “légales”. En réalité, le choix entre ces deux perceptions n’existe pas; la logique de la première réclame, pour une simple question d’efficacité politique et d'impossibilité politique de “discrimination positive”, de s’inscrire dans la logique plus large, et la seule structurante du processus, de la “dénucléarisation” (d’ailleurs à partir du cadre de l’appareil légal existant, – notamment le Traité de Non-Prolifération).
Notons également deux faits qui sont évidemment en corrélation avec ce projet, qui en forment un élément de sa dynamique. D’une part, il y a la crise iranienne, qui porte sur la possibilité que l’Iran se dote d’armes nucléaires; d’autre part, il y a eu le sommet de Moscou, où Russes et Américains sont convenus de mettre les bouchées doubles pour aboutir à un traité START-2 pour décembre 2009, conduisant à une réduction des arsenaux nucléaires des deux plus grandes puissances du domaine.
Notons également des faits connexes et connectés à ces divers développements.
• Une réaction britannique, très bavarde, diverse et variée, montrant plus de confusion que de clarté d'esprit et de décision. Cela fait plusieurs années que les Britanniques se débattent à propos de leur arsenal nucléaire, entre leurs incertitudes stratégiques, la main-mise US sur cet arsenal et les restrictions budgétaires qui rendent de plus en plus difficile son maintien à niveau et sa modernisation. Le Times de Londres, le 10 juillet 2009, rend compte des dernières trouvailles en date de Gordon Brown.
«Britain’s Trident nuclear deterrent could be thrown into a world disarmament deal after President Obama called yesterday for the biggest summit to stop the spread of atomic weapons.
»In a move designed to increase pressure on Iran, up to 30 countries will be invited to Washington next spring for a nuclear security conference. Iran is likely to be forced to prove to the world that it does not have a nuclear weapons programme, Gordon Brown suggested at a press briefing last night.
»His words raised the prospect of inspectors visiting Tehran to verify the existence of weapons. Officials suggested that a refusal to provide evidence could lead to pariah status for Iran, pointing out that Libya had been admitted to the world community after renouncing a nuclear programme. He said that a successful non-proliferation agreement could be followed by multilateral negotiations in which reductions to the Trident nuclear arsenal would be put on the table.»
• Une étrange affirmation israélienne, étrange pour le moment choisi, selon laquelle il est nécessaire qu’Israël augmente son arsenal nucléaire. Antiwar .com présente cette affaire, le 9 juillet 2009, avec les liens disponibles. Reuters publie, le même 9 juillet 2009, un recensement des réflexions de Uzi Arad, publiées dans Haaretz, sur une perspective apocalyptique au Moyen-Orient, qui justifierait qu’Israël accroisse son arsenal nucléaire pour y faire face.
«Israel must have “tremendously powerful” weapons to deter a nuclear attack or destroy an enemy that dares to launch an atomic strike, a senior adviser to Prime Minister Benjamin Netanyahu was quoted on Thursday as saying. National security adviser Uzi Arad, in comments to Haaretz newspaper, appeared to allude to what is widely believed to be Israel's own nuclear arsenal and a standing policy of “mutually assured destruction” (MAD). He warned other countries they could bring about their own devastation if they launched an attack. […]
»In excerpts on Haaretz's English-language website of an interview to be published on Friday, Arad said he feared that if Iran became a nuclear power, five or six other states in the Middle East would follow suit. He called such a prospect a “nightmare” for Israel.»
Au-delà de ces diverses considérations, il faut en venir à l’essentiel, qui est la personnalité de Barack Obama. Quelle est son idée derrière cette poussée vers la dénucléarisation? Divers articles sont publiés aux USA, ces derniers jours, sur cet aspect de l’affaire, beaucoup plus orientés sur l’aspect conceptuel qu’on trouve dans la démarche de BHO, sur sa psychologie même, que dans les questions stratégiques et techniques que soulève une telle dynamique. Signalons un article sur The Washington Note, le 9 juillet 2009, qui fait un bilan de cette situation de Barack Obama; et, surtout, un long article du New York Times du 5 juillet 2009, à partir de la découverte d’un article que publia le jeune Barack Hussein Obama en 1983, dans le journal de Columbia University où il suivait un séminaire de relations internationales sur la question du désarmement nucléaire. Entre cet article et diverses déclarations, réflexions, comportements jusqu’à son insistance aujourd’hui pour la dénucléarisation, il est clair qu’il y a chez Obama une puissante conviction de la nécessité de progresser dans le sens de la dénucléarisation.
Par ailleurs, certaines de ses réflexions, qui concernent les problèmes immédiats en cours, montrent que la logique qu’il suit est intéressante par comparaison avec celles qui sont actuellement observées dans certaines crises. Dans une interview citées dans l’article du New York Times, réalisée le 3 juillet, BHO déclara notamment : «It’s naïve for us to think that we can grow our nuclear stockpiles, the Russians continue to grow their nuclear stockpiles, and our allies grow their nuclear stockpiles, and that in that environment we’re going to be able to pressure countries like Iran and North Korea not to pursue nuclear weapons themselves.» Cette remarque place la question de la crise iranienne sous une lumière différente, en passant du refus absolu et unilatéral du nucléaire iranien qui marque la plupart des démarches en cours, et la remarque que l’Iran ne serait convaincu de cesser le développement d’un système nucléaire militaire que si les pays nucléaires se lançaient dans la voie de la dénucléarisation.
Bien sûr, on trouve tous les arguments qu'on veut, avec leurs contraires, sur la naïveté de vouloir un monde dénucléarisé, sur l’impossibilité de la chose, etc. Ce n’est pas sur ce plan que nous envisageons notre commentaire. Nous n’envisageons pas de spéculer sur la réussite d’un tel processus, dans quelles conditions, à partir de quel moment, etc., mais sur l’effet de ce processus, politique et surtout psychologique, à partir du moment où il se concrétise. La conférence que propose Obama pour mars 2010 est un début de processus et justifie un tel commentaire, en marquant le sérieux de sa démarche. Cette conférence, contrairement à ce qu’écrit le Times, ne vise pas l’Iran, mais vise un processus dont la finalité est la dénucléarisation. Le projet est peut-être une utopie, mais peu nous importe d’en juger, sauf à remarquer qu’il s’agit d’une utopie structurante, – et là, la chose devient intéressante. On reconnaît la logique qui nous guide.
C’est une utopie structurante d’abord parce qu’elle renverse un courant affreusement déstructurant lancé après 9/11, qui impliquait l’utilisation possible du nucléaire, même d’une manière préventive, même contre un Etat ou une entité non-nucléaire. Cette même logique conduisit certaines experts US à évoquer la thèse de l’acquisition d’une supériorité nucléaire US, notamment sur la Russie, et de la possibilité d’une première frappe nucléaire stratégique victorieuse. (La polémique eut lieu fin mars 2006.) Le processus de dénucléarisation, dans son principe, dans ses modalités, dans son début d’application, dans sa conduite à terme, bref dans toutes ses étapes des plus immédiates aux plus improbables, implique une évolution multilatérale, équilibrée, contrôlée, etc., qui est antinomique en substance des idées d'attaque préventive, de “supériorité nucléaire”, etc. En ce sens, il constitue une attaque de “la politique de la raison”, même si la raison s’appuie paradoxalement sur l’utopie au bout du compte, ce qui n’est pas vraiment une grande proximité, – contre la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, qui s'exprime dans ce cas dans une sous-catégorie, une politique de la “barbarie nucléaire”.
C’est une utopie structurante ensuite parce qu’elle déstabilise et contredit la logique de divers projets, programmes et crises en cours, nés de l'époque 9/11 déstructurante. Elle contredit (déstructure) d’une façon dramatique la logique occidentaliste dans la crise iranienne, où jusqu’ici la seule exigence inconditionnelle est la non-production du nucléaire militaire par l’Iran seul; elle déstructure indirectement la logique du réseau anti-missiles en Europe (BMDE), qui acquiert un caractère déstabilisant grandissant dans la dynamique du processus de dénucléarisation, puisque les anti-missiles deviennent d’autant plus efficaces dans la perspective d’une réduction des armes nucléaires et donc interfèrent de plus en plus gravement dans la confiance réciproque nécessaire à un tel processus.
C’est une utopie structurante enfin, parce qu’elle conduit à une aggravation du différend entre Israël et les USA. Dans un tel processus, la paranoïa actuelle d’Israël, où l’on envisage plutôt l’augmentation du potentiel nucléaire, se place en contradiction complète avec la dynamique évoquée par Obama. Bien entendu, la situation serait plus remarquable encore si Obama poussait ses suggestions de “zone dénucléarisée” (au Moyen-Orient) qui ne peuvent que tétaniser et radicaliser (encore plus?!) la direction israélienne actuelle. L’hypothèse est d’autant plus à considérer qu’un processus par étapes de zones géographiques dénucléarisées pourrait être une approche pratique du processus général.
D’une façon générale, il faut observer les idées d’Obama comme une “utopie structurante”, comme nous la désignons, dans la mesure où elles sont grosses d’une dynamique s’inscrivant dans la logique de la crise du 15 septembre 2008 et des contraintes générales que cette crise impose. L’une et les autres, dynamique et contraintes, vont dans le sens contraire de la dynamique suivie jusqu’ici après l’attaque du 11 septembre 2008, et des contraintes qu’elle a imposées. Que cette “utopie structurante” ne soit pas pensée de cette façon, – et c’est sans aucun doute le cas, – n’a aucune espèce d’importance. Ici, seul l’effet compte. De même, nous n’avons pas besoin de résultats tangibles (réduction des armes nucléaires, sans même parler d’une dénucléarisation complète) pour observer ce changement complet de dynamique. Nous parlons ici d’un état d’esprit, d’une psychologie, d’une façon d’aborder les problèmes, qui basculeraient effectivement si le processus suggéré par Obama était lancé.
Pour paraphraser la fameuse formule de la Guerre froide opposée aux partisans de la dénucléarisation (“le diable nucléaire est sorti de sa bouteille, on ne pourra plus l’y faire rentrer”), on pourrait proposer la formule inverse: “le diable de la dénucléarisation est sorti de sa bouteille, on ne pourra plus l’y faire rentrer”. L’explication est simple. Durant la Guerre froide, à une époque où les facteurs stratégique et géopolitique primaient sur tout, le nucléaire était la pièce centrale de la stabilité stratégique, par les doctrines d’équivalence et de “destruction mutuelle assurée” (MAD); aujourd’hui, à une époque où les facteurs de communication et de perception psychologique priment sur tout, la menace d'emploi indiscriminé du nucléaire, avec la possibilité d’emploi sans contrainte ni mesure, est devenue depuis 9/11 un facteur important d’une déstabilisation terroriste pour la psychologie et la perception politique. Dans un cas, la perspective de la dénucléarisation était déstructurante; dans l’autre, l’idée de la dénucléarisation est structurante.
Maintenant et plus concrètement, quelle est l’avenir de la chose? Nous refusons d’en savoir quoi que ce soit car tout ce savoir nécessairement prospectif est nécessairement improbable et probablement faux. A cause de la force de la perception psychologique suscitée par l’annonce de la dénucléarisation dès lors qu’elle commencerait a être assimilée, les conditions changeraient si radicalement qu’une prévision faite aujourd’hui n’a aucun sens demain.
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