La Chine échange Brisbane contre la Crimée

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La Chine échange Brisbane contre la Crimée

Discrètement, presque sereinement, dans un style très “Empire du Milieu”, la Chine semble bien acquiescer de façon quasi-officielle à l’exception qui confirme la règle pour elle sacrée de l’intangibilité des frontières. (Cette position chinoise, maintenue depuis des décennies, est directement liée à la question de Taïwan, dont la Chine de Pékin n’a jamais accepté la séparation et qu’elle continue à considérer comme une terre chinoise.) Ainsi la Chine en viendrait-elle à adouber, sans cérémonie mais fermement, le rattachement de la Crimée à la Russie tout en condamnant absolument le principe du référendum séparatiste.

• Après diverses allusions à cette possible position faites dans la presse chinoise, il y a eu l’événement important d’un article de l’agence russe Tass le 21 novembre 2014. Tass publiait des extraits d’un entretien avec Gui Congyou, le directeur de la zone de l’Europe et de l’Asie centrale au ministère chinois des affaires étrangères. L’entretien portait effectivement sur la question des référendums séparatistes et autres actions de cette sorte, que la Chine condamne fermement, cela confirmé par Gui Congyou mais en mettant la question de la Crimée complètement à part. L’esprit de cette intervention est largement confirmé par des propos critiquant les pratiques US du “double standard” des valeurs politico-morales, des ingérences dans les affaires intérieures d’autres États, etc.

«“We should take a very careful and well-considered attitude to tackling nationalities’ issues. We are against any nationality gaining independence through referendums. As far as Crimea is concerned, it has very special features. We know well the history of Crimea’s affiliation,” the diplomat said.

»“On the whole, the nationalities' problems in some countries stem from double standard policies by certain states, which, proceeding from their own selfish interests, support one ethnic group and push it towards holding an independence referendum. This is a manifestation of double standards serving the interests of the United States. In a bid to achieve its aims, the US resorts to intervention in the internal affairs of other states by using force without UN Security Council authorization. China is firmly against this approach,” Gui said. In his opinion, “such actions trigger aggravations of inter-ethnic contradictions and result in armed conflicts.”

»“China reacts with full understanding to the challenges and threats Russia has faced in connection with the Ukrainian issue and supports Moscow’s approach to its settlement. We are not interested in an armed conflict on the Ukrainian territory and wish to see the issue settled by political means. We are against external intervention in Ukraine’s internal affairs through government coups.” “As for the causes of the Ukrainian crisis, in a telephone conversation with Russian President Vladimir Putin the Chinese leader, Xi Jingping said that ‘there is no smoke without fire’,” Gui added.»

• Cette intervention a été assez peu notée, encore moins commentée, alors qu’elle semble très clairement indiquer un important déplacement de la position formelle de la Chine. Dans Russia Insider, le 25 novembre 2014, Alexander Mercouris analyse la chose. Il est bien entendu de ceux qui jugent qu’il s’agit de la première expression officielle d’une acceptation par la Chine du référendum séparatiste de Crimée. Il cite à l’appui de son interprétation certains détails de la dépêche de Tass, comme notamment la citation par Gui Congyou d’une communication entre Poutine et Xi sur l’implication du bloc BAO dans la crise ukrainienne. Cela conduit Mercouris à développer une analyse de conviction sur la réalité des relations sino-russes, notamment dans le cas de la crise ukrainienne.

«I have always felt that the Chinese dimension in influencing Russia's Ukrainian policy is consistently underestimated. I am sure that every single step Moscow has taken since the start of the Ukrainian crisis has been discussed and coordinated with Beijing at the highest possible level. We should not make the mistake of thinking that the only conversations between Putin and Xi Jinping are those that are officially or publicly reported.

»The Chinese do not want to be seen taking an active or public role in the Ukrainian crisis – which formally speaking has nothing to do with them – but given the importance of China's support for Russia and the importance of Russia to China, it is a certainty that the two sides have been working closely together with each other and that they are discussing every aspect of this crisis all the time. Knowledge that he has China's support is one reason for Putin's confidence in his dealings with the US and the Europeans.

»The need to coordinate with Beijing does however place certain constraints on Moscow's actions. Again I am sure that one reason amongst many why Russia has been wary of intervening actively in the Donbas or of formally recognising the various votes there is because it knows that doing so too obviously or too hastily would not be welcome in Beijing.»

• D’une façon un peu extérieure, ou disons “latérale”, dans tous les cas indirecte, il existe une autre intervention qui indique le resserrement décisif des liens entre la Russie et la Chine, qui semblerait concrétisé comme on l’observe ici par ce qui semble bien être une reconnaissance du rattachement de la Crimée à la Russie. C’est un passage du discours très récent de Lavrov que nous avons mentionné le 24 novembre 2014 pour cette affirmation explosive : «Western leaders publicly state that the sanctions must hurt [Russia’s] economy and stir up public protests. The West doesn’t want to change Russia’s policies. They want a regime change. Practically nobody denies that...». Le Saker-US donne l’intégralité de ce discours le 25 novembre 2014 en insistant sur son importance extrême et met en évidence un autre passage, qui nous intéresse pour notre propos ici ... «I can’t fail to mention Russia’s comprehensive partnership with China. Important bilateral decisions have been taken, paving the way to an energy alliance between Russia and China. But there’s more to it. We can now even talk about the emerging technology alliance between the two countries. Russia’s tandem with Beijing is a crucial factor for ensuring international stability and at least some balance in international affairs, as well as ensuring the rule of international law.» La force du propos (la force de tout ce discours) est d’autant plus évidente, et par conséquent le crédit qu’on peut donner à cette affirmation, que l’on sait Lavrov extrêmement diplomate, on dirait même d’une impitoyable et très ferme mesure diplomatique dans toutes ses interventions.

Observons ici notre propre propos : que de mots, de verbe, d’emplois grammaticaux de prudence (“sembler”, emploi du conditionnel, etc.) pour approcher ce qui semblerait (“sembler” et conditionnel !) une évolution décisive de la Chine vis-à-vis de la Russie. Nous faisons cela intentionnellement, pour rendre compte d’une meilleure compréhension de la position chinoise, pour pouvoir mieux affirmer : selon la méthodologie chinoise, et selon la culture de cet immense pays, il s’agit sans aucun doute d’un événement extrêmement important qu’on doit distinguer dans ces diverses déclarations, analyses et appréciation. Cela finalement posé, ce qui nous intéresse alors, c’est bien le moment où ce pas en avant est fait ; c’est-à-dire juste après le sommet du G20 à Brisbane...

Quelques jours après ce sommet, il nous est revenu, par des sources ayant des relations avec les contacts entre Européens et Chinois, que les Chinois étaient “absolument scandalisés et choqués” et “particulièrement furieux” du traitement que les pays du bloc BAO, particulièrement les USA suivis et parfois précédés par leurs moutons anglo-saxons divers et zélés, ont réservé à Poutine. (Nous parlons du “bizutage”, comme nous qualifions la chose, tant la méthode est estudiantine-enfantine, le niveau de l’acte ainsi défini, et finalement son efficacité à mesure.) Les Chinois n’ont rien dit officiellement parce que ce n’est ni dans leurs politiques, ni dans les mœurs...Bien entendu, ce traitement de Poutine au G20 où c’était l’anglo-saxonne et moutonnière Australie qui recevait contraste avec celui qui lui a été fait par les Chinois au sommet de l’APAC, là aussi comme un acte symbolique. Ainsi, dans les deux symboles, on trouve bien la marque de l’évolution chinoise, de sa politique de plus en plus engagée au côté de la Russie.

Il reste que la chronologie nous invite à considérer que le “bizutage” BAO de Poutine est bien, à la fois la goutte d’eau qui fait déborder le vase (chinois), à la fois l’acte interprété symboliquement (par les Chinois) selon lequel le comportement du bloc BAO nécessite pour la Chine un engagement décisif au côté de la Russie ; d’où l’intervention quelques jours après Brisbane de Gui Congyou auprès de Tass, affirmant in fine et entre les lignes que la Chine “reconnaît” l’intégration de la Crimée dans la Russie, malgré son principe cardinal de repousser toute manifestation de séparatisme. L’on retrouve alors l’un des caractères les plus remarquables de la politique et des relations internationales aujourd’hui, qui se distingue dans des circonstances qui font que des actes dérisoires, – Dieu sait si le bizutage-BAO de Poutine en est un, – engendre des conséquences politiques d’une importance considérable, – Dieu sait si, pour le Chine, ce pas en avant de reconnaître la Crimée-devenu-russe en est un. Ici, nous parlons moins du fond et de la signification politique de l’acte, que nous avons développé jusqu’ici, que de cette curieuse forme des situations internationales, ce rapport dérision complète-importance colossale dans les enchaînements de causes à effets qui caractérisent évidemment la vie politique. Il s’agit pour nous d’une remarque importante, qui se place dans l’appréciation méthodologique, de type métahistorique plus que simplement historique, que nous faisons de la période.

 

Mis en ligne le 26 novembre 2014 à 05H59