La Chine verte et Gulliver verrouillé

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L’une des très rares surprises du sommet USA-Chine a été l’accord manifesté par les deux pays pour tenter d’obtenir un accord à la réunion de Copenhague du mois prochain sur la crise climatique. Le Guardian écrivait le 17 novembre 2009: «The US and China, the world's two biggest polluters, today said they aimed to set targets for easing greenhouse gas emissions next month, potentially breathing new life into the flagging Copenhagen climate negotiations. Days after the US president, Barack Obama, said time to secure a legally binding agreement had run out, he and the Chinese president, Hu Jintao, agreed at a summit that they would continue to press for a comprehensive deal at Copenhagen that would “rally the world”.»

Hier, 19 novembre 2009, Robert F. Kennedy, Jr. (le fils de Robert Kennedy, assassiné en 1968), a publié un très intéressant article sur Huffington.post, sur les efforts colossaux de la Chine dans ce qu’on nomme les “technologies vertes” développées pour transformer les processus industriels d'acquisition d'énergie en processus non-polluants. Kennedy attaque d’abord la position US en la matière, position basée sur une vision économique de protection d’un système complètement archaïque et dépassé tel qu’il est en l’état, avec les groupes de pressions connus servant de verrous corrupteurs (le pétrole, le charbon, etc.):

«Hobbled by opposition from the carbon incumbents and their short-sighted allies on Capitol Hill the Obama administration acknowledged this week that it would not return from Copenhagen with any groundbreaking commitment to control green house gases. Meanwhile, Congress is backsliding on the administration's wise commitment to impose a rational price on carbon. Behind the logjam, a treacherous U.S. Chamber of Commerce, always willing to put its obsequious scraping to Big Oil and King Coal ahead of its duty to our country, has battled every effort to accelerate America's transition to a market-based de-carbonized economy. The Chamber has continued to argue, idiotically, that energy efficiency and independence will somehow put America at a competitive disadvantage with the Chinese…»

Kennedy décrit l’effort considérable des Chinois, et jusqu’ici assez peu l’objet de l’habituelle publicité économique dont notre système est coutumier (à cet égard des technologies vertes, notre “publicité économique” s’en tient en général aux déclarations d’intention de nos grands dirigeants économiques et politiques et à la publicité par annonce qu’on trouve dans nos médias et sur Internet, sur les intentions pompeuses des grands groupes industriels). Kennedy observe à propos de la position US vis-à-vis de la Chine dans ce domaine: «China will soon make us as dependent on Chinese green technology for the next century as we have been on Saudi oil during the last.»

Puis il donne des détails impressionnants sur les efforts de la Chine dans ce domaine, qu’il compare à une “course aux armements” (entre la Chine et les USA) où les Chinois dépensent autant pour les technologies vertes que pour les armements. Kennedy estime que la Chine va très rapidement dépasser les USA dans ce domaine du développement des technologies vertes et “inonder” le marché US parce que ce domaine est dans un mode d’expansion irrésistible à cause des conditions en très rapide aggravation de la crise climatique. Nous en donnant de larges extraits, tant les faits exposés nous paraissent impressionnants.

• «China's economic stimulus package, targeted 38% of spending on greentech, as compared to a miserly 12% of the U.S. stimulus program. By 2013, greentech will account for 15 percent of the Chinese GDP.»

• Alors que les USA prévoient de tripler leurs capacités dans l’utilisation du vent comme source d’énergie d’ici 2020, les Chinois multiplieront la leur par 12, pour aboutir en 2020 à une capacité générale double de celle des USA. « And, while the United States is projected to increase its installed solar generation a modest 33% by 2020, China's solar generation is projected to increase 20,000%.»

• Les Chinois accélèrent également d’une façon impressionnante leurs “technologies solaires”, produisant les systèmes de panneaux à un rythme très rapide et à un prix beaucoup plus bas que les USA. La conséquence en est la perte des emplois projetés dans ce domaine par les sociétés US au profit des Chinois, et il n’est jusqu’au Pentagone lui-même qui s’alimente en Chine. «Hundreds of U.S. solar manufacturers now see their prospects as grim. BP Solar, Evergreen, and General Electric have already announced the closing of American-based solar panel factories and outsourcing, primarily to China. America's leading solar manufacturer, Applied Materials, has opened the largest non-government solar energy research facility in the world in China. Of today's ten leading solar panel manufacturers, only one is American. The largest solar panel installation in the United States is a 70,000 panel, 14.2 megawatt array on Nellis Air Force Base in Nevada. The array provides more than 25% of the base's power needs, and saves the Pentagon a million dollars annually in energy costs, but the panels' manufacturer was China's Suntech Power Holdings. Even in the thin film solar market, among the last redoubts of American dominance Chinese businesses are squeezing profit.»

• L’année derrière, les USA avaient atteint un point important du domaine en fabriquant plus de systèmes d’utilisation de l’énergie éolienne que de systèmes d’utilisation du pétrole et du charbon combinés, dans une situation où le secteur de l’énergie éolienne fournit aujourd’hui plus d’emplois que le secteur du charbon. Kenndey rappelle que les USA menaient le monde dans cette technologie. Cette situation est en train de se détériorer à une vitesse extraordinaire, à l’avantage des Chinois. «Yet today, of the five leading wind turbine manufacturers, only one is American. While Congress dawdles, China is clobbering us. Shenyang Power Group recently inked a deal to be the exclusive supplier of turbines to the largest wind project in the United States, a 36,000 acre, 600 megawatt development in west Texas. The project will create 2,800 new jobs –2,400 in China, but only 400 in the United States. As Lu Jinxiang, chief executive of Shenyang's controlling shareholder noted, “This is just the beginning ... [the United States] is an ideal target.” China is likewise poised to take away our lead in batteries and electric cars, and has already pulled far ahead of America in automobile fuel efficiency.»

Notre commentaire

@PAYANT Cette explosion de l’économie chinoise dans le sens des technologies vertes, dans le cadre de la lutte contre la crise climatique, a été confirmée mercredi 18 novembre, lors d’un séminaire de la Commission européenne à Bruxelles. Bien que le thème n’était pas abordé par les intervenants, des représentants des industries des technologies vertes ont pu largement informer les participants en marge de ces débats du poids formidable que la Chine est en train d’acquérir dans ce domaine. Un des participants à ce séminaire nous indiquait que ces indications montraient que «les Chinois sont en train d'effectuer, avec une rapidité et une souplesse stupéfiantes, un virage à 180° ces deux dernières années et foncent aujourd’hui dans ce domaine. Cela va très vite devenir un facteur économique prédominant, et ils en seront les maîtres». Ces indications confirment celles que donne Kennedy, qui semble parler en connaissance de cause. Kennedy s’est spécialisé dans les activités liées à la réforme des conditions de production et de distribution de l’énergie (c’est l’organisation qu’il dirige qui a traité directement avec Chavez pour la livraison de pétrole vénézuélien bon marché à son Etat du Massachussetts, pour aider les personnes démunies à obtenir de l’alimentation à bon marché pour leur chauffage).

Dimanche dernier, lorsqu’Obama annonçait qu’il y avait peu de chances qu’un accord puisse être trouvé à Copenhague, il croyait parler aussi bien pour la Chine que pour les USA. La position chinoise sur cette question a été une surprise pour la délégation US, montrant ainsi la sous-information, ou la désinformation du monde officiel US sur des questions aussi essentielles. A cet égard, les forces politiques US sont totalement dépendantes, aussi bien en soutien financier qu’en information, ou en désinformation, des grands lobbies du pétrole et du charbon. Ce que Bush annonçait il y a quelques années sur la capacité US à mener une révolution technologique pour lutter contre la crise climatique, accompagnée par la rhétorique publicitaire des grands groupes, semble un échec dynamique et collectif complet et un signe de plus de la paralysie complète du pouvoir politique aux USA (dans ce domaine comme dans tous les autres). Le pouvoir exécutif US est prisonnier du système de corruption généralisée, et l’on peut, avec cet exemple des technologies vertes, mesurer les conséquences économiques aussi bien que les conséquences pour la lutte contre la lutte climatique. Très vite, si ce n’est déjà fait, les USA vont se trouver à nouveau isolés face au Rest Of the World dans ce domaine, le tournant de la politique chinoise devant servir de locomotives aux autres grands pays émergents (BRIC).

La question est donc bien politique. Le pouvoir US est aujourd’hui complètement paralysé dans son système général de corruption des intérêts privés. L’exécutif est pieds et poings liés devant un Congrès complètement acheté par les intérêts particuliers. La situation pour les soins de santé (où le vote du Sénat qui devait avoir lieu à la mi-novembre, suivant le vote favorable de la Chambre, ne cesse d’être reculé, désormais au-delà de 2009, à la rentrée 2010) est un autre exemple, à côté de celui des technologies vertes que nous développons ici. Les intérêts corporatistes, relayés par les républicains et entamant une partie importante des démocrates malgré les appels du président, relaient systématiquement des intérêts industriels privés qui sont complètement repliés sur des positions conservatrices soutenues par des campagnes de relations publiques, ou disons de désinformation sinon de virtualisme, d’une puissance sans précédent. A côté de cela, le pouvoir chinois, qualifié de “dictatorial et d'“archaïque”, accusé évidemment de mépriser les droits de l’homme et ainsi de suite, semble se montrer d’une souplesse exceptionnelle en même temps qu'il dispose d'une politique et des moyens d'incitation nécessaires d'un Etat responsable, à partir d'informations qui ne doivent rien à la corruption organisée des intérêts privées. (Le danger est bien cette corruption organisée en système légalement autorisé sous le nom de lobbying, qui organise les pressions de mouvements d’opinion suscités par des campagnes de relations publiques, bien plus que la corruption classique, plutôt de type individuel, qui sévit partout, et notamment en Chine, mais ne s’organise nullement en effets politiques collectifs puisqu’elles ne concerne que des individus.)

L’intention-surprise des deux pays (Chine et USA) de soutenir la tentative d’un accord général à Copenhague mettra finalement beaucoup plus en difficultés les USA que la Chine, alors qu’on jugeait les deux pays aussi impliqués dans le même sens d’un refus de mesures importantes. Cela, parce que la position d'Obama dépend des forces du Congrès et du lobbying qui interviendraient, on sait dans quel sens, pour la ratification d'un éventuel accord. C’est encore un coup extrêmement rude porté contre Obama, dont l’une des orientations centrales était de modifier complètement la politique US de lutte contre la crise climatique, et de s’imposer comme leader dans ce domaine après l’obstructionnisme systématique de l’époque Bush. Au contraire, c’est bien la Chine qui pourrait hériter de ce rôle. On comprend que le gadget du G2 n’intéresse en rien les Chinois, pour toutes les causes fondamentales qu’on a déjà dites, mais aussi pour celle d’établir un partenariat avec une “hyperpuissance” devenue en quelques années un Gulliver totalement paralysé, impuissant et englué dans des conceptions absolument dépassées. C’est un constat de plus pour conclure qu’une telle situation ne peut que très rapidement mener à une désintégration d’un système, les USA, absolument enfermés dans un carcan de forces paralysantes et structurellement immobilistes.


Mis en ligne le 20 novembre 2009 à 07H19