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2000Une décision de la Cour Suprême des USA, par 5 voix contre 4, avec une minorité exprimant publiquement sa fureur de la décision, vient de repousser et d’annuler toutes les restrictions mises aux contributions financières du corporate power vers le monde politique. C’est un énorme événement, à ce moment précis où Washington est en effervescence après l’élection primaire du Massachusetts qui a vu l’expression la colère populaire contre l’action de Washington en faveur du corporate power. «We are moving to an age where we won't have the senator from Arkansas or the congressman from North Carolina, but the senator from Wal-Mart and the congressman from Bank of America», dit Melanie Sloan, directrice de l’association Citizens for Responsibility and Ethics. BHO appelle à une action bipartisane du Congrès et de l’administration pour tenter de contrer la décision de la Cour par telle ou telle loi à trouver.
Voyez notamment Huffington.post, dans un long article furieux ce 21 janvier 2010.
«By a 5-4 decision, the Supreme Court on Thursday rolled back restrictions on corporate spending on federal campaigns. The decision could unleash a torrent of corporate-funded attack ads in upcoming elections. “Because speech is an essential mechanism of democracy – it is the means to hold officials accountable to the people – political speech must prevail against laws that would suppress it by design or inadvertence,” wrote Justice Anthony Kennedy for the majority.
»In his dissent, Justice John Paul Stevens accused the majority of judicial activism and attacked the use of corporate personhood in the case: “The conceit that corporations must be treated identically to natural persons in the political sphere is not only inaccurate but also inadequate to justify the Court's disposition of this case.”
»Republicans offered measured praise for the decision, but progressive good-government groups and Democrats responded angrily and vowed to fight back with legislation.
»“With its ruling today, the Supreme Court has given a green light to a new stampede of special interest money in our politics,” said President Obama in a statement. “It is a major victory for big oil, Wall Street banks, health insurance companies and the other powerful interests that marshal their power every day in Washington to drown out the voices of everyday Americans... That's why I am instructing my Administration to get to work immediately with Congress on this issue. We are going to talk with bipartisan Congressional leaders to develop a forceful response to this decision.”
»Democracy 21's Fred Wertheimer, for years a leading advocate of campaign finance reform, called the decision a “disaster for the American people and a dark day for the Supreme Court.” “The Supreme Court majority has acted recklessly to free up corporations to use their immense, aggregate corporate wealth to flood federal elections and buy government influence. The Fortune 100 companies alone had combined revenues of $13 trillion and profits of $605 billion during the last election cycle,” Wertheimer wrote. “Under today's decision, insurance companies, banks, drug companies, energy companies and the like will be free to each spend $5 million, $10 million or more of corporate funds to elect or defeat a federal candidate -- and thereby to buy influence over the candidate's positions on issues of economic importance to the companies.”»
@PAYANT Qui a imaginé cette occurrence de calendrier entre l’annonce de cette décision et la tempête soulevée par l’élection partielle du Massachusetts? (Mais qui a songé à imaginer ce que serait le résultat de cette partielle du Massachusetts qui, dans le siège de feu Ted Kennedy, semblait assuré?) On comprend aussitôt que cette décision devient une partie de la force de cette tempête et l’on songe qu’un démiurge cherchant à attiser “la discorde chez l’ennemi” et la crise du système n’aurait pu faire mieux. Au moment où s’exprime, dans l’élection du Massachusetts, la colère du peuple contre le corporate power (Wall Street sauvé des eaux par BHO, dans ce cas), le corporate power se voit ouvrir toutes grandes les vannes de la corruption permanente, étouffante, affolante, du processus électoral… Qui plus est, cette décision énorme autant par son contenu que par les circonstances où elle est dite, a été prise à une “majorité de guerre civile”, 5 voix contre 4, avec une minorité exprimant sa colère presque comme si elle faisait sécession.
Cela constaté, il y a là, qui se dessine, dans les conditions de crise exacerbée, presque de guerre civile, qui s’installent, un formidable cas de blocage institutionnel. Face à l’appel de BHO pour que les deux autres pouvoirs (le législatif et l’exécutif) réduisent la décision du troisième, il y a les observations des constitutionnalistes tatillons et partisans qui ne donnent guère de chance à cette riposte. «I think Congress is going to have a very difficult time if they want to pass a law limiting individual expenditures. If you read the decision, the court is deciding on constitutional issues... It will be very difficult to design any kind of new federal statute that reimposes restrictions without it immediately being found unconstitutional again.» (Hans von Spakovsky, spécialiste constitutionnaliste de Heritage Foundation). Encore une belle bagarre en perspective, une autre séquence de la guerre civile, si effectivement BHO et les démocrates organisent une riposte au Congrès. (Mais comment pourraient-ils s’en dispenser alors qu’ils vont aux élections, bouleversés par l’élection partielle du Massachusetts, convaincus qu’il faut rencontrer le peuple en luttant contre le corporate power s’ils veulent ne pas être défaits? Au reste, les républicains, qui dépendent aussi du bon peuple et ont mesuré sa colère, ne sont pas tellement plus à l’aise.)
Dans de telles circonstances si extrêmes, c’est toute la construction juridique et légale dont sont si fiers les hagiographes de l’américanisme qui est mise en cause. La Cour Suprême est “suprême” par définition. Elle dit la Loi et la Loi est, aux USA, la parole suprême qui définit l’existence et le destin de la Grande République. Aujourd’hui, la Loi dit quelque chose d’absolument inique par rapport à la réalité des choses, en déchainant le corporate power, contre la volonté furieuse du peuple qui s’est exprimée dans le Massachusetts, cette volonté dont les deux autres pouvoirs dépendent en général, et, d’une façon précisément fixée, dont ils dépendent dès novembre prochain. Mettre plus d’huile sur le feu, cela n’est pas possible.
En même temps apparaît au grand jour une fiction que tout le monde connaît mais qu’on se garde bien de trop dénoncer. La Cour n’est pas un organe neutre, elle n’est nullement “suprême” dans son fonctionnement et dans son comportement. Elle est totalement partisane, au gré des nominations des présidents successifs, qui y placent leurs hommes et femmes à eux. Nombre de ces décisions ont été contestées et, par exemple, on ne la vit jamais prendre position, alors que l’occasion lui en était donnée, contre le maccarthysme qui balaya l’Amérique entre 1946 (avant même McCarthy) et le milieu des années 1950 en bafouant à mesure la liberté d’opinion et la liberté d’expression. Plus près de nous, on rappelle sa décision validant l’élection de GW Bush, en décembre 2000, malgré toutes les évidences d’irrégularités dans ce cas. La Cour dit la Loi qui arrange le système, selon son appréciation des forces en présence dans le système. C’est une pièce fondamentale du système, et nullement un monument à la gloire de la vertu civique.
Mais, dans ce cas, nous sommes au-delà de la situation de corruption intellectuelle normale engendrée par le système. Nous sommes dans une situation où il n’est plus assuré que la Cour, en se prononçant pour le système (qu’y a-t-il de plus propre à ce système que le corporate power?), soit effectivement intervenue dans l’intérêt du système. Sa décision, évidemment partisane, montre également combien ces Justices (les juges de la Cour) sont aveuglés en même temps par le juridisme, ou l’“activisme juridique” comme dit le Justice qui mène l’opposition. Intervenant dans ce sens, dans l’atmosphère qu’on sait, dans les circonstances qu’on sait, la Cour pousse le système jusqu’à ses limites extrêmes, au moment où ce système se trouve plongé dans une guerre civile interne, et affaibli d’autant. Au lieu de renforcer le système, la Cour accroît le désordre où il se débat. Elle pousse le système et ses déchirements, et bientôt les contestataires du système qui pourraient apparaître, vers des issues qui pourraient mettre en cause l’architecture elle-même du système.
La Cour ajoute à la crise du système une impasse de plus. Elle alimente encore plus la colère du peuple et plonge dans un embarras supplémentaire, dans un dilemme encore plus grand, les pouvoirs qui font partie du système mais qui dépendent formellement du peuple. La Cour n’en a cure puisque, même si elle est partisane, elle est aussi constitutionnaliste et proclame sans faillir les principes sacrés qu’elle utilise pour bafouer le common sense qui se révolte devant la situation actuelle. Avec cette décision, qui ouvre un espace nouveau vers des tentations anticonstitutionnelles, la Cour apporte une contribution supplémentaire au “perfect storm” qui est en train de se former contre le système de l’américanisme, à partir, pour la séquence en cours, de la tempête levée dans l’Etat du Massachusetts.
Mis en ligne le 22 janvier 2010 à 08H05