La crise, de l’économie à l’Histoire

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Le jeu de la sémantique autour de la crise et pour interpréter la dimension de la crise semble accueillir un élément nouveau. Cet aspect sémantique nous paraît très important, comme nous le signalons déjà, aujourd’hui, dans cette même rubrique. La sémantique oriente la perception, d’une façon extrêmement puissante dans une époque fondamentalement définie par la communication.

L’“élément nouveau” est l’Histoire, c’est-à-dire la référence historique qui n’est plus définie par un événement perçue comme essentiellement économique (dito, la Grande Dépression, d’ailleurs perçue à tort comme événement essentiellement économique, à notre sens). C’est Sarkozy qui a ouvert cette dimension en parlant, jeudi dernier, de la pire crise que nous connaissions «depuis un siècle». L’a-t-il fait volontairement ou pas, – c’est à voir et cela n’importe guère pour notre propos. Aujourd’hui, une nouvelle déclaration dans ce sens élargit effectivement la dimension de la perception vers l’aspect historique. Elle tend à ne plus considérer la Grande Dépression comme la seule référence, mais à envisager quelque chose de “pire que la Grande Dépression”, et à aller au-delà.

(Observons qu’en catimini, Bush avait évoqué cette hypothèse, dans sa dernière conférence de presse; nous évoquions cela le 22 janvier, citant Bush qui révélait qu’en septembre 2008, ses conseillers observaient à son intention que «the situation we were facing could be worse than the Great Depression». Mais, bien sûr, aucune remarque à caractère historique n'accompagna cette révélation. Il ne faut pas demander à une vessie de nous éclairer comme une lanterne.)

C’est The Independent qui, ce matin, fait son gros titre sur la déclaration de Ed Balls, Schools Secretary dans le gouvernement britannique et économiste de formation, et très proche de Gordon Brown. Cela fait penser que Brown a donné son accord pour cette déclaration qui confirme sans l’entériner son lapsus de l’autre jour, aux Communes.

«In an extraordinary admission about the severity of the economic downturn, Ed Balls even predicted that its effects would still be felt 15 years from now. The Schools Secretary's comments carry added weight because he is a former chief economic adviser to the Treasury and regarded as one of the Prime Ministers's closest allies.

»Mr Balls said yesterday: “The reality is that this is becoming the most serious global recession for, I'm sure, over 100 years, as it will turn out.” He warned that events worldwide were moving at a “speed, pace and ferocity which none of us have seen before” and banks were losing cash on a “scale that nobody believed possible”.

»The minister stunned his audience at a Labour conference in Yorkshire by forecasting that times could be tougher than in the depression of the 1930s, when male unemployment in some cities reached 70 per cent. He also appeared to hint that the recession could play into the hands of the far right.»

Ce passage de la référence économique (la Grande Dépression) à la référence historique plus générale (“la pire crise depuis un siècle”, ou “depuis au moins un siècle”, – cela incluant de facto la Grande Dépression) est intéressant. Il vient de dirigeants européens, alors que les dirigeants US s’en tiennent à la référence de la Grande Dépression, et cela indique un état d’esprit différent. Les Européens ont plus l’habitude de raisonner en termes historiques qu’économiques, même dans un pays si complètement acquis à l’“économisme” que le Royaume-Unis de ce dernier quart de siècle. Ce faisant, ils écartent la vision réductrice à un seul domaine et sont conduits, volens nolens, à la mesure réelle de la crise qui nous frappe.

Il nous a toujours paru évident que l’on ne pouvait s’en tenir à la référence économique pour définir la crise actuelle. Le coup de tonnerre du 15 septembre 2008 achève un cycle marqué par des événements déstructurants massifs et successifs, depuis le 11 septembre 2001, qui ont nécessairement une dimension historique. Ces événements sont de natures spécifiques différentes, ce qui illustre bien par la diversité le caractère historique du phénomène général. La crise irakienne, la crise iranienne, la crise géorgienne, la crise du Pentagone, pour prendre ces exemples, participent grandement au processus qui atteint un paroxysme le 15 septembre 2008; l’on voit bien que ces événements ne sont nullement de substance économique. L’ensemble nous indique que, pour avoir une appréciation juste du phénomène qui nous frappe, il faut effectivement accepter la dimension historique, qui comprend bien sûr la dimension économique, et ne pas s’en tenir à cette seule dimension économique. Les déclarations que nous citons vont dans ce sens et c’est, peut-être involontairement dans le chef de ceux qui les font mais peu importe, une bonne chose. Tout ce qui nous rapproche d’une évaluation vraie de la situation ne peut être qu’une bonne chose, même si le spectacle ainsi découvert est catastrophique.


Mis en ligne le 10 février 2009 à 08H09