La crise de la politique du monde

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La crise de la politique du monde

5 décembre 2007 — La réalité a brutalement fait exploser le monde virtualiste où vit l’Occident depuis le 11 septembre 2001. Non pas que le virtualisme date de 9/11 mais le vrai complot de 9/11 est bien qu’à partir de là, la réalité a été totalement répudiée. Nous en avons des exemples multiples, le dernier pas plus tard qu’hier. Mais la bombe thermonucléaire du domaine de la communication, – le domaine qui tue notre civilisation, – a explosé avec la publication des principales conclusions de la NIE 2007 (National Intelligence Estimate) sur l’Iran, dans des conditions que nous assimilons à une sorte de “coup d’Etat”, Washington’s style. C’est toute la politique de sécurité des USA, mais aussi du reste de l’Occident qui se détermine par rapport à cette politique des USA, qui est aujourd’hui en crise ouverte. Littéralement, ce que nous disent la publication de la NIE 2007 et les circonstances qui l’accompagnent, c’est que le monde entier n’a plus de politique étrangère et de sécurité, – qu’il n’a plus de “grande politique”.

La situation est pathétique, comme l’on dirait d’une politique nivelée, totalement entropique, une politique “Ground Zero” manipulée par des esprits qui compensent leur faiblesse par l’hystérie. La situation est pathétique, entre la NIE 2007 des 16 agences de renseignement des USA qui nous dit que l’Iran a stoppé son programme nucléaire militaire et que, si l’Iran le reprend, il faudra attendre après 2015 pour qu’on approche d’une bombe, – entre cela et la politique telle que la pratique nos dirigeants et divers ministres, nourris aux évaluations hollywoodiennes des premiers publicistes venus. Quel ministre, quelle évaluation? Le ministre des affaires étrangères de la République française (nous ne le nommons pas puisqu’il paraît que Dieu reconnaît toujours les siens, et Dieu tient Sa parole) déclarant lors d’une conférence devant le CSIS de Washington, selon le rapport qui en fut fait par Libération le 22 septembre 2007, que «[c]ertains experts affirment que huit à neuf mois seulement sont nécessaires [à l’Iran] pour avoir une bombe atomique». Sortez votre calculette, monsieur le ministre.

En un sens, on pourrait avancer que la NIE 2007 n’apporte rien de décisif dans la crise iranienne, sinon la démonstration a contrario d’un fait simple et fondamental. Elle montre, en référence à tout ce qui été tenu comme vérité révélée avant elle, que la crise véritable concerne une démarche spécifique qui n’a rien à voir avec les conditions apparentes de la crise; que la crise véritable se définit par le simple fait que la politique jusqu’ici est un montage hystérique d’une raison occidentale devenue entièrement barbare, – barbarie maquillée, poudrée, tannée au soleil des sports d’hiver, – mais barbarie, enfin. Ce n’est pas le premier montage de la sorte mais c’est, jusqu’à ce jour, le plus achevé avec celui, d’un autre genre, du système BMDE en Europe. Il s’agit bien d’une “méthode” ou, si l’on veut adopter une vision vertueuse du terme en arguant qu’il y a une Méthode pour la diplomatie, de l’application de l’anti-Méthode de la diplomatie de la politique des relations entre les Etats, cette cohabitation qui doit tenir compte des deux facteurs de la souveraineté et de la puissance (dans cet ordre, la puissance largement en second). (Nous excluons le Droit parce qu’il n’est pas la démarche fondamentale. Il est, – il devrait être enfant de la souveraineté et de la puissance, dans cet ordre, la puissance largement en second.)

La spécificité explosive du cas est que la NIE 2007 porte le fer au plus cruel de la blessure, parce qu’il s’agit de l’Iran, et que nous vivons dans cette affaire, depuis deux ans, au rythme d’un plan hebdomadaire d’attaque où l’usage du nucléaire (occidental, s’entend) est débattu comme vous discuteriez du choix du film à voir ce soir. Ce n’est donc pas la question de savoir si l’Iran est nucléaire ou bien si, aux dernières nouvelles il ne l’est pas, mais bien de savoir ce qu’est devenu la politique occidentale de sécurité, – ce qu’elle est devenue aujourd’hui.

Quels moyens pour cette politique?

Cette affaire de la NIE 2007 nous dit que la question de la connaissance du monde est posée d’une manière dramatique et pathétique. Un adversaire de l’estimation de la NIE 2007 (cité par le New York Times du 3 décembre) disait assez justement, même si l’on a toutes les raisons de se trouver en désaccord avec la conclusion implicite qu’il nous propose:

«“The way this will play is that the intelligence community has admitted it was wrong,” said Jon B. Alterman of the Center for Strategic and International Studies. “So why should we believe them now?”»

C’est vrai, après tout, mais cette question s’applique désormais à tout dans un univers envahi d’esprits qui construisent leur vision virtualiste sans souci de la réalité.

En ce sens, NIE 2007 n’a pas rétabli la réalité (la vérité), puisqu’officiellement nous avons vécu pendant quatre ans dans une autre réalité, qui était proclamée vérité, qui était in fine (dans l’esprit, sans aucun doute) le contraire de ce que dit NIE 2007. On dira: il y a les sources que NIE 2007 a utilisées, et nous-mêmes ne les mettons évidemment pas en doute. Notre conviction est évidemment que NIE 2007 est bien plus proche de la vérité qu’aucune autre estimation, cette conviction ne serait-ce que par intuition, parce qu’ainsi sont rétablies des réalités plus humaines que les stupides anathèmes noir-blanc dont nous sommes abreuvés. Mais tout de même… Rappelez-vous, le 5 février 2003, l’impeccable Colin Powell acclamé dans le monde entier comme le dernier îlot de raison dans ce déchaînement de passions aveugles qu’était l’administration Bush, qui nous présentait, imperturbable, devant l’ONU réunie en conclave mondial, un impressionnant monument de bobards qui était une insulte à la raison et au bon sens. Derrière lui, le directeur de la CIA, opinant, peut-être un peu gêné qui sait, songeant à la NIE du jour… Le fait est que six années de virtualisme échevelé ont fait voler en éclats la notion même de réalité, sans parler de vérité.

Pour le cas précis de cette affaire de la NIE 2007 et de la crise iranienne, pour cet instant de notre temps historique, il ne fait aucun doute que le choc a eu lieu, puissant et dévastateur, et que ses effets sont avec nous. Il y aura des conséquences. La poussée belliciste en est complètement déjantée, désormais perçue justement comme folle et hystérique, – bonne proclamation d’une évidence qu’on sent si forte. Le risque d’attaque est écartée, sauf pour les cas extrêmes que certains n’excluent absolument pas, bien au contraire, et avec d’excellents arguments puisqu’ils se réfèrent à la psychiatrie, seule grille d’analyse sérieuse pour comprendre les intellectuels assermentés du pouvoir et les dirigeants aujourd’hui (voir la rubrique du jour de Justin Raimundo).

La question posée concerne l’avenir. NIE 2007 a achevé, en renversant le complot initial des virtualistes, la complète “subjectivisation” de la perception de l’état du monde. Il fallait en passer par là parce qu’il faut désormais appeler les choses par leur nom : les fous sont effectivement fous, et l’on sait à qui nous faisons allusion ; et la cohorte de médiocres ou de conformistes de la trouille permanente qui a suivi ces fous ne constitue en rien une garantie quelconque que le rétablissement de la réalité du monde par la NIE 2007 comme nous la présentons soit hors d’atteinte d’une mise en cause radicale. Tout peut à nouveau être renversé demain, – simplement, désormais, le doute n’est plus possible sur la réalité psychologique du drame qui nous menace, et qui nous menacerait éventuellement demain.

On sait de quel côté nous nous plaçons. Mais il est bon de savoir que, désormais, l’information qui sous-tend, conduit, alimente la grande politique du monde est absolument soumise à la relativité du jugement qu’on porte sur elle. Les manipulateurs de la NIE 2007 ont réussi un coup de maître, d’abord parce qu’ils ont pris des risques, ensuite parce qu’ils ont choisi une méthode médiatique extrêmement efficace. Désormais, la perception du monde est une bataille sans pitié, à visage découvert; jusqu’alors et depuis 9/11, elle était un poignard que les fous plantaient à répétition dans le dos de ceux qui refusent la folie où ils nous entraînent. Ceci, – “la perception du monde [comme] une bataille sans pitié”, – est une affirmation absolument subjective de notre part, sans hésitation, sans remords, avec un cynisme plein de mépris pour ces aliénés qui nous dirigent. Que ces derniers, les aliénés, aient été mis KO pendant deux ou trois jour ou même deux ou trois heures par la NIE 2007 est déjà un don du Ciel. Toujours ça de pris.

Quelle substance de la politique de la civilisation?

Depuis deux ans et demi de façon appuyée (symboliquement, depuis le 21 février 2005, jour où GW Bush annonça à Bruxelles «all options are on the table», et que nous en conclûmes qu’on préparait celle de l’attaque de l’Iran), la politique mondiale vis-à-vis de l’Iran tourne autour de la question: faut-il ou ne faut-il pas attaquer l’Iran? C’est une question barbare, du type de celles que se posait Hitler, – car, pour être hystérique, on n’en est pas moins réfléchi sur l’opportunité et les moyens d’une attaque, – du moment que c’est l'idée de l’attaque armée qui gouverne la pensée. La politique mondiale est une politique qui a sombré dans la barbarie de l'esprit faible animé par la seule hystérie, dont la seule pensée va vers le moyen de la force extérieure à l’esprit, pour compenser son impuissance.

Par contraste à ce qui a précédé et qu’elle démolit un instant sans garantie de la suite, la NIE 2007 met en évidence l’extraordinaire chute dans la barbarie que constitue la politique du monde par rapport à celle que prônaient les grands esprits que nous aimons à célébrer (un Talleyrand, un Chateaubriand, un Maistre, un Ferrero et ainsi de suite, – on connaît nos faiblesses). Elle est une excellente contribution à l’éclairage crue, – un instant mais diantre, quel instant! – du trou noir de décadence où nous sommes tombés, dans ce puits d’inculture, d’ignorance et de suffisance à mesure. Nous ne pouvons plus concevoir les rapports entre les nations, entre les pouvoirs, entre les groupes, entre les gens, qu’en mesure de force, en mesure de ce qu’on nomme “la force brute”. Et nous savons bien, aujourd’hui, que la force n’est pas le produit de l’honneur et de l’héroïsme mais de la machinerie sans âme du système, des grossières extravagances mécanistes de la technologie, de la robotisation de la pensée qu’est la publicité, et toute cette sorte de choses qui exhalent la puanteur de la mort de tout espoir de civilisation. C’est ce qu’illustre aujourd’hui notre grande politique du monde tombée dans sa décadence. C’est ce qu’éclaire, toujours cette lumière crue, la NIE 2007 avec tout ce qu’elle provoque et tout ce qui l’accompagne.

Cela ne suffira pas mais c’est tout de même un beau coup de pied dans la fourmillière. Et ce n’est pas fini, – parce que GW Bush n’en a pas fini, les neocons non plus, et que les forces adverses, désormais, ont été libérées de leur inhibition “constitutionnaliste” par le véritable “coup d’Etat” qu’a constitué la publication de la NIE 2007. Remarque d’une de nos sources, qui a beaucoup de contacts avec Washington et qui discutait hier de l’état d’esprit des forces armées avec un de ses correspondants à Washington: «Aujourd’hui, les amiraux de l’U.S. Navy sont au bord de la mutinerie, et cela sera le cas si la politique actuelle continue.»