La cyberguerre, un casus belli de plus

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Il est un fait que depuis quelques jours le monde plantureux et postmoderne des affaires de défense US raisonne des bruits d’une monstrueuse attaque cybernétique (le 21 mai) contre quelques géants de l’armement aux USA. Le principal objectif fut Lockheed Martin, qui tente toujours de réparer les dégâts et de rétablir un bon fonctionnement de son infrastructure électronique. L’attaque est si dévastatrice qu’elle aurait compromis pour l’instant tout travail de gestion générale du programme JSF, et qu’elle serait la cause de la remise de la décision de restructuration du programme, annoncée par le Pentagone pour le 27 mai et reportée au 14 juin, si tout se passe bien d’ici là. (Voir par exemple, pour les détails techniques supposés de cette attaque, le site DailyTech, le 30 mai 2011.)

L’attaque est considérée avec tant de sérieux, à cause des dégâts causés, que le président Obama soi-même, malgré ses nombreuses occupations si importantes, est personnellement tenu au courant. C’en est donc au point où le Pentagone envisage de considérer une cyberattaque comme un acte de guerre formel, conduisant à une possible riposte militaire qui ne prendrait pas nécessairement une forme de cyber riposte, mais une riposte vraie de vraie, avec bombes, discours publics et tout le reste. C’est le terme “formel“ qui nous importe, et non pas les bruits de cyberguerre qui font l’objet de bavardages énervés depuis des années par tous les spécialistes du domaine, anxieux d’être enfin prix au sérieux… Eh bien, ils le sont désormais, nous suggère le Wall Street Journal, selon l’AFP relayée par SpaceWr.com le 31 mai 2011.

«The Pentagon has adopted a new strategy that will classify major cyber attacks as acts of war, paving the way for possible military retaliation, the Wall Street Journal reported Tuesday. The newspaper said the Pentagon plans to unveil its first-ever strategy regarding cyber warfare next month, in part as a warning to foes that may try to sabotage the country's electricity grid, subways or pipelines. “If you shut down our power grid, maybe we will put a missile down one of your smokestacks,” it quoted a military official as saying.

»The newspaper, citing three officials who had seen the document, said the the strategy would maintain that the existing international rules of armed conflict – embodied in treaties and customs – would apply in cyberspace. It said the Pentagon would likely decide whether to respond militarily to cyber attacks based on the notion of “equivalence” – whether the attack was comparable in damage to a conventional military strike. Such a decision would also depend on whether the precise source of the attack could be determined.

»The decision to formalize the rules of cyber war comes after the Stuxnet attack last year ravaged Iran's nuclear program. That attack was blamed on the United States and Israel, both of which declined to comment on it.»

Si l’on y prend garde, on trouve dans ces quelques phrases le monde chatoyant et séduisant, sans cesse en évolution, sans cesse “progressiste” dans les trouvailles, d’un des centres fondamentaux de la folie d’autodestruction du Système qu’est le Pentagone. On ne s’attardera pas ici sur le décompte catastrophé concernant les dégâts que peut causer une cyberattaque, une litanie apocalyptique répétée avec gourmandise par les experts du domaine, qui ont ainsi l’impression de gagner une considération de taille dans le Système. On notera bien entendu, comme suggéré plus haut, que le premier effet pour le cas considéré est d’avoir porté un coup de plus, – elle n’en avait pas besoin, la pauvre âme, – au programme JSF. (Effectivement, le JSF serait actuellement hors de tout contrôle de gestion centralisé à cause de l’attaque, et même la date de 14 juin pour les décisions à ce propos, qui devaient être prises le 27 mai, n’est pas sûre d’être tenue ; cette date table sur l’hypothèse que LM aurait réussi à récupérer le complet contrôle de la chose, ce qui n’est nullement dit, d’autant moins dit selon ce qu’on sait des performances courantes de LM.) Venons-en aux choses plus importantes, ou qui nous importent.

• Il y a une volonté manifeste de faire entrer la cyberguerre dans un cadre légal, celui des traités divers existants, ce qui est une démarche majeure de légalisation qui promet des complications absolument dévastatrices. Certes, cette “légalisation” se fait dans un monde en plein processus de destruction de la légalité fondamentale. Mais le Système, qui préside à cette destruction du cadre légal général, entend continuer à affirmer une légalisation absolument factice sur les matières technologiques d’agression, notamment pour justifier la poursuite du développement de ces matières : quelle meilleure justification de la poursuite d’un processus que de l’“enfermer” dans un cadre légal, – puisqu’ainsi c’est d’abord le processus qu’on légalise ?

• Ce “cadre légal” implique que la guerre classique (attaque militaire unilatérale) au nom d’une réponse à une cyberattaque devient également légale, selon le point de vue du Pentagone. Il semblerait que ce point de vue sera légalisé dans un document officiel sur le thème, sans doute rendu public ce mois-ci. Ainsi aura-t-on, selon une proclamation absolument unilatérale du Système, la légalisation d’une guerre selon des moyens militaires conventionnels en riposte à une cyberattaque dont l’instigateur est pratiquement impossible à déterminer selon des normes légales (la technologie comme argument d’identification, ou la sanctification légale des faussaires, – pardon, des experts du domaine). Il s’agit donc d’un monstre de plus, mais dans une ménagerie humaine et systémique qui n’est plus faite que de monstres.

• La décision de lancer un processus pour instituer une “guerre légale” suite à une cyberattaque a été prise, nous dit-on, après l’attaque Stuxnet contre l’Iran. L’annonce de la chose, dans la dépêche citée, est absolument charmante, dans le style Orwell revu-Ubu : «The decision to formalize the rules of cyber war comes after the Stuxnet attack last year ravaged Iran's nuclear program. That attack was blamed on the United States and Israel, both of which declined to comment on it.» Ainsi, c’est donc au nom d’une attaque très probablement montée par les USA et Israël de concert que les USA ont décidé d’envisager le concept de guerre classique en riposte à une cyber attaque ; ainsi le Système, dans un même souffle, joue-t-il, exactement au même moment (lors de l’attaque de Stuxnet), le rôle de l’agresseur qu’il faut punir en légalisant une riposte contre lui et celui de la victime de l’agresseur qui a le droit légal de riposter ; et décide-t-il, lui le Système, de prendre les mesures adéquates… Le sens de l’ironie involontaire et de l’impudence en toute innocence mécanique du Système est sans limites connues, reconnaissons-lui au moins cela. (On ne parlera même pas de cynisme, car voir une manigance dans tout cela, – lancer Stuxnet pour justifier sa propre guerre, – n’a aucun sens ; on profiterait plutôt d’une attaque contre soi-même, – il y en a déjà eu avant Stuxnet et il y a celle du 21 mai, – pour annoncer une telle décision. Cette circonstance, – tenir en même temps le rôle de l’agresseur qu’il faut punir et le rôle de la victime de l’agresseur qu’il faut défendre, – est clairement un acte normal du Système, de son aveuglement, de la folie causée par sa surpuissance et ainsi de suite ; bref, l’acte normal d’un fou ivre de sa surpuissance et fasciné par son autodestruction.)

• Pour ceux que cela intéresse, on peut signaler qu’on avait déjà entendu les gros sabots cloutés du Système se mettre en marche jusqu’à l’aboutissement d’aujourd’hui, avec la création du Cyber Command par le Pentagone. La création d’un “Command”, dans le Système, sous-section Moby Dick, est une sorte d’acte spasmodique, une sorte d’incontinence ou, mieux, de défécation inconsciente, signalant qu’une chose importante se prépare… Après le Cyber Command vient le casus belli qui permet de voir la cause justifier, bien après coup, la conséquence de cette cause postérieure.

Bref, le résultat est que nous avons un casus belli de plus, un terrain d’affrontement désormais en voie de légalisation dans un monde où le processus de légalisation ne concerne plus que les actes d’agression et de destruction. Le Système est donc plus que jamais égal à lui-même, et sa logique autodestructrice se poursuit sur le même mode turbo. D’un point de vue pratique, cette époque menant à la légalisation de la cyberguerre marquée par l’agressivité US et du bloc américaniste-occidentaliste, se signale d’ores et déjà par des résultats intéressants. Plusieurs “agresseurs”, suscités par les alarmes voire les agressions US dans ce domaine et dans d’autres, se sont révélés, dont l’attaque contre LM marque l’efficacité. Parmi les pays dont on dit qu’ils ont de très grandes capacités, peut-être supérieures à celles des USA, la Russie et surtout la Chine. Qui cela étonnera-t-il ? Qui ne goûtera également l’ironie des choses, si la Chine, pays souvent jugée avec dédain comme arriéré et en dehors de la “sphère d’excellence”, dite “anglosphère” à l’intérieur du bloc américaniste-occidentaliste, se révèle supérieur aux phares anglo-saxons dans un domaine qui est si cher à ces phares en question ? Rien d’étonnant, en effet, qu’un de ces pays où subsistent des restes de tradition puisse prendre le dessus par rapport aux entités complètement subverties et abruties par le Système, dans un domaine qui est l’accomplissement de la modernité par excellence, donc le domaine par excellence de l’aspect quantitatif, donc le domaine de la bassesse et de la pauvreté spirituelle de l’extrême d’une civilisation devenue “contre-civilisation”.


Mis en ligne le 1er juin 2011 à 09H20