La dépression syrienne (étendue au bloc BAO) s’accentue...

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La dépression syrienne du bloc BAO s’accentue...

Le 11 mai 2013, nous nous aventurions à explorer ce que nous désignions comme une “phase dépressive” des USA vis-à-vis de la Syrie, vis-à-vis de leur politique en Syrie. Nous constatons que cette phase dépressive se poursuit, cette fois dans le chef du secrétaire d’État Kerry (et qu’elle s’étend d’ailleurs, la phase, aux autres composants du bloc BAO). Kerry a fait des commentaires particulièrement peu flatteurs pour ce qu’a été jusqu’ici la politique US en Syrie. La dépression est largement alimentée par les événements de Turquie qui accentuent le désordre d’une façon générale, et qui affaiblit dramatiquement un membre-clef de la vertueuse famille des “Amis de la Syrie“.

• Kerry constate qu’il n’y a pas vraiment d’autre issue que de tenter quelque chose par la diplomatie, – dito, la conférence Genève-II qu’ils (USA et Russie) tentent désespérément de réunir. Dans la foulée, Kerry observe implicitement, en notant que la diplomatie US a été bien lente, quelle occasion ratée a été la conférence de Genève (disons, Genève-I) d’il y a presque un an (voir le 3 juillet 2012), immédiatement et incroyablement torpillée par Hillary Clinton, disant aussitôt, quasiment au sortir de la conférence, le contraire de ce qu’elle venait de signer. Kerry ne se fait pas précisément une amie dans le chef de la guerrière Hillary, en faisant ses remarques, notamment présentées par le New York Times, le 4 juin 2013, – mais il parle d'or et il parle vrai.

«The United States came “late” to efforts to find a political settlement to the war in Syria, Secretary of State John Kerry said Monday, as the crisis there deepened with the political uncertainty in neighboring Turkey. Mr. Kerry said an international conference — which he and his Russian counterpart proposed in Moscow nearly a month ago — remained the best approach for ending the fighting, but his remarks carried the implication that the Obama administration had moved too slowly in its first term to seek a negotiated political solution to a conflict that erupted more than two years ago and turned into a war.

»“This is a very difficult process, which we come to late,” Mr. Kerry said after meeting at the State Department with Poland’s foreign minister, Radoslaw Sikorski. “We are trying to prevent the sectarian violence from dragging Syria down into a complete and total implosion where it has broken up into enclaves, and the institutions of the state have been destroyed, with God knows how many additional refugees and how many innocent people killed,” Mr. Kerry said.»

Bien évidemment, la porte-parole du département d’État a tenté de mettre quelques dorures sur la pilule en disant qu’il ne faut pas voir dans ces déclarations de “critiques implicites” de “qui que ce soit” («It’s not an implied criticism of anyone — more just a recognition that more needs to be done and that’s what we’re focused on»), – ce qui confirme parfaitement qu’il s’agit de critiques implicites qu’on peut désormais prendre pour explicites, et qu’il s’agit bien d’Hillary. Là-dessus viennent les interprétations qui tendent à élargir le propos, comme c’est le cas de PressTV.ir, ce 4 juin 2013. La station TV iranienne voit dans les déclarations de Kerry, sans déplaisir excessif, la reconnaissance du déclin de l’influence US sur les événements du Syrie. («US Secretary of State John Kerry has hinted declining American ability to influence events inside Syria in favor of the anti-Damascus foreign-backed insurgents, saying Washington’s involvement in Syrian crisis came “late”.»)

• On se tourne du côté israélien pour voir se confirmer une situation qui tend à devenir structurelle, qui s’exprime par une constante désunion sur l’évaluation de la situation syrienne, et de la politique syrienne d’Israël, au sein de la communauté de sécurité nationale israélienne. Cette situation, justement par cet aspect structurel que nous soulignons, est un signe de la décadence de la politique de sécurité nationale israélienne. La situation nouvelle de l’implication d’Israël dans la “guerre syrienne” est le domaine qui met en évidence cette décadence, mais cela n’en est pas la cause bien entendu. Simplement, avec l’état de la “guerre syrienne” et la situation de l’implication israélienne dans la “guerre syrienne”, la décadence devient un cas urgent et pressant. De ce point de vue, on peut dire que la situation israélienne suit celle des USA telle qu’on l’a décrite plus haut, selon le commentaire iranien, d’une «declining [...] ability to influence events inside Syria».

Un exemple met en évidence cette situation, avec les déclarations du ministre de la défense Moshe Yaalon le 3 juin devant la Knesset, selon lesquelles les rebelles occupent encore quatre districts de Damas et que ce qu’on pourrait nommer “la bataille de Damas” se poursuit donc. DEBKAFiles, qui représente comme l’on sait les, ou “des” milieux de sécurité nationale israéliens, réagit avec violence dans un rapport du 4 juin 2013 :

«When Israeli Defense Minister Moshe Ya’alon informed a Knesset panel Monday, June 3, that Syrian rebels still occupied four Damascus districts, DEBKAfile’s intelligence sources reported that the battle for the Syrian capital was all but over. Barring small pockets of resistance, Bashar Assad’s army had virtually regained control of the city in an epic victory. From those pockets, the rebels can’t do much more than fire sporadically. They can no longer launch raids, or pose threats to the city center, the airport or the big Syrian air base nearby. The Russian and Iranian transports constantly bringing replenishments for keeping the Syrian army fighting can again land at Damascus airport after months of rebel siege.»

Nous avons déjà effleuré ce thème (souvent à la lumière des rapports de DEBKAFiles qui sont révélateurs par rapport à la ligne de cette publication) et nous l’amplifions ici. Il s’agit du constat que cette atmosphère de désaccord et de polémique au sein de la communauté de sécurité nationale israélienne nous rappelle la période d’affrontement interne née à la fin de la “deuxième guerre du Liban” de l’été 2006 d’Israël contre le Hezbollah, prolongée et amplifiée après la cessation des combats. Cette fois la polémique précède en quelque sorte un éventuel affrontement (en Syrie), ou plus certainement, a lieu sans que l’affrontement que la justifierait ait lui-même lieu et qu’il ait nécessairement lieu dans le futur. (On pourrait même dire que cette polémique interne tendrait plutôt à installer un climat de paralysie à cet égard.) Bien entendu, on déduit d’une façon générale qu’une telle situation de tension interne reflète effectivement un malaise interne important dans la direction et les organes de sécurité israéliens.

Le même rapport de DEBKAFiles développe sa critique de l’appréciation officielle et l’élargit à divers autres éléments, mettant notamment en cause les conditions et les effets des attaques israéliennes du début mai contre la région de Damas. La thèse de DEBKAFiles est que le renseignement israélien est “trop lent”, et qu’il n’est en général pas très bon, sinon exécrable. (On a déjà vu récemment une évaluation très négative du renseignement israélien, en général bénéficiant d’une réputation quasiment “sacro-sainte“, le 22 mai 2013.) Donc DEBKAFiles poursuit, un peu plus loin dans son texte...

«Senior IDF officers criticized the defense minister’s briefing on Syria Monday to the Knesset Foreign and Defense Committee in which he estimated that Bashar Assad controlled only 40 percent of Syrian territory as misleading. They said he had drawn on a flawed intelligence assessment and were concerned that the armed forces were acting on the basis of inaccurate intelligence. Erroneous assessments, they feared, must lead to faulty decision-making. They cited two instances:

»1. On May 5, the massive Israeli bombardment of Iranian weapons stored near Damascus for Hizballah, turned out a month later to have done more harm than good. It gave Bashar Assad a boost instead of weakening his resolve.

»2. Israel has laid itself open to unpleasant surprises by its focused watch on military movements in Syria especially around Damascus to ascertain that advanced missiles and chemical weapons don’t reach Hizballah. Missed, for instance, was the major movement by Hizballah militia units towards the Syrian-Israeli border. Our military sources report a Hizballah force is currently deployed outside Deraa, capital of the southern Syrian province of Horan. Reinforcements are streaming in from Lebanon. The Hizballah force and Syrian units are getting ready to move in on the rural Horan and reach the Israeli border nearby through the Syrian Golan.»

• A ces observations pessimistes sur le climat à Washington et en Israël concernant la situation syrienne, on pourrait ajouter quelques nouvelles, impressions, perceptions “climatiques” (le climat de la chose) venues des milieux européens, et notamment de la part de certains milieux des représentations nationales dans ces instances européennes, de la part de pays engagés en pointe dans l’affaire syrienne. Cette impression générale concerne le constat d’une appréciation du rôle et des capacités de la Russie dans le conflit syrien. Depuis le début du conflit, et surtout depuis le veto sino-russe de février 2012, le jugement de l’attitude russe était très sévère. Il opposait cette nouvelle attitude russe, mise au compte de l’arrivée de Poutine, à celle de grande “coopération” de la Russie qui avait accompagné l’affaire libyenne un an auparavant. Le jugement était que les Russes, qui avaient suivi la “bonne voie” avec la Libye, s’aventuraient, avec la crise syrienne, dans une voie sans issue et un isolement par rapport à la “communauté internationale” qui leur coûterait cher. Le contexte était alors que la Libye avait été un grand succès et que Assad “allait tomber dans quelques semaines”. Ce contexte absolument basé sur une narrative et instrumenté par une folle politique de l’affectivité, est aujourd’hui pulvérisé. L’aventure libyenne a accouché d’un monstre et se développe comme une catastrophe structurelle, tandis qu’Assad est toujours au pouvoir, dans une réelle position de force qui lui permet de monter des contre-offensives, voire des offensives tout court. Parallèlement, et après un temps de maturation qui a permis d’enfin apprécier l’impasse de cette politique du bloc BAO, l’évaluation de la position et de la politique russes a complètement basculé.

Désormais, dans ces milieux, on ne jure plus que par les Russes et leur politique. L’appréciation faite de l’action d’un Lavrov est extrêmement positive, avec un sentiment d’admiration pour ses capacités et sa maîtrise dans la conduite de la politique russe. Il est manifeste que, comme dans le cas de Kerry et de Washington, la coopération avec les Russes selon leurs propres termes (ceux des Russes), et la voie diplomatique qu’ils recommandent depuis plus d’un an, constituent la seule issue possible... Ou, du moins, la seule issue éventuelle, car il est vraiment très loin d’être acquis que la conférence de Genève-II puisse seulement avoir lieu à cause de la situation chez les rebelles syriens et de l’embourbement kafkaïesque que sont devenues les politiques des pays du bloc BAO, complètement prisonnières de leur maximalisme aveugle depuis des mois et des mois. (Le jugement vaut surtout pour la France, qui semble poursuivre l’objectif quasiment fascinatoire pour elle de développer la plus inepte et grotesque politique qui soit vis–à-vis de la Syrie, avec le ministre des affaires étrangères le plus dépourvu de la moindre substance de pensée, le plus vide conceptuellement qu’ait jamais eu à supporter ce pays. Cette situation ne cesse d’étonner par sa constance et sa constante réaffirmation.)

Il s’agit donc bien d’un épisode gravement dépressif, et sans le moindre signe d’une possible réaction de résilience à l’horizon. Il semble bien que le bloc BAO soit destiné à observer avec un accablement grandissant, puisque la vérité de la situation semble désormais l’affecter, les conséquences en chaîne des effets de la catastrophique politique qu’il a suivie, alors même qu’il reste enchaîné en bonne partie à cette politique, par ses engagements et ses rodomontades publiques qui le tiennent otage de ses choix maximalistes initiaux, et également otage des rebelles qui ont bénéficié de son soutien aveugle et qui se manifestent eux-mêmes par leur propre désordre, celui de leurs querelles internes et paralysantes. A cet égard et comme nous l’avons déjà souligné, il nous paraît évident que la diplomatie puissante et avisée de la Russie ne suffira pas à elle seule à susciter un nouvel équilibre, avec un rééquilibrage de la situation.

Il est effectivement acquis, comme un premier fait objectif à leur avantage, que les Russes sont les maîtres du jeu, qu’ils sont désormais considérés comme les principaux acteurs dans la région ; mais le désordre général dans la région est un autre fait objectif très puissant sinon désormais structurel, qui échappe à leur maîtrise comme il échapperait en fait à quelque maîtrise humaine que ce soit. De ce point de vue et concernant ce second fait objectif, et comme il a déjà été signalé dans le cas US, les troubles et même la crise en Turquie ont ajouté un élément très important. Bien que nombre de commentateurs s’évertuent à juger cette crise selon les seuls paramètres intérieurs, autour de la personnalité d’Erdogan par rapport à cette seule situation intérieure, selon des situations-type et des sujets finalement rassurants de type “sociétal” et culturel, avec le sempiternel débat sur la situation de la démocratie, – malgré cet écran de fumée de bavardage donc, le véritable et très puissant impact de la crise turque se fait et se fera sentir sur la situation de désordre général de la région et de l’incertitude qui va avec, en les aggravant bien entendu. La crise turque doit s’insérer parfaitement, pour la renforcer bien entendu, dans ce que nous nommons l’infrastructure crisique qui emprisonne les directions politiques, surtout celles du bloc BAO, en général prisonnières elles-mêmes de leurs postures de communication, de leurs narrative et de leur affectivité. L’infrastructure crisique entretient le désordre d’une façon constante, en y ajoutant des éléments supplémentaires au gré des situations particulières. Le cas de la Turquie en est un, en plus d’être l’occasion du bavardage courant qui nous occupe en renforçant l'infraresponsabilité régnante et en donnant l’illusion d’une narrative où nous maîtriserions encore les événements, sur la démocratie, la confrontation des valeurs libérales avec les diverses autres, l’évolution progressiste du monde, éventuellement pourquoi pas le mariage gay...


Mis en ligne le 5 juin 2013 à 08H18