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1400La majorité des vingt cinq millions des producteurs de café à la fin du siècle dernier étaient des paysans qui travaillaient sur des petites exploitations de 1 à 5 hectares. Le cours du café avait longtemps été maintenu autour de 1,4 $ à 1,2 $ la livre par l’International Agreement Coffee (IAC), assurant un revenu stable sinon décent aux producteurs. En 1989, a été mis fin à l’IAC. Très vite, le prix de la livre de café s’est effondré à moins de 0,5 $. Une poignée de firmes multinationales qui contrôlent ce secteur agro-alimentaire, Nestlé, Sara Lee, Kraft, Procter and Gamble et Tchibo, ont vu leurs profits grossir de 17 à 26 % tandis que les paysans producteurs d’Éthiopie, du Brésil, du Vietnam, contraints à la monoculture par l’intégration coloniale à l’économie mondialisée, ruinés et réduits à la famine ont disparu.
Mike Davis avait démontré (1) que les famines de la fin du 19ème siècle (1876-1879, 1889-1891) et du début du 20ème (1986-1902) ne sont que très partiellement expliquées par le phénomène El Nino Southern Oscillation (ENSO). Le courant marin el Nino est le deuxième élément important de variation climatique après les saisons, il entraîne des moussons faibles et des sécheresses sur une bonne partie de l’Asie, de l’Afrique et de la zone nord orientale de l’Amérique du Sud. Le facteur majeur de la pénurie alimentaire qui avait fait entre 30 à 60 millions de morts est lié à une organisation libérale de l’économie imposée aux contrées colonisées et singulièrement à l’Inde par la force armée.
Salaires trop faibles et chômage élevé entraînent un droit d’accès très restreint aux ressources alimentaires, une crise politique ou climatique même mineure déclenche alors une famine.
En 1876-1879, les négociants britanniques en céréales ont exporté 300 000 tonnes de céréales de l’Inde vers l’Europe, tonnage record, le drainage s’était fait par voie ferrée. Les wagons transitaient par des zones où des morts vivants affamés tombaient d’inanition par centaines de milliers. Des organisations caritatives ont tenté d’apporter une aide alimentaire d’urgence, mais les marchands obtinrent le vote par le Parlement britannique d’une loi «anti-contributions charitables». Elle interdisait les donations qui pourraient interférer avec le prix des céréales, donc réduire leurs bénéfices.
Ce sont des facteurs politiques qui structurent l’ « écologie politique de la famine ».
Aux Us(a), les Marchés à Terme de Chicago, Kansas City et Minneapolis des céréales lancés après la Guerre de Sécession ont contribué à modérer les fluctuations de leurs prix, protégeant les agriculteurs des aléas météorologiques. Cette forme d’assurance a permis aux fermiers américains d’investir dans leurs entreprises agricoles, de mécaniser et de concentrer la propriété, stimulant l’industrie agroalimentaire. Le surplus de céréales pendant la Guerre froide a même fourni une arme stratégique « humanitaire » aux Us(a).
Aux acteurs habituels, fermiers vendeurs et Nestlé, Mac Donald, Kraft acheteurs utilisateurs, sont venus se superposer plus tard les spéculateurs qui ne consomment ni ne produisent les matières premières.
En 1991, sous la présidence de Gary Cohn des ingénieurs financiers de la Goldman Sachs ont innové et élaboré un produit d’investissement dérivé qui regroupe 24 matières premières, depuis le pétrole, les métaux précieux, soja, mais, blé en passant par le bétail et le cacao selon des formules mathématiques, le fameux Goldman Sachs Commodity Index. (GSCI) Depuis, toutes les banques d’affaires proposent les leurs.
La dérégulation du Marché à Terme des matières premières en 1999 avec l’éclatement de la bulle Internet en 2000 puis celle des subprimes en 2007 a dirigé l’appétit des spéculateurs sur ce type d’indice jusque là relativement épargné. De 20% avant 2000, les contrats spéculatifs des mat ères premières sont passés à plus de 80% en 2006. Entre 2003 et 2008, la spéculation sur les matières premières au moyen de fonds indexés avait augmenté de 1900% selon le rapporteur devant le Sénat américain et de 2300%
Depuis les émeutes de la faim de 2008, répétition générale et prélude aux soulèvements des peuples arabes, rien n’a été fait pour introduire une régulation qui limiterait la spéculation sur ce marché. Énergie et denrées agricoles sont liées bien au-delà des produits structurés concoctés et vendus par les banquiers. Il faut du pétrole pour les engrais et les tracteurs. À l’inverse, 30% du mais américain, 50% de la canne à sucre brésilienne et 64% de l’huile de colza européenne fournissent des biocarburants.
L’afflux des liquidités sur les marchés grâce aux Quantitative Easing déversés par Ben Shlomo Bernanke aux commandes de la Federal Reserve s’éponge dans cette activité absorbante.
Un rapport de la Banque Mondiale en cette fin d’août indique que le prix du mais a doublé en deux ans, la tonne a été vendue à 300 $, celui du soja a doublé en cinq ans, à 600 $ la tonne.
L’augmentation du prix de ces deux denrées a induit une hausse de 10% du budget de l’alimentation, mettant en péril potentiel les populations de l’Orient dit moyen et de l’Afrique dépendantes de l’importation pour se nourrir. Actuellement, les maigres récoltes de soja et de mais semblent compensées par une récolte exceptionnelle de riz. Les conséquences catastrophiques prévisibles d’el Nino sur le blé australien seront-elles l’occasion d’une poussée de fièvre spéculative comme en 2008 ?
Dans ces conditions inchangées d’auto-dévoration financière, plus d’un siècle après les génocides tropicaux organisés par l’impérialisme occidental, dans quel sous-continent le prochain printemps social fleurira-t-il ?
Badia Benjelloun
(1) Mike Davis, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales.Aux origines du sousdéveloppemnt, La Découverte, 2003.
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