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119118 février 2010 — Le programme JSF (F-35) a entrepris son travail de termite. Sa propre crise, qui est systémique et constitue le cœur de la crise du Pentagone, commence à essaimer comme autant de métastases vers le personnel de la direction du Pentagone.
Nous citons ici quelques nouvelles en vrac, – l’historiographie documentaire de la catastrophe-JSF constituera bientôt une bibliothèque à elle seule, – qui marquent les plus récentes péripéties.
• Lors d’une visite en Australie, pays qui a commandé 100 exemplaires du JSF, le n°2 du Pentagone Bill Lynn a annonce très officiellement à la fois les nouveaux délais dans le développement et les augmentations de prix. Pour ce dernier cas (le prix), Lynn s’avoue incapable de dire aux Australiens combien leur coûtera l’avion. (Pour mémoire, il s’agit d’un programme vieux de 16 ans.) Selon The Australien du 15 février 2010:
«The massive Joint Strike Fighter project is going to be delayed and cost more, the US Deputy Secretary of Defence Bill Lynn says. But Mr Lynn could not say by how much the cost overruns and delays would increase the price tag for the Australian government, which in November committed $3 billion to buy an initial batch of 14 yet-to-be-completed F-35 warplanes. […] “The development was originally projected to last an additional 30 months, we think with the additional test aircraft it will be closer to a delay of about 12 or 13 months but I can't give you the cost numbers,” Mr Lynn said today during the official opening of a $300 million shipbuilding precinct in South Australia.»
• Le 16 février 2010, sur son
• Les Hollandais eux-mêmes s’alarment de l’évolution du programme et une lettre du Secrétaire d’Etat à la défense De Vries, du 16 février (voir JSF Nieuws du même 16 février 2010) annonce au Parlement les divers problèmes qui ont surgi, notamment la probabilité de l’infraction par le programme de la loi Nunn-McCurdy. Le monde politique hollandais s’apprête à entrer dans une nouvelle période de tension concernant le programme JSF.
• L’attitude officielle du système, devant cette avalanche de catastrophe, continue à être : “tout va s’arranger”. L’édito du New York Times du 16 février 2010 n’aurait même pas trouvé sa place dans la Pravda de la grande époque, farci d’hypocrisies, de contre-vérités et d’erreurs factuelles. L’esprit de la chose est résumée par ce paragraphe, du type “nous sommes contents”: «That is why we are pleased to see Defense Secretary Robert Gates taking strong steps to revitalize the struggling F-35 Joint Strike Fighter program.»
• On rappellera un article du 5 février 2010 de Bill Sweetman, dans Aviation Week & Space Technology. Sweetman y annonce une série de mauvaises nouvelles, notamment la probabilité que le prochain rapport Selected Acquisition Report (SAR) du Pentagone devrait annoncer, en avril ou en mai, que le F-35 transgresse la loi Nunn-McCurdy sur les dépassements de coût des proigramme, ce qui impliquera des engagements draconiens majeurs du Pentagone, avec possibilité/probabilité d’une restructuration du programme. Parmi les problèmes annoncés, des problèmes techniques graves pour le F-35C de la Navy: «Another cloud on the horizon, says DOTE: “F-35C predicted takeoff speeds continue to increase and now exceed tire limits in hot and high-density-altitude environments.” One source calls the F-35C “a looming scandal,” separate from the dire predictions of operating cost issued by the Navy in January.»
• …Le même Sweetman, qui termine par ce rappel, qui nous apparaît fondamental, à la lumière de l’orientation du programme: «Last month, Goldman Sachs downgraded Lockheed Martin stock from “neutral” to “sell.” “We expect 2010 to be a year of major challenges and constant negative headlines on the JSF program.” Say what you want about Wall Street, they called that one right, and it’s only February.»
@PAYANT Poursuivons sur ce dernier point: pourquoi ce rappel des prévisions de Wall Street (Goldman-Sachs) sur la cotation LM nous apparaît-il fondamental? Parce que c’est la première fois depuis le 11 septembre 2001, et même en deçà, que la cotation en bourse de Lockheed Martin est menacée de la sorte, d’une part; parce que c’est la première fois que la cotation en bourse de ce même LM, en hausse spectaculaire depuis 9/11 à cause des augmentations du budget du Pentagone et des multiples aventures extérieures, apparaît menacée par un développement purement intérieur au système, et un développement dépendant de ses seules “prouesses” technologiques et gestionnaires. C’est ainsi, en effet, que nous passons du domaine extérieur de l’expansion hégémonique américaniste, dont les ventes d’armes et les dépenses militaires sont le dernier vestige triomphant, au domaine intérieur de la capacité d’innovation, de gestion et de production du système, qui plonge dans l’abysse d’une catastrophe hors de contrôle. Le JSF est l’un des premiers piliers de la puissance américaniste à nous prouver, via l’incollable Goldman-Sachs de Wall Street, que la réalité des termites de l’intérieur a désormais pris le dessus sur la fiction des loups de l’extérieur.
Il n’en faut pas plus pour observer combien l’évolution du programme JSF, avec ses diverses conséquences “collatérales”, est en train de figurer comme un facteur de diffusion accélérée de sa propre crise vers les cadres plus larges où elle se situe. La crise du JSF risque en effet de toucher assez rapidement l’industrie d’armement US, dans le chef de Lockheed Martin et de sa chaîne de fournisseurs. En même temps, la pression de déstructuration sur la programmation des forces aériennes US (USAF principalement, Navy également et Marine Corps) s’accentue. Ainsi deux des principales branches du complexe militaro-industriel sont touchées, tandis que l’importante annexe de l’exportation commence à montrer une inquiétude réelle (attitude de la Hollande, notamment, où les difficultés US sont prises pour la première fois en compte par le ministre De Vries, jusqu’ici impeccable dans son rôle de lobbyist de Lockheed Marrin).
Les divers problèmes qui attaquent de tous les côtés le programme JSF et se répercutent sur les composants du Complexe militaro-industriels ne peuvent être abordés de front, parce que la présentation de relations publiques l’interdit. La communication de LM est à l’image de celle du New York Times (même si le NYT incrimine LM), – c’est-à-dire: quoi qu’il soit arrivé jusqu’ici, les mesures prises par Gates ont constitué l'assurance que le programme continue son développement et qu'il est fondamentalement sain. Cette attitude interdit des mesures plus drastiques, elle interdit l’étude d’alternatives éventuelles au nom du principe d’exclusivité du JSF sur l’avenir des forces aériennes US.
Selon l’état actuel du programme, la seule solution acceptable serait assez proche de celle qu’ont déjà proposée les “réformistes”, Winslow Wheeler en tête. Il s’agirait d’un moratoire d’au moins un an, avec arrêt complet du développement et de la production, pour permettre une restructuration fondamentale, – ou reconnaître que le programme est irrémédiablement vicié. Cela se traduirait par un délai supplémentaire de 2 à 3 ans au mieux, ce qui impliquerait la nécessité au moins d’une solution alternative intermédiaire pour le maintien au niveau minimal des forces aériennes US. Mais cette idée semble impossible à envisager du point de vue de la communication, voire même du point de vue de l’équilibre financier de LM, avec un crash probable à Wall Street si une telle orientation était adoptée et rendue publique, à cause de ses effets psychologiques sur les marchés boursiers.
Pour l’instant, nous vivons dans une situation extraordinaire, celle-ci telle que mentionnée par Sweeyman … «Next question for the Pentagon: will the US services still hold their initial operational capability (IOC) dates? All three operators, under the new schedule, will be declaring IOC before development is completed»: cela signifie que l’annonce de l’entrée du JSF en phase opérationnelle active pour les services (2012 et 2013 pour les Marines et l’USAF) est toujours prévue avant que la phase de développement soit terminée (2014-2015)… Cette situation générale où se heurtent des contraintes de plus en plus exigeantes et des fictions jugées vitales pour le statut des forces conduisent à des perspectives interdisant toute mesure temporaire et menaçant de plonger la puissance US dans une très grave crise.
Revenons en l’élargissant au thème signalé au début de notre commentaire, après les citations d’usage. La question soulevée par Wall Street à propos de LM et du programme JSF fait passer, on l’a vu, la dépendance de la puissance que constitue Lockheed Martin du domaine extérieur, – jusqu’alors triomphant du point de vue des dividendes, – au domaine intérieur, brutalement avec des perspectives très pessimistes.
Au niveau politique de la direction du Pentagone, le JSF est en train d’évoluer de la même façon. Il construit un cadre de crise qui, par son intensité et par l’importance qu’il a lui-même en tant que programme, mobilise de plus en plus les énergies pour tenter de stopper “la spirale de la mort” (“death spiral”) qui le menace. Une partie de plus en plus importante des services de la direction autour du secrétaire à la défense (OSD, ou Office of Secretary of Defense) est mobilisée autour de cette affaire, jusqu’au secrétaire à la défense lui-même. Plus cette mobilisation grandit, plus l’ampleur du problème apparaît, plus elle doit être actée publiquement parce que des échéances existent. C’est un fait extraordinaire qu’au stade de développement d’un tel programme, après 16 années de travail, avec des engagements de huit pays étrangers dans ce programme depuis huit ans, alors que les IOC de l’avion pour les services US restent fixés autour de 2012-2013, le n°2 du Pentagone soit obligé d’avouer aux Australiens qui veulent en commander 100 exemplaires: “Le F-35 sera plus cher que ce que nous vous avions annoncé, mais j’ignore quel sera son prix”.
En une formule qui fait florès aujourd’hui à propos du système politique washingtonien, “the system is brokren”, – celui du Pentagone, cela va de soi. On pourrait faire une description analogique de cette situation du JSF par rapport au Pentagone, en la comparant avec la situation politique. La direction du Pentagone, avec l’aide épisodique et souvent suspecte de LM et des forces armées, représente la majorité démocrate (au Congrès, mais aussi avec le président) à la puissance nominale écrasante. Le programme JSF, lui, devenu presque une chose en soi, représente la minorité républicaine qui se bat d’une façon anarchique, nihiliste, contre cette majorité, ne cherchant qu’à préserver des privilèges (celui d’être le plus gros budget du Pentagone, celui d’être le système exclusif de l’aviation de combat US du XXIème siècle, etc.) qui protègent son statut, conduisant “la majorité démocrate” (la direction du Pentagone) à des compromis sans fin, à des demi-mesures; lui interdisant, parce que cette direction du Pentagone a autant de volonté politique que la vraie majorité démocrate, à décider d’une mesure de rupture fondamentale (moratoire, etc.) qui permette d’étudier sérieusement le problème.
Ainsi la mobilisation de la direction du Pentagone se referme de plus en plus sur un problème général stérile, infécond, qui n’implique rien que la recherche désespérée de la survie d’un programme sans disposer des moyens de le sauver. Pendant ce temps et pour la raison impérative de transfert des priorités bureaucratiques qui est la règle de fonctionnement de la machine, les ambitions extérieures du même monstre (le Pentagone) perdent en priorité, dans le même mouvement constaté à propos de LM. La situation de la structure crisique passe ainsi d’une posture offensive (extérieur, avec tentative d’investissement de positions extérieures) vers une posture défensive (intérieur, avec une nécessité d’affronter des pressions internes grandissantes). C’est un mouvement général de type “extension-contraction” de la crise, entré dans sa phase de contraction.
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