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110719 juillet 2010 — Nous nous reportons à un article de Robert Logan, sur Antiwar.com, dont nous faisons le rapport dans Ouverture libre du 19 juillet 2010. Cet article nous a paru intéressant pour lui-même, pour ce qu’il nous dit effectivement, mais aussi pour ce qu’il nous permet, à nous, de dire comme la confirmation d’une perception que nous développons beaucoup actuellement sur notre “psychologie épuisée” (voir notre F&C du 14 juillet 2010, notre Notes d’Analyse du 17 juillet 2010, ou encore dde.crisis du 10 juillet 2010).
Il est à noter qu’il s’agit d’un cas intéressant d’une réflexion évolutive, de commentaires en commentaires. Logan part de la lecture de plusieurs livres sur le comportement, principalement celui du Dr. George Simon, In Sheep’s Clothing: Understanding and Dealing with Manipulative People, dont la première publication date de 1995. Nous-mêmes appliquons nos propres commentaires, – dans les trois cas, chacun dans un domaine notablement différent... Nous sommes dans une évolution intéressante de la réflexion à partir de données similaires, selon la situation embrassée, le point de vue qui l’embrasse, le système logique auquel il se réfère.
@PAYANT • Le livre de George Simon (un best-seller – autour de 250.000 exemplaires – qui a connu de nombreuses rééditions et traductions) dont parle Logan traite essentiellement de la manipulation des comportements. Il applique à cette recherche certains constats qu’il a faits, notamment avec le changement de psychologie aux USA avec le passage radical de la “société victorienne” (ou puritaine) US d’avant les années 1960, à la “société permissive” née des troubles des années 1960.
• Logan utilise cette réflexion pour étayer sa propre réflexion sur le comportement du monde politique de Washington avec les effets sur la politique extérieure américaniste essentiellement, avec les réactions, ou l’absence de réactions du public devant cette politique étrangère extrêmement cruelle et prédatrice. Le contraste est pénible avec ce que lui-même connut il y a près d’un demi-siècle… «I remember well the Vietnam War and the “middle east crisis” as a child. I knew there was something wrong. […] It was the gut feeling I had that there was something else very wrong I couldn’t quite see.» Aujourd’hui, cette sorte de sentiment, pour les guerres extérieures, n’existe plus en effet : «The children of this nation are also learning well the lesson that a million Iraqis or Afghanis are not worth the life of one American, and how to rationalize with specious arguments their utter destruction…»
• Nous utilisons à notre tour ce matériel pour parler, non pas de manipulation des comportement, non pas de la politique extérieure fautive des USA et l’absence de réactions qu’elle suscite aux USA, mais pour parler de psychologie, et, plus précisément, de cette “psychologie épuisée” qui nous intéresse tant. Nous parlons des USA, de Washington D.C. bien entendu, mais essentiellement l’un et l’autre comme archétypiques de la modernité d’une part, de la crise de la modernité d’autre part.
Le livre de Simon (que nous n’avons pas lu) interprété par Logan nous donne effectivement une clef psychologique importante. Insistant sur ce passage mis en évidence par Simon d’une société puritaine à une société permissive, qui constitue un changement social décisif au niveau des mœurs d’une modernité d’ores et déjà bien établie aux USA dans tous les autres domaines, Logan détermine pour notre propre propos une explication fondamentale de l’évolution de l’“épuisement de la psychologie”. Nous passons du “trouble névrotique” au “trouble caractériel”, c’est-à-dire d’une pathologie spécifique plus ou moins affirmée, – névrotique, – à une pathologie devenue la norme générale, – caractérielle. La caractéristique de cette évolution psychologique nous fait passer d’un extrême à l’autre, d’une “conscience excessive” qui engendre le “trouble névrotique” à une “conscience réduite” qui engendre le “trouble caractériel”. («Neurotic disorders are from “too much conscientiousness”. Character disorders are from “not enough conscientiousness”.») La “conscience excessive” reste un facteur accidentel différent selon les personnalités tandis que la “conscience réduite” tend à devenir une attitude générale, affectant le caractère.
Avec cette évolution, le trouble psychologique, ou l’“épuisement psychologique”, devient ainsi la substance même de la psychologie, – le passage de la situation puritaine à la situation permissive n'en étant que l'occasion bien plus que la cause. Même si ce phénomène est d’abord perçu comme un instrument de manipulation de certains (la population, disons) par d’autres (les élites dirigeantes, continuons à dire), il s’est avéré depuis qu’il a complètement affecté les élites elles-mêmes… Les manipulateurs manipulés, ou l’arroseur arrosé. C’est la situation que décrit implicitement Logan, faisant ainsi progresser l’analyse initiale de Simon.
Logan utilise cette évolution pour élever une critique fondamentale qui, si elle est justifiée, ne nous paraît pas pour autant, à nous, fondamentale. Cette évolution a conduit à une perception générale complètement déformée, à une méconnaissance cynique, voire une dissimulation construite (ce que nous nommons virtualisme) des conflits extérieurs. Au contraire du temps du Vietnam, observe avec accablement Logan, tout le monde, aujourd’hui aux USA, est indifférent à l’inhumanité foncière de ces guerres, à leur infamie, à leur illégalité, etc. C’est une évidence, mais la situation ne nous en paraît pas meilleure pour autant, du point de vue du système. En effet, cette indifférence pour l’extérieur n’est pas due à un bien-être intérieur qui alimenterait le refus du mauvais côté des choses, mais plutôt la conséquence d’un malaise, voire d’une colère intérieure qui surpassent tout le reste. Il y a peut-être une “conscience réduite” qui réduit la perception des méfaits du système mais le “trouble caractériel” est tel que le malaise est peut-être plus grand encore que si la conscience à cet égard était lucide. En effet, le “trouble caractériel” diffuse le malaise dans tous les domaines, à tous les échelons, y compris à l’élite washingtonienne. Si l’on veut, le malaise intérieur n’a besoin d’aucun aliment extérieur pour se développer (au contraire du temps du Vietnam), puisqu’il va jusqu’à créer lui-même ses propres aliments dont certains relèvent de la fantasmagorie.
La situation de Barak Obama est, à cet égard, complètement caractéristique. Comme on le voit par ailleurs (voir Ouverture libre de ce 19 juillet 2010), son bilan intérieur est perçu par les analystes rationnels, – par la fameuse “raison humaine”, – comme assez positif, alors que sa présidence est décrit comme complètement à la dérive. Le “trouble caractériel” a pris le pas sur tout le reste, instituant comme référence irrésistible l’“épuisement de la psychologie”. Que cette situation générale soit d’une injustice affreuse pour les malheureux Irakiens et Afghans, cela ne fait aucun doute. Il n’empêche que ces conflits, auxquels peu de gens aux USA prennent garde pour leurs effets dévastateurs chez les innocents ainsi agressés, produisent des effets indirects (statut des forces militaires, dépenses budgétaires, sensation d’impuissance, de déclin, etc.) qui pèsent formidablement sur la situation et le malaise intérieurs. Disons que c’est la revanche des innocents massacrés contre un système qui a réussi effectivement à occulter leur massacre.
Ce que décrit Simon + Logan devient pour nous, non le spectacle d’une manipulation qui n’existe pas ou qui n'est plus que fortement accessoire, non plus une politique extérieure irresponsable et dissimulée par cette irresponsabilité qui existe certes mais qui n’est pas l’essentiel ; ce que décrit Simon + Logan devient, dans notre interprétation, un aspect de cet “épuisement psychologique” auquel nous sommes parvenus, que nous identifions nous-mêmes comme un facteur “opérationnel” fondamental parce qu’il s’agit du facteur clef permettant le déclenchement de la phase finale, explosive d’une façon ou l’autre, de la crise en phase terminale. Cet épuisement est, comme le système lui-même, avec le “trouble caractériel” qui a remplacé le “trouble névrotique”, en phase terminale et en phase de crise dans ses effets dans la vie publique.
Une citation de Logan qui nous a particulièrement intéressée est celle-ci, qui concerne Ron Paul : «There are almost no national politicians that base their positions on an over-arching set of principles maintained consistently across the issues. An example would be Ron Paul. I can’t think of any others. In general they are lying, hypocritical, deceitful cowards cloaking their manipulative actions in sheep’s clothing.»
Effectivement, Ron Paul est remarquable par la puissance de son discours, sa conviction, sa cohérence logique. (Il suffit de lire ses discours, d’écouter des vidéos. Le calme de l’homme est impressionnant, ainsi que sa stature de “vieux sage”, alors qu’il développe des conceptions qui, par rapport aux normes du système, sont totalement sacrilèges et révolutionnaires.) En général, Ron Paul interdit, par sa conviction et la substance responsable de son discours, la réplique déstructurante des “psychologies épuisées”, incapables d’utiliser des arguments autres que stéréotypées, réduits à l’immédiat, sans aucune base de continuité logique. Ron Paul serait donc le seul caractère parmi les hommes politiques US, à échapper à l’épuisement psychologique, c’est-à-dire capable d’avancer une idée en assumant tout le développement de sa logique, en assumant ses racines historiques et logiques, etc. C’est en effet la définition que nous donnons de la “psychologie épuisée”, celle du XVIIIème siècle (c’est le cas dans cet extrait) comme celle d’aujourd’hui, dans notre F&C du 14 juillet 2010) :
«Nous attribuons cette contestation systématique moins aux idées elles-mêmes, avec leur contenu, qu’au fait que ces idées nouvelles n’étaient pas soutenues et “contrôlées” par une psychologie solide. Au contraire, nous identifions une psychologie épuisée depuis son évolution depuis la Renaissance, qui fait que les idées n’avaient plus d’assise psychologique solide, que leur contenu immédiat et apparent était privilégié dans la maîtrise qu’on tentait d’avoir d’elles, alors que la logique circonstancielle et historique que ces idées déclenchaient était laissée à elle-même. Le résultat de cette circonstance est l’irresponsabilité, évidente dans le chef des élites françaises…»
Cela ne signifie pas que Ron Paul représente la Vérité, que Ron Paul est le sauveur de la République, ni qu’il sera le prochain président. (Par contre, il pourrait devenir un prophète de la sécession au sein de l’Union…) Cela signifie que la puissance politique du discours, sa conviction, l’élargissement du propos à la logique assumée, et les échos que tout cela suscite, qui sont la marque de son actuelle présence politique, – ses succès divers, populaires ou même législatifs en témoignent, – dépendent effectivement d’une psychologie équilibrée, qui dénonce et ridiculise par le fait même le discours et l'argument de ce “trouble caractériel” qui caractérise le reste des élites politiques. Ce simple constat place la crise de la psychologie (l’“épuisement de la psychologie” traduit par l’exacerbation du “trouble caractériel”) au premier rang des facteurs de la crise américaniste (dito, la crise de la modernité, de notre civilisation).
De ce point de vue, il se confirme chaque jour davantage que l’évolution de la situation, c’est-à-dire de la “structure crisique”, des crises diverses et complémentaires, attendant de se réunir en une fusion centrale de la crise terminale, ne dépend pas des faits et des événements eux-mêmes, tels que nous pouvons les interpréter, tels que nous pouvons les prévoir. La perception au travers des “troubles caractériels”, exacerbés par un système de la communication hors de contrôle et devenu “fratricide”, conduit à des épisodes de déchaînement collectif des psychologies sans rapport avec la logique de la réalité. D’ailleurs, dans ce cadre, qu’est-ce que c’est la réalité ? Les réactions, même paroxystiques, de psychologies épuisées et malades, constituent bien plus notre réalité aujourd’hui que la réalité à laquelle elles réagissent. Dans un établissement psychiatrique, la sarabande des patients constitue la réalité, bien plus que la description de leur maladie et les remarques rationnelles des observateurs sur ce que devrait être le comportement des patients.
…Il est vrai également et inversement que, dans un tel contexte (une telle réalité), une psychologie saine comme l’est celle de Ron Paul peut acquérir un pouvoir puissant sur le reste, dans certaines circonstances où le désarroi général apparaît insupportable. C’est pour cette raison certainement que Ron Paul pèse aujourd’hui à Washington, comme dans le reste du pays, d’un poids bien plus considérable que ne laisserait croire sa position marginale, ses opinions tranchées, etc.
La situation à Washington D.C., et cela beaucoup plus que dans the Rest Of the World tant les USA sont à l’avancée de tous les excès du système, et bien entendu de sa crise, se confirme chaque jour davantage à la fois comme celle d’une complète paralysie et celle d’une complète fluidité. Il y a longtemps que la raison humaine n’y retrouve plus ses petits et il est temps de comprendre que cette crise-là vaut tous les effondrements de Wall Street et les limogeages de généraux en Afghanistan.
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