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1749Hollande joue-t-il sérieusement et avec entêtement une carte de rapprochement avec la Russie ? On peut considérer que l’interview de l’ambassadeur de France à Moscou à Kommersant, le 15 janvier 2015, est une pièce de cette hypothèse. Des extraits de l’interview, donnés par Sputnik.News le 15 janvier 2015, montrent en effet un langage diplomatique très mesurée, une volonté clairement affirmée de rejeter toute idée de rupture entre l’Europe et la Russie, et une façon de traiter les problèmes pendants (les sanctions à la lumière de la narrative du bloc BAO sur la situation dans l’Est de l’Ukraine) qui semble faire de la Russie plus une partenaire qu’une accusée.
«Paris does not want to accept the split between Europe and Russia, French Ambassador to Russia Jean-Maurice Ripert stated. “We do not want to put up with the split, the fact that Russia will move away from Europe or Europe — from Russia. I do not mind the concept of Eurasia — it is a reality. Russia is a bridge between Europe and Asia. And, of course, Russia belongs to Europe,” Ripert told Russia's Kommersant newspaper in an interview published Thursday. [...]
»“For us the tragedy that is happening in Ukraine is unacceptable. The humanitarian situation in Donbas is disastrous. This can not continue. France and Germany, along with Russia have a relationship of trust with the parties to the conflict and will be able to convince them to find a solution,” the ambassador said. Ripert also said that talking about the Cold War in the current environment is pointless as Russia and Europe “will not return to the past,” adding that Moscow and Paris are continuing to cooperate in the sphere of international affairs, including in the fight against terrorism and the conflict in Syria.»
Cette intervention vient à plusieurs moments-clef. Elle vient d’abord, factuellement et chronologiquement, alors que la Russie a envoyé une requête formelle à Paris concernant le sort du porte-hélicoptères Mistral, pour obtenir des informations officielles sur le destin de la transactions. (Voir le 13 janvier 2015, sur Sputnik.News.) Cette nouvelle ne semble pas devoir être interprétée comme un durcissement de Moscou, mais plutôt comme le rappel d’un dossier pressant qui justifierait qu’on cherchât un arrangement général pour trouver une issue honorable.
D’autre part, les évènements de la semaine dernière à Paris ont considérablement modifié le climat de la communication d’une façon générale, et en par conséquent entre Paris et Moscou. Le simple fait qu’il s’agisse d’un acte de terrorisme érigé par son effet extraordinaire en une sorte d’équivalent de 9/11 (1/7, nouveau 9/11) place la position de la Russie sous une toute autre lumière que dans l’affaire ukrainienne pour la perception générale : la Russie est experte dans la lutte contre le terrorisme, elle est reconnue comme telle et elle a elle-même montré une résolution sans faille d’offrir sa coopération avec tous les pays touchés par le terrorisme. Au reste, la Russie n’a pas manqué d’accréditer la version maximaliste de 1/7 (“1/7, nouveau 9/11”) comme le note le Financial Times. Ce commentaire du FT est présenté par ZeroHedge.com le 14 janvier 2015 comme particulièrement incrédule de la part du quotidien financier britannique, – ce qui implique un certain désarroi des milieux anglo-saxons devant le jeu russe en l’occurrence, et une réelle incompréhension de ce jeu («The FT is most stunned that in Russia the events in Charlie Hebdo are being equated to the 9/11 tragedy...»)
Depuis plusieurs semaines sinon quelques mois, les Russes montrent qu’ils ont modifié leur appréciation des différentes positions des grands pays européens, dans la logique de leur stratégie cherchant à diviser le camp du bloc BAO, essentiellement entre Europe et USA. Cet automne, ils ont abandonné tout espoir pour le temps courant de voir Merkel jouer ce jeu avec eux et, surtout depuis la visite-éclair impromptu de Hollande à Moscou en décembre (à la demande de Hollande), se sont reportés sur la France. A cet égard, ils se rappellent le jeu qu’a joué Hollande lors des célébrations du débarquement de Normandie (voir le 3 juin 2014). Dans une interview à Sputnik.News le 13 décembre 2014, peu avant la rencontre Poutine-Hollande à l’aéroport de Moscou, Kyrill Kotkich, professeur à l’Institut des relations internationales du ministère des affaires étrangères russes, observait :
«... And the third reason is that this is not a totally new game for him, because it was Hollande who was brave enough to start the Normandy process, when the first negotiations between Putin and Poroshenko took place. And he can continue his line. As it is seen from Moscow, Germany starts speaking in the name of whole Europe and France is not satisfied with this, because the French interests are a bit different than the German ones. That means that Hollande is motivated to retain for France the status of a strong European power with its own voice, without the German accent and with the clear French language.»
A cette occasion, dans cette très intéressant interview, un des autres participants, le chercheur indépendant Dimitri Iakouchkine avait, pour caractériser le climat instauré par cette rencontre impromptue, invoqué pas moins que la situation entre la France de De Gaulle et la Russie soviétique dans les années 1960. L’insistance était portée sur la spécificité française, sur ce qui fait une différence, que Iakouchkine jugeait inaltérable, entre la France et les autres pays européens ; cela, outre le fondamental des principes ainsi appliqués, notamment pour ce qui est de l’alignement sur Washington.
«[The present French position] reminds me of the role France tried to play in the 1960s. It tried to regain its prewar glory and positioned itself as a country between the East and the West. I worked in France for many years, and if you look at the European countries like the Great Britain, Germany, even Spain or Italy, France was always a country which didn’t resemble the others. It was not exactly a capitalist country, it was not exactly a Western country and sometimes I had a feeling that Mr. de Gaulle was considered to be practically like the Soviet leader. We were very mild in criticizing France for its internal problems, for its social problems...»
Ces diverses interventions ne sont pas exceptionnelles et retrouvent des manifestations semblables dans d’autres médias et d’autres circonstances de communication, essentiellement du côté russe bien sûr. En France, la question russe avec son cortège d’anathèmes et de communication haineuse qui paralysent les pouvoirs constitués (l’antipoutisme, l’antirussisme, le narrative-Ukraine) est passés totalement au second plan, éclipsés par ce que l’on sait (1/7). Les Russes, eux, ont une vision large et une appréciation réfléchie, et ils sont prompts à lier toutes les crises et à apprécier combien le soubresaut de l’une, ou l’arrivée d’une nouvelle crise, modifie l’ensemble des autres situations crisiques. En un sens, ils comprennent que le moment est parfaitement choisi pour tenter d’effectuer une percée établissant une nouvelle situation diplomatique dans la vraie grande crise actuelle de l’Ukraine, des relations avec la Russie, de la politique-Système déstructurante et dissolvante de Washington. Dans ce cadre et dans le contexte tel qu’il est aujourd’hui, la France est nécessairement le seul partenaire de poids possible dans le bloc BAO, à la fois par ses structures principielles que les Russes ont tendance à juger plus résistantes et plus fortes que les dirigeants qui se succèdent, à la fois par la situation résultant de “1/7-nouveau 9/11”. (Et l’on a là une autre explication de leur tendance qui étonne tant le Financial Times de mettre en épingle l’importance de 1/7.)
Du côté français, et même plus précisément du côté de Hollande qu’on tendrait à séparer de son premier ministre Valls engagé dans un extrémisme anti-terroriste forcené qui sera vite dénoncé comme anti-islamique, une évolution vers un arrangement avec la Russie présente tous les avantages. Il permet de régler des problèmes pendants si délicats (le Mistral). Il permet à la France de reprendre une certaine stature en Europe, face à la dérive de Merkel qui délaisse de plus en plus sa place de leader européen capable d’inspirer une vraie politique européenne. Il trouve une occasion importante de se dégager en partie de l’imbroglio intérieur catastrophique où se trouve la France, avec le climat créé par l’attaque contre Charlie-Hebdo et les effets formidables qui en ont résulté, et l’évidence aussitôt démontrée que ces effets en France sont ceux d’une aggravation des conditions des affrontements intérieurs intercommunautaires, avec les positions traditionnelles bouleversées, contradictoires, etc. A la limite, il apporte un élément constructif dans cette situation intérieure en faisant intervenir, par le rapprochement avec la Russie, un partenaire universellement regardé comme expert dans les questions de l’antiterrorisme.
Enfin, et c’est certainement l’élément le plus mystérieux, et c’est peut-être, pour certains, le plus important, il semble clair qu’un tel rapprochement se ferait contre la volonté de Washington, ce qui impliquerait une dégradation des relations entre la France et les USA. Il y a peut-être, dans cette remarque, autre chose qu’un commentaire de circonstance à partir de quelques signes observés par les observateurs en général. Il y a peut-être des circonstances plus dissimulées, avec certaines actions US clandestines. On rappellera à cet égard notre observation mise entre parenthèse en commentaire de la dépêche où la sortie antifrançaise du turc Erdogan était rapportée (le 14 janvier 2015) : «(A noter que le reste de la dépêche reprend une autre thèse de complot, provenant de Russie, selon laquelle les USA ont monté l’attaque pour empêcher un rapprochement France-Russie à propos de l’Ukraine...)» Et nous prenions garde de préciser plus loin que cette sorte de thèse ne nécessite guère qu’on s’y attache, – à moins qu’elle ne prenne par un aspect ou l’autre une plus grande consistance, – la citation de Poutine n’étant qu’une image spectaculaire pour accentuer le trait... («Par exemple contraire, l’explication russe qui est mentionnée n’a pas du tout la même importance, non pour une question de véracité, mais pour une question d’effet de communication. Si, demain, Poutine la prenait à son compte, on comprend combien les choses seraient différentes.») ...
Mis en ligne le 15 janvier 2015 à 09H16
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