La France parle, Sarko s’exécute

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Nous donnons ci-dessous le début du discours de notre-Président, Nicolas Sarkozy, devant l’ONU, le 24 septembre 2009

«En prenant la parole devant vous aujourd’hui, au nom de la France, j’ai bien conscience que dans les circonstances où nous nous trouvons, nous sommes tous confrontés à une responsabilité historique.

»Nous sommes en plein milieu d’une crise financière, économique, sociale sans précédent ; nous sommes à la veille d’une catastrophe écologique planétaire ; nous devons maintenant inventer un monde nouveau où les folies d’hier ne seront plus possibles. C’est la responsabilité qui nous incombe.

»Nous savons tous maintenant vers quelles catastrophes peut nous conduire notre obstination à essayer de régler les problèmes du XXIe siècle avec les instruments et les idées du XXe siècle.

»Désormais, plus un seul d’entre nous ne pourra prétendre qu’il ne savait pas. Il y a une prise de conscience universelle que la voie dans laquelle le monde était engagé depuis plusieurs décennies était sans issue.

»La prise de conscience est universelle. La voie dans laquelle le monde s’était engagé depuis plusieurs décennies, cette voie est une impasse. Cette prise de conscience se fait dans la peine, la souffrance et l’angoisse. Mesdames et Messieurs les chefs d’Etat et de gouvernement, nous sommes comptables politiquement, moralement de cette souffrance accumulée sur la planète.

»Il y a des dizaines de millions d’hommes et de femmes qui ont perdu leur emploi, leur maison. Il y a un milliard d’êtres humains qui souffrent de la faim, des centaines de millions d’êtres humains qui n’ont pas accès à l’eau, à l’énergie, qui n’ont pas les soins médicaux minimum. A ces centaines de millions d’habitants de la planète, il nous appartient à nous, chefs d’Etat et de Gouvernement, et à personne d’autre de rendre l’espoir. Ceux qui payent les conséquences de la crise n’y sont pour rien.

»A tous ceux qui sont indignés par les comportements de ceux, dans la finance, qui nous ont conduit au bord du chaos et qui voudraient continuer à s’enrichir d’une façon indécente, nous devons une réponse.

»A ceux qui meurent encore dans des guerres absurdes qui datent d’un autre âge, alors que l’humanité a tant de défis à relever, nous devons une réponse. Et la réponse de la France, elle est sans ambiguïté : cela ne peut plus continuer comme avant. Nous devons changer, nous ne pouvons pas accepter que tout recommence pour qu’une autre catastrophe se produise demain.

»Après un tel démenti de nos habitudes de pensée, de nos préjugés, au fond, la tâche qui repose sur nos épaules est exactement la même que celle qui reposait sur les épaules des hommes de bonne volonté qui ici, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ont posé les bases d’un nouvel ordre politique, économique et monétaire mondial. La génération qui nous a précédé a été à la hauteur de ses responsabilités, la question qui se pose aujourd’hui : saurons-nous, nous-mêmes, être à la hauteur de cette même responsabilité.

»Le monde va changer. Il ne peut en être autrement.

»Le monde va-t-il changer parce que nous saurons faire preuve de sagesse, d’intelligence, de courage ou bien le monde va-t-il changer parce que de nouvelles crises surviendront si nous n’avons pas la sagesse de prendre la voie de changements radicaux?

»La vérité c’est que nous avons déjà trop attendu pour réguler la mondialisation, pour lutter contre le réchauffement climatique, pour faire obstacle à la prolifération nucléaire.»

…Suivent diverses considérations qui, naturellement, portent sur ce qu’il faudrait faire, après ce constat vertigineux selon lequel, placés comme nous sommes devant la plus grande crise eschatologique de l’histoire de notre civilisation – il s’avère qu’il faut faire quelque chose – et qu’on serait parfois tenté d’interroger: mais que faut-il faire? (Et le peut-on, d'ailleurs?) Le contraste est pour le moins saisissant, entre la description de la crise et les mesures que l’on suggère de prendre. Par conséquent, discours est singulier…

@PAYANT Soit, discours singulier à plus d’un égard, d’autre part discours qu'on jugerait complètement en accord de logique avec la position de la France dans son époque. Ce discours n’est pas vraiment exceptionnel de la part du chef de l’Etat français, qui répète peu ou prou cette analyse depuis un an, mais il est, pour l’occasion, à la veille du sommet du G-20, vastement symbolique et conduit d’une façon solennelle jusqu’à l’extrême de son constat. On le qualifiera de “discours français” plutôt que de “discours du président de la République”, d’abord parce qu’on ne sait qui l’a écrit sinon que ce n’est pas l'orateur, ensuite parce qu’il reflète effectivement le puissant et profond sentiment historique français, en même temps que la dérisoire position française dans le flux de la politique occidentaliste générale.

Le début du discours – l’extrait que nous publions ci-dessus – peint un portrait acceptable de la dimension de la crise. Il s’agit d’une perception française, à la fois historique et intuitive, qui n’a rien à voir avec l’intelligence française courante qu’on trouve dans les cafés germanopratins, qui prend ses racines aussi bien dans la perception française critique de la modernité (les “antimodernes”) que dans le courant de pensée, critique concret et argumenté du système de l’américanisme, des années 1919-1933 essentiellement. La description est implacable (plutôt qu’impeccable: elle aurait pu être mieux écrire, tant qu’à faire lorsqu’on dispose d’un tel outil qu’est la langue française). Elle montre une conscience aiguë de l’ampleur et de la profondeur du mal qui nous affecte, qui est un mal de civilisation, portant sur toutes les dimensions et les orientations du développement de notre civilisation. (Nous précisions bien: le mal est bien dans “les dimensions et les orientations” du développement, et non dans “le développement” lui-même – cela qui relève d'un autre débat.)

Cela dit, et dit avec la force qui importe, viennent les détails des choses à faire, et l’on tombe sur les compromissions de l’esprit français avec l’époque, donc avec le système – voire, et bien plus gravement, avec la perception qu’impose le système de l’Histoire. Le passage qui salue la génération précédente, qui a établi le nouvel ordre du monde à la fin de la Deuxième Guerre mondiale – Bretton Woods et le reste – est particulièrement révélateur («La génération qui nous a précédé a été à la hauteur de ses responsabilités, la question qui se pose aujourd’hui : saurons-nous, nous-mêmes, être à la hauteur de cette même responsabilité.») C’est une philosophie de l’apparence des chose, de réflexions sorties des bandes dessinées américanistes. Les choses furent bien faites en 1944-1945, pour nous conduire à grandes enjambées dynamiques vers la catastrophe où nous plongeons aujourd’hui, parce que tous les ingrédients de cette catastrophe y furent mis en place et à leur place. Nous dirions que l’avantage paradoxal, aujourd’hui, est que nous n’avons pas une génération de dirigeants du calibre de la génération de Bretton Woods, qui serait capable de retaper le système un peu mieux que ne font les médiocres Summers, Geithner & Cie, et retarder d’autant le moment de vérité que nous n’éviterons pas, et qu'il importe d'atteindre le plus vite possible.

Il y a encore les palinodies indignes sur la terrible menace nucléaire iranienne ou sur la terreur du monde pour la sécurité d’Israël, pauvre pays isolé avec ses 200 têtes nucléaires devant les pierres impitoyables des terroristes du Hamas lancées avec rage contre les chenilles des chars Merkava. Heureusement que les orateurs ne font pas trop attention à ce qu’ils récitent, car le grotesque finirait par les toucher par inadvertance.

Enfin, les mesures financières pour, selon Sarko, entreprendre cette tâche nécessaire de «refonder le capitalisme financier»; curieuse ambition de restaurer la pourriture dont on a identifié plus haut qu’elle constituait le germe de la tempête qui nous emporte. Tout le reste est à l’avenant, les propositions diverses de réforme, les bonus, les paradis fiscaux et ainsi de suite, croire qu’en attaquant les conséquences des conséquences de la cause centrale, on effleurera celle-ci.

D’autre part, dira-t-on, que faire, que proposer? Nous qui critiquons, avons-nous des suggestions miracles, définitives et radicales? Aucune mon général, comme de juste. Mais il serait bon, il serait juste, justement, de le dire clairement, et d’ajouter, comme un bon monsieur de La Palice, qu’il n’importe absolument pas, surtout pas, d’espérer pour entreprendre… Autrement dit, proposer effectivement ces réformes en précisant qu’elles sont si insuffisantes qu’elles sont parfois risibles, car le mal va infiniment plus loin, et que, contre lui, on ne sait ce qu’il faut faire – ou bien, on ne sait encore ce qu’il faut faire – et qu’il faut le savoir, pour mesurer la profondeur des choses. Le plus grand courage, au bout du compte, c’est de prendre date, même si c’est prendre date à partir du constat de son impuissance présente. C’est ce qu’on appelle prendre date avec l’Histoire, en toute humilité, et c’est, comme dit le président français, «une responsabilité historique».


Mis en ligne le 25 septembre 2009 à 12H34