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813Commençons par la fureur d’un ancien, parce qu’elle va au cœur du problème du Système en crise. Gordon Brown est sans aucun doute un homme du Système, mais un homme du Système retiré des affaires et sans responsabilité. Son témoignage, sa colère pleine d'amertume, sont précieux, s’ils sont pris dans le sens qui va, avec les erreurs habituelles d'un jugement d'un homme du Système considérées objectivement… Donc, fureur de Gordon Brown, dans The Independent, le 7 août 2011
«Gordon Brown today launches an extraordinary attack on the leaders of America, France and Germany, accusing them of being "wrong" on the big economic decisions and failing to heed his warnings over the EU debt crisis. […] In an article for The Independent on Sunday, Mr Brown claims Europe has wrongly presented the crisis as “one-dimensional” and, in doing so, has simply demanded “even more austerity”. A summit last month to secure a bailout for Greece came to the “wrong conclusions” after three years of the “wrong analysis” of the scale of the problem. And he claims the US refusal to sanction a new economic stimulus, raise taxes or cut entitlements is “choking off yet another potential engine of world growth”. […]
»Mr Brown's remarkable intervention will reinforce comparisons between the flurry of activity surrounding his efforts to rescue the global economy in 2008, with the apparent reluctance of European leaders and finance ministers to curtail their holidays to deal with the crisis.
»In a demolition of the political response to the latest global economic meltdown, Mr Brown warns: “Economic necessity was sacrificed to what was politically expedient.” Dithering means “the next crisis gets ever closer and threatens even more danger”, Mr Brown writes, before setting out his “global plan“ for fixing the crisis which, if ignored, he warns will trigger “the most punishing of future outcomes”.»
Prenons la chose selon une logique de l’inversion, dont on sait qu’elle est, dans notre monde en pleine effervescence, en mode turbo et qu’on peut, avec profit, retourner contre le Système qui en est l’exécuteur patenté. Brown a raison : ils (les dirigeants politiques) n’ont pas réagi comme ils l’avaient fait à l’automne 2008, et lui-même en tête, avec un bref moment d’ivresse et de gloire (voir le 16 octobre 2008)… Qu’est-ce que cela signifie pour nous sinon ceci : ils n’ont pas réussi à écarter l’expansion dans tous les sens de la crise, à étouffer son caractère aussitôt global, multidimensionnel vers d'autres domaines, etc. Ils n’ont pas réussi à contenir la relance de la crise financière à sa seule dimension de crise financière, fut-elle catastrophique. Au contraire, la crise leur a échappé des mains sans qu’ils ne se soient à aucun moment aperçu qu’elle était à portée de mains, avant même qu’ils s’aperçoivent qu’elle arrivait, tout occupés à appliquer les mêmes recettes qui s’appellent “jeter de l’huile sur le feu” (l’accord sur la Grèce et l’accord sur la dette US). Tant mieux et well done, – ou disons, well done sans surprise, et “tant mieux” parce qu’ainsi les choses sont plus nettes…
Le paradoxe complet du jugement de Brown est bien qu’il lance des jugements furieux qui montrent eux-mêmes une complète inversion de sens. Il accuse les dirigeants politiques, dont il n’est plus, d’avoir traité la crise comme “unidimensionnelle” alors qu’il aurait fallu la traiter comme “multidimensionnelle”. Il fait un jugement parfaitement sophistique, se confirmant effectivement comme un homme du Système. Il considère la crise financière comme “multidimensionnelle” à l’intérieur du domaine financier, et l'avoir traitée comme telle serait revenu effectivement à ramener cette crise au seul domaine (“unidimensionnel”) financier et économique. Au contraire, nos dirigeants politiques, dans leur bassesse de jugement et l'épuisement complet de leurs capacités de réaction, en sont restés à l’immédiat, – quand ils étaient présents, – et ils ont traité et traitent cette crise financière d’une manière “unidimensionnelle” (selon la critique de Brown), ultra-minimaliste ; ils l’ont ainsi laissée “ouverte” puisqu’ils ne l’ont pas verrouillée dans toutes ses dimensions ; la crise financière, ainsi “mal-traitée”, est restée ouverte à d’autres domaines et elle s’est elle-même intégrée dans la crise générale qui touche tous les domaines. La crise financière n’est, aujourd’hui, qu’un domaine parmi d’autres de la crise générale. La crise politique du pouvoir de Washington est au moins aussi importante que la crise financière et économique US, sinon plus, et c’est notre conviction qu’elle est directement la cause politique de la dégradation de la notation des USA de AAA à AA+ par Standard & Poors.
Cette dégradation de la notation entraîne des prolongements plutôt pathétiques au regard de la situation US qu’elle symbolise. Le site MediaMatters.org, le 6 août 2011, détaille diverses critiques mettant en cause la crédibilité de S&P comme agence de cotation. Toutes les critiques viennent d’organes ou de personnes (le Congrès, le New York Times, le secrétaire au trésor Geithner et son département, Paul Krugman) qui ont eux-mêmes montré, au gré des impératifs du Système, qu’ils savaient, pour leur compte, manquer tout aussi élégamment de “crédibilité”. Alan Greenspan, au contraire, avec un sens retrouvé d'une modestie presque provinciale, estime que cette dégradation aura un effet salutaire : «It gave the sense there is something basically bad going on. And it's hit the self-esteem of the United States, the psyche.»
Alex Spillius, du Daily Telegraph du 6 août 2011, se demande si la dégradation de cotation signifie “la fin de l’Empire” (US, cela va sans dire), et, bien qu’il soit tentant de “répondre oui”, argumente que, non, il ne faut pas s’y laisser prendre… Ses arguments sont par exemple que le «withdrawing from both Iraq and Afghanistan within a few years will be a boon», que «[t]here is still nowhere on Earth that compares for creativity, experimentation and drive», que : «Perhaps S&P's decision could be the shock that Congress needed. The downgrade may well raise interest rates for consumers, which could make both sides think again about being so intransigent and finally bring the compromise so clearly needed and which has been a hallmark of the country's legislative history.»
…Enfin, pour qui n’est pas convaincu par la pauvreté à la fois incantatoire et surréaliste de ces arguments si révélateurs de l'excellente forme de la plaidoirie, sinon de l'Empire, il reste comme péroraison la fameuse parole du philosophe Bill Clinton : «There is nothing wrong with America that cannot be cured by what is right with America.» Elle est superbement illustrée, cette parole, par la récente exclamation d’Obama “nous sommes sur la bonne voie” (d’une reprise de l’emploi), saluant la publication des chiffres de juillet par le département du Travail le 5 août, qui montre une “amélioration” de cette situation. WSWS.org vous démontre aisément et aussitôt, le 6 août 2011, que ces chiffres signalent au contraire que, – «US jobs crisis worsened in July», puisque la réduction des demandes d’emploi vient d’un abandon massif, par découragement, par des dizaines de milliers de personnes, de leur inscription au chômage. (De même et pour ce qui est de la fameuse “crédibilité”, en avril 2011, au cours d’une interview sur Fox.Business, le secrétaire au trésor Geithner, critique féroce de la “crédibilité” de S&P, annonçait-il qu’il n’y avait “aucun risque” de dégradation de la cotation des USA, et d’ailleurs que l’accord bipartisan sur le dette se ferait sans réelles difficultés.) Il n’est nul domaine où les USA excellent plus que dans celui de l’instrumentation du système de la communication dans un but de virtualisation de la réalité.
Tout cela est d’une “crédibilité” à fournir les éléments d’un scénario hollywoodien très moyen. L’on peut passer outre en souriant avec une certaine tendresse devant ces beaux efforts pour se défaire d’une dégradation de la cotation, laquelle (la technique de la cotation par des agences-maison) est pure invention du système US pour imposer par ses propres normes son empire de piraterie sur le reste du monde. Il n’empêche, et c’est bien là l’essentiel pour notre propos, que cette affaire de cotation a, bien entendu et sans véritable surprise dans une époque du système de la communication où portent les images simples (quoi de plus simple que de passer de AAA à AA+ ?), un impact politique (la question du pouvoir US), un impact stratégique (la position de l’empire US dans son processus de déclin), qui se démarquent tous du seul sujet de la crise budgétaire et financier. C’est là encore un signe puissant de l’intégration de cette crise spécifique dans le cadre bien plus large de la crise générale du Système. La psychologie elle-même est bien entendu le domaine le plus touché, qui perçoit avec une sensibilité extrême toute la force de cette déclaration symbolique de l’effondrement de la puissance américaniste.
A cet égard, plus personne ne prend de gants, et très rapidement cela, au contraire de 2008 où il fallut quelques mois avant que la responsabilité US soit explicitement mise en cause (autour de décembre 2008, par la Chine). Comme l’on sait, la Chine a parfaitement bien compris la situation en cours et décidé de le dire, et, avec elle, durant le week-end, l’Inde également. Cette intervention sans barguigner dans les affaires intérieures US des deux immenses pays asiatiques, considérée d’une façon conjointe, a un poids stratégique encore plus qu’économique. Ces réactions n’ont rien de commun avec celles qui sont échangées entre les USA et l’Europe, entre complices du “bloc” (bloc BAO), et viennent d’un extérieur du “bloc” désormais exigeant ; elles ressemblent à des signes indirects de la dissolution accélérée d’un ordre, – le “vieil ordre”, observe le Guardian, le 7 août 2011 : «When India joined China in criticising America's chaotic handling of its hefty debts this weekend, describing the challenges facing the White House as “grave”, it was the clearest indicator yet that the old order had been swept away.»
La différence entre août-septembre 2008 et août 2011 (en attendant septembre et la suite) est bien dans cette incapacité de contenir la crise dans son domaine spécifique, alors que la crise elle-même entend effectivement prendre ses aises comme si son intégration dans la structure crisique et son extension dans la dynamique de la “chaîne crisique” en cours allaient de soi. Le Système est épuisé, à bout de ressources et d’initiative, avec l’accumulation de crises très diverses qui se succèdent, à une vitesse confondante, l’empêchant de retrouver son souffle, de tenter de reprendre le contrôle de l’interprétation des événements (ne parlons pas du “contrôle des événements”, situation qui n’est plus qu’un souvenir) ; d’autre part, il est, depuis ce même septembre 2008 et ce qui s’en est suivi, au bout de sa logique. Inutile, certes, de lui demander de tirer la conclusion de cette démonstration en grandeur globalisante et catastrophique de sa perversion absolue, car cela il ne peut. Il est de plus en plus contraint dans ses actes, donc de plus en plus empêché de réduire la crise à des paramètres techniques qu’il pourrait prétendre contrôler (comme en 2008), – mais qu’il ne conduisait d’ailleurs même plus jusqu’à un terme curatif acceptable quand il les contrôlait encore, comme l’a montré encore 2008. Le constat sans surprise est celui d’une crise qui file comme du sable entre des doigts qui n'arrivent même plus à le saisir un instant, qui ne cesse de se répandre. Le Système est incapable d’empêcher la généralisation de tous ses soubresauts et toute crise parcellaire suscite aussitôt une généralisation à tous les domaines.
Monsieur Will Hutton, dans l’article (6 août 2011) du Guardian le plus lu ce week-end, écrit que “Notre système financier est devenu une maison de fous…”, et qu’il faut réaliser en son cœur de très profondes réformes. (Bonne chance.) Il constate, à propos de la semaine écoulée, la première du mois d’août qui devait nous apporter apaisement et vacances tranquilles avec l’accord sur la dette du gouvernement et du Congrès de la Grande République :
«It was the worst week in the financial markets since the dark days of autumn 2008 at the height of the implosion of the western banking system – itself one of the worst periods since the early 1930s. But in important respects this week was worse. At least in 2008, governments could put their national balance sheets behind their respective banking systems to restore confidence. Now the fears are more deep-seated and far harder to counter. The markets have lost confidence that western governments can successfully manage…» (etc., etc.)
Ces deux titres successifs, du même journal, entre sa dernière édition de la semaine (le Guardian du 6 août 2011) et son édition du dimanche (l’Observer du 7 août 2011) répètent la même idée, l’idée sempiternelle de la perte de direction, de l’absence de contrôle, de la perte de sens finalement… «Debt crisis: leaders in a rush to find common purpose» (6 août), «Global economy: Our leaders need to seize control of the crisis» (7 août).
La deuxième nuit d’émeutes de Tottenham, à Londres, n’a pas nécessairement un lien tout à fait direct avec la crise précisément mais l’“ambiance” de la plus extrême proximité psychologique est là, dans le cadre de l’extension de la crise. Avec une police impuissante, épuisée et presque indifférente, qui laisse faire, on croirait retrouver les banlieues parisiennes, mais aussi l’attitude des directions politiques face à la crise. Dans le Wisconsin (Madison en février) et dans d’autres Etats aux USA, rapporte Truthout.org (le 5 août 2011), des initiatives diverses sont en train de se développer et de s’intégrer elles-mêmes pour l’organisation de structures, voire d’un “troisième parti” qui sait, avec un seul mot d’ordre, – un “printemps américain”, comme Al Gore nous le recommande…
«Is Wisconsin Ground Zero for the “American Spring” or a Third Party? […] If you want to see where the next wave of corporate-sponsored political attacks is being launched, look to New Orleans. And if you want a shot of optimism, a ray of light, a sign that battles can be won against overwhelming odds, turn your eyes toward Wisconsin. That's where the action is. […] Al Gore said this week that we need an “American Spring”…»
Mis en ligne le 8 août 2011 à 05H16
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