La fureur amère et désespérée de Gore Vidal

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L’écrivain américain Gore Vidal est vieux (83 ans), handicapé en partie par un genou artificiel, toujours attentif à l’évolution de son pays qui est l’un des thèmes essentiels de son œuvre… De Burr à Empire et à Hollywood, avec une série de livres qui couvre toute l’histoire des USA, essentiellement au travers des actes, pensées et conceptions de quelques-uns de leurs plus grands dirigeants, Vidal se hisse au niveau de l’historien intuitif, de l’historien prophétique, que peuvent être certains écrivains. Leur vision de l'histoire est alors bien plus enrichissante que celle que débite l'“historien scientifique”, minutieux et réductionniste, dont a accouché le système de la modernité. L’homme et son destin sont, en plus, dans le cas de Vidal, un extraordinaire concentré des caractères, situations, circonstances et comportements des USA des 75 dernières années; d’une vieille famille aux nombreuses ramifications de la grande politique US (lointain descendant du vice-président Burr, co-listier du président Jefferson, d’une longue lignée de parlementaires fameux, cousin éloigné d’Al Gore); proche des Kennedy, habitué de Hollywood avec ses amis Paul Newman et Joanne Woodward, candidat démocrate malheureux au Sénat; homosexuel dont le premier roman à succès fut consacré, en 1948, à ce cas de la situation psychologique des homosexuels dans la société aux USA.

Démocrate et libéral (progressiste), Gore Vidal est d’abord un “dissident” dont la dénonciation de l’Etat de Sécurité Nationale US, de la politique expansionniste, du bellicisme US, est constante. Gore Vidal est vieux et, il faut l’observer, amer et désespéré, comme s’il sentait que plus rien n’empêchera désormais la chute de ce pays. Comme tous les Américains de son style assez haut, Gore Vidal critique férocement son pays et cette férocité reflète la douleur cachée d’un amour déçu. Cet inévitable binôme haine-amour que nous impose le système, que l’Amérique impose à ses fils, est quelque chose d’infiniment respectable. Pour Vidal, l’Amérique “is rotting away” (comment traduire l’intraduisible? L’Amérique est “emportée dans sa pourriture”?).

Il s’agit ici d’une rencontre du Times de Londres avec Gore Vidal, le 30 septembre 2009. Tout ce qu’il dit de l’Amérique, dans la situation présente n’est pas évident et certaines choses sont discutables. Son degré de désespérance se mesure au fait qu’il regrette l’Amérique d’antan, alors qu’il a peint cette Amérique-là et minutieusement décrit combien la corruption, la perversité étaient là, présentes à l’origine. Mais sans doute a-t-il raison lorsqu’il regrette le degré d’intelligence qui caractérisait même ces situations passées, tant il est vrai que ce que caractérise notre temps est bien la bêtise à front de taureau, où même les escrocs sont d’abord des imbéciles inconscients. Le portrait que Vidal fait d’Obama, qu’il a soutenu parce qu’il avait reconnu en lui la rareté présente d’un homme d’une exceptionnelle intelligence, est assez juste, moins peut-être les raisons qu’il donne à son échec probable (son inexpérience en politique extérieure, sa naïveté face aux généraux). Il est plus évident d’avancer l’hypothèse que, contre le système, même l’expérience en politique extérieure et la connaissance de la duplicité des généraux, en plus de l’intelligence, ne changeraient rien, et qu’à moins de poser un acte de rupture “à la Gorbatchev” au cœur du système, rien n’y fera. Ce qu’il dit d’Hillary Clinton est également discutable, de ce point de vue.

Mais c’est bien le ton qui fait la chanson… Ton crépusculaire, sans aucun doute, non pas à cause de l’esprit du vieil homme, mais parce que l’Amérique est à son crépuscule. Obama sera battu en 2012 annonce-t-il, et les républicains voleront l’élection une fois de plus. Au-delà? S’il y a un au-delà, si même on arrive en 2012… Voici le passage où Gore Vidal parle de la situation politique présente des USA.

«Last year he famously switched allegiance from Hillary Clinton to Barack Obama during the Democratic nomination process for president. Now, he reveals, he regrets his change of heart. How’s Obama doing? “Dreadfully. I was hopeful. He was the most intelligent person we’ve had in that position for a long time. But he’s inexperienced. He has a total inability to understand military matters. He’s acting as if Afghanistan is the magic talisman: solve that and you solve terrorism.” America should leave Afghanistan, he says. “We’ve failed in every other aspect of our effort of conquering the Middle East or whatever you want to call it.” The “War on Terror” was “made up”, Vidal says. “The whole thing was PR, just like ‘weapons of mass destruction’. It has wrecked the airline business, which my father founded in the 1930s. He’d be cutting his wrists. Now when you fly you’re both scared to death and bored to death, a most disagreeable combination.”

»His voice strengthens. “One thing I have hated all my life are LIARS [he says that with bristling anger] and I live in a nation of them. It was not always the case. I don’t demand honour, that can be lies too. I don’t say there was a golden age, but there was an age of general intelligence. We had a watchdog, the media.” The media is too supine? “Would that it was. They’re busy preparing us for an Iranian war.” He retains some optimism about Obama “because he doesn’t lie. We know the fool from Arizona [as he calls John McCain] is a liar. We never got the real story of how McCain crashed his plane [in 1967 near Hanoi, North Vietnam] and was held captive.”

»Vidal originally became pro-Obama because he grew up in “a black city” (meaning Washington), as well as being impressed by Obama’s intelligence. “But he believes the generals. Even Bush knew the way to win a general was to give him another star. Obama believes the Republican Party is a party when in fact it’s a mindset, like Hitler Youth, based on hatred — religious hatred, racial hatred. When you foreigners hear the word ‘conservative’ you think of kindly old men hunting foxes. They’re not, they’re fascists.”

»Another notable Obama mis-step has been on healthcare reform. “He f***ed it up. I don’t know how because the country wanted it. We’ll never see it happen.” As for his wider vision: “Maybe he doesn’t have one, not to imply he is a fraud. He loves quoting Lincoln and there’s a great Lincoln quote from a letter he wrote to one of his generals in the South after the Civil War. ‘I am President of the United States. I have full overall power and never forget it, because I will exercise it’. That’s what Obama needs — a bit of Lincoln’s chill.” Has he met Obama? “No,” he says quietly, “I’ve had my time with presidents.” Vidal raises his fingers to signify a gun and mutters: “Bang bang.” He is referring to the possibility of Obama being assassinated. “Just a mysterious lone gunman lurking in the shadows of the capital,” he says in a wry, dreamy way.

»Vidal now believes, as he did originally, Clinton would be the better president. “Hillary knows more about the world and what to do with the generals. History has proven when the girls get involved, they’re good at it. Elizabeth I knew Raleigh would be a good man to give a ship to.”The Republicans will win the next election, Vidal believes; though for him there is little difference between the parties. “Remember the coup d’etat of 2000 when the Supreme Court fixed the selection, not election, of the stupidest man in the country, Mr Bush.”»


Mis en ligne le 2 octobre 2009 à 05H25